« People » : gommer sa transidentité pour se faire accepter

Sexe, déviance et chirurgie « excessive » d’un côté ; défense des minorités, confiance en soi et succès professionnel de l’autre. Les personnes transgenres sont représentées de manière diversifiée au sein du quotidien 20minutes. Dans une société qui valorise le fait de ressembler à un homme ou une femme, masquer sa transidentité devient alors le seul moyen d’éviter des formes de violences. 

Par Kevin Duc

Sexe, déviance et chirurgie « excessive » d’un côté ; défense des minorités, confiance en soi et succès professionnel de l’autre : les personnes transgenres sont représentées de manière diversifiée au sein du quotidien 20minutes. Par ce traitement différencié, le journal encourage une forme de commérage à l’égard des personnes qui ne correspondent pas aux stéréotypes de genre. Dans une société qui valorise le fait de ressembler à un homme ou une femme, masquer sa transidentité devient alors le seul moyen d’éviter des formes de violences. 

D’après un article du quotidien 20minutes, « désespérée de ne pas réussir à perdre sa virginité », Jessica Alvez, femme transgenre connue auparavant sous le nom de « Ken humain », cherche l’homme de sa vie. Bien qu’elle se dise « ravie » de sa vaginoplastie, Jessica ne semble pas apprécier son statut de célibataire et fait tout pour trouver l’amour. Son plus grand obstacle ? Son profil Tinder est souvent dénoncé par les utilisateur·trice·s qui pensent qu’il s’agit d’un fake. Déterminée, elle ne se laisse pas abattre et décide d’ouvrir un compte OnlyFans afin de discuter avec des personnes qui payent pour la voir et la contacter. Mais avant de se sentir prête pour le « prince charmant », elle passe une nouvelle fois « sur le billard » pour se faire retirer 75% de l’estomac afin de perdre « ses kilos en trop ». Jessica a déjà subi de nombreuses interventions chirurgicales mais celle-ci s’avère particulièrement « flippante », selon le journal 20minutes

Le traitement médiatique du 20minutes est différent si la personne transgenre cispasse ou pas.

Ce dernier choisit un traitement médiatique particulier pour représenter cette femme transgenre en mettant en avant des thématiques précises telles que l’intimité, la sexualité et la corporalité. Mais ce n’est pas nécessairement toujours le cas, comme le démontre la représentation d’une jeune actrice transgenre de 26 ans qui jouit d’une notoriété dans le monde du cinéma et qui s’affiche comme une figure de proue de la communauté transgenre.

Première femme transgenre à apparaître en couverture du magazine féminin « Elle » aux États-Unis, Indya Moore rapporte se sentir suffisamment épanouie pour « affronter les regards sans détourner les yeux ». Avec son rôle dans la série à succès « Pose », elle espère avoir transmis un message d’espoir à ses fans et aux jeunes personnes transgenres. L’actrice parle de changer les mentalités et de réussir à s’accepter tel·le que l’on est. Si elle s’assume désormais à 100%, ce serait surtout grâce à la série « Pose » et à son équipe de tournage. Elle précise : « Avoir Janet Mock, une femme noire et trans, comme productrice était une chance ». 

Commérer pour s’assurer d’être normal·e

Si l’on s’attarde sur la représentation des personnes transgenre au sein de la rubrique people du quotidien 20minutes, on s’aperçoit que leurs traitements médiatiques diffèrent. Pourquoi et comment ce traitement varie ? Il est important de s’intéresser à l’une des fonctions sociales des rubriques people : le commérage. Comme dans un petit village où tout le monde se connait, les personnalités publiques présentes au fil des pages people génèrent une forme de commérage qui permet aux lecteurs et aux lectrices de se positionner par rapport aux autres. Selon la sociologue Léonore Le Caisne, le commérage permet « de s’assurer de sa propre normalité par opposition à celui sur lequel on commère » (2016 : 117). Mais commérer à propos d’autrui « autorise aussi des alliances et donc des distinctions », précise-t-elle. On en vient alors à se poser ce genre de questions : « Est-ce que je suis comme lui·elle ? Pourquoi agit-il·elle comme ça ? »


Le journal contribue à créer un accord commun au sujet des mœurs sociales à respecter. Il agit comme un reproducteur de normes sociales et notamment de normes de genre. Certaines de ces normes sont dénoncées par la communauté queer, à l’instar du cis-passing. Ce concept émerge dans les milieux transgenres pour désigner « le fait qu’une personne trans “passe“ comme une personne cis. On dira alors qu’elle cispasse ». Selon la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH) en France, cispasser est une nécessité dans une société transphobe car cela permet de ne pas subir davantage l’exclusion et la haine liées à la transidentité. Cette nécessité de masquer un changement de genre montre à quel point notre société valorise le fait de correspondre à un genre bien défini : homme ou femme, et c’est tout. La DILCRAH dénonce alors la valorisation du cispassing dans notre société, qui exclut les personnes transgenres dont la manière de se comporter et l’apparence physique ne correspondent pas au genre perçu. De plus, chaque personne transgenre n’a pas la possibilité de cispasser et n’a potentiellement pas envie de se conformer à certains stéréotypes de genre. Ces personnes courent le risque d’être victimes de formes de marginalisation et de violence.

Cis-passing 
Ce concept émerge dans les milieux transgenres pour désigner « le fait qu’une personne trans “passe“ comme une personne cis. On dira alors qu’elle cispasse. »

« OnlyFans est la plateforme sociale qui révolutionne les connexions entre créateurs et fans. Le site s’adresse aux artistes et aux créateurs de contenu en tous genres et leur permet de monétiser leur contenu tout en développant des relations authentiques avec leur fanbase. »

Cispasse ou trépasse

Le traitement médiatique du 20minutes semble donc différer en fonction de si la personne transgenre cispasse ou non. Le journal est-il alors un reflet de notre société ? Probablement. En tout cas, il participe à reproduire un cispassing en valorisant le fait de masquer sa transidentité. Tout d’abord, les corps ne sont pas montrés de la même manière. En dévoilant le corps en maillot de bain de Jessica Alvez et en insistant sur ses multiples interventions chirurgicales, le journal met l’accent sur son aspect plastique, et certainement pas naturel, voire « anormal ». Indya Moore, quant à elle, est représentée vêtue d’une robe couleur terre cuite, ses cheveux bouclés face au vent. Il est très difficile, sans lire l’article, de savoir qu’il s’agit d’une femme transgenre. En choisissant cette image, le quotidien met en avant la réussite de cette transformation. Écrits en gras « Enfin épanouie », le titre de l’article d’Indya et « En quête du mec idéal », celui de Jessica donnent, par association, un sens particulier aux images. D’un côté l’image d’une femme forte « qui s’assume » et de l’autre, celle d’une transgenre qui ne trouve pas l’amour à cause de son physique « altéré et peu enviable ». Amour, sexualité, opérations chirurgicales, sont autant de thématiques choisies pour parler de Jessica Alvez, qui semblent participer à la réduire à un corps sans esprit, suggérant que l’écart à la norme rend malheureux·se et qu’elle est seule responsable de ce qui lui arrive. A l’inverse, l’entretien avec Indya Moore mentionne régulièrement la thématique de la défense des minorités. Le journal explique qu’elle utilise son influence, durement gagnée via sa carrière professionnelle, pour donner de l’espoir à ses fans et de la visibilité à la cause queer

Si le fait de « refaire communauté » est présenté comme une nécessité pour les deux femmes, l’ouverture du compte OnlyFans de Jessica est davantage présenté comme résultant d’une exclusion sociale. En effet, son altérité ne semble plus tolérée dans le milieu genré de la séduction tant elle s’écarte d’un stéréotype de genre. A l’inverse, Indya Moore ne parle pas seulement de refaire communauté mais de changer les mentalités en s’assumant. En effet, se battre pour vivre « dignement » avec sa transidentité est le combat de l’actrice. 

Bien que le chemin vers le respect et la reconnaissance des minorités soit encore long dans une société qui marginalise les personnes transgenres, il semble alors qu’il ne sera pavé que par celles et ceux qui bénéficient d’un fort cispassing et qui peuvent utiliser les privilèges de sa valorisation.

Références

Le Caisne, Léonore. (2016). Quand l’inceste va sans dire. Sociétés & Représentations, 42, 111-126. https://doi.org/10.3917/sr.042.0111

Autres références

https://www.planning-familial.org/sites/default/files/2020-10/Lexique%20trans.pdf

https://www.dilcrah.fr/wp-content/uploads/2020/08/Guide-Transat-sur-les-transidentites.pdf

« En quête du mec idéal », 20 minutes, 28.07.2021, p. 12.

https://epaper.20minutes.ch/read/648/648/2021-07-28/13

Arnaud, Henry, « Enfin épanouie », 20 minutes, 06.05.2021, p. 13. 

https://epaper.20minutes.ch/read/648/648/2021-05-06/12

« Nouvelle opération flippante », 20 minutes, 03.06.2021, p. 10.

https://epaper.20minutes.ch/read/648/648/2021-06-03/11

Informations

Pour citer cet articleNom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2022, consulté le XX mois 2022. URL :
AuteurKevin Duc
Contactkevin.duc@unil.ch
Enseignement Séminaire Communication et espace public

Philippe Gonzalez, Joan Stavo-Debauge, Célia de Pietro