« Des choses pour filles et des choses pour garçons » : la socialisation culturelle genrée

Les femmes aiment lire des romans à l’eau de rose, les hommes préfèrent jouer aux jeux vidéo… Vraiment ? Y-a-t’il réellement une différence dans les goûts culturels des individus selon leur genre ? Si oui, cette différence est-elle innée, naturelle ? Selon les sciences sociales, la réponse est non.

Si l’on constate une différence entre les goûts et les pratiques culturelles des hommes et des femmes, cette différence n’a pourtant rien d’inné. Elle découle majoritairement d’un apprentissage constant durant l’enfance, appelé la socialisation culturelle genrée, c’est-à-dire « la formation de ses connaissances, de ses habitudes et de ses goûts dans le domaine de la culture » (Court et Henri-Panabière, 2012, p.6).

Une multiplication des acteurs de la socialisation culturelle genrée

En adoptant la vision d’Octobre nous pouvons identifier quatre acteurs centraux de la socialisation culturelle genrée durant l’enfance : les parents, la fratrie, les pairs et l’école.

Aujourd’hui, les situations de socialisation se complexifient. Selon Octobre et al., nous assistons notamment à une multiplication des acteurs de la socialisation, liée à des modifications de la sphère familiale. On constate également une baisse de l’influence des parents durant la socialisation et une augmentation de celle des pairs. En adoptant la vision d’Octobre nous pouvons identifier quatre acteurs centraux de la socialisation culturelle genrée durant l’enfance : les parents, la fratrie, les pairs et l’école.

La famille, un acteur privilégié

Le premier acteur de cette socialisation, et traditionnellement le plus étudié, ce sont les parents. Ceux-ci ont longtemps été considérés comme l’acteur principal et le plus influent au niveau culturel et genré. Pour Octobre la socialisation culturelle genrée issue des parents s’appuie sur trois mécanismes de l’assignation sexuée ; la représentation des sexes, le sexe des objets culturels et l’éducation implicite et explicite. Les représentations correspondent aux caractères que les parents associent à leurs enfants selon leur genre, et ainsi aux activités qu’ils tendront à leur proposer. Par exemple, les parents ont tendance à décrire leurs filles comme « calmes » et « créatives », et leurs garçons comme « énergique » et « combatif » et les inscriront à des activités qu’ils estiment correspondre à ces représentations. Le sexe des objets culturels, quant à lui, définit la catégorisation des pratiques culturelles selon les genres en fonction de l’usage réel de l’objet, mais aussi des modes de représentation de soi. Par exemple les loisirs créatifs, tels que le dessin et la peinture sont perçus comme typiquement « féminins ». Enfin le sexe de l’éducation implicite et explicite entre lui aussi en jeu à travers trois logiques ; la catégorisation du registre éducatif, la catégorisation sexuée de la pratique et le sexe du pratiquant. L’éducation explicite correspondant à ce que les parents veulent consciemment transmettre à leurs enfants et l’éducation implicite correspondant à l’idée d’imprégnation, c’est-à-dire d’imitation de la part de l’enfant de son parent sans forcément que le parent et l’enfant en aient conscience. Ces trois registres fonctionnent différemment en fonction des genres, mais également en fonction d’autres variables, notamment le milieu social et l’âge des individus. 

Qu’en est-il de la fratrie ? Ses membres ont trois rôles centraux ; ils sont supports de transmission passif, intermédiaires entre parents et copains et acteurs de la construction des goûts des individus. 

Selon Octobre et Berthomier la fratrie représente un intermédiaire dans le temps entre les parents et les copains. Ses membres ont trois rôles centraux ; ils sont supports de transmission passif, intermédiaires entre parents et copains et acteurs de la construction des goûts des individus. Et ceci se déroule à travers deux pratiques ; l’initiation aux pratiques culturelles et l’accompagnement aux pratiques culturelles, par exemple lors de sorties au cinéma. Cependant, à ces pratiques nous pouvons ajouter les sanctions symboliques. Ainsi, la fratrie peut encourager ou au contraire décourager une pratique en fonction de ses critiques, son admiration ou ses moqueries. De même Court et Henri-Panabière reviennent à l’idée d’imprégnation déjà évoquée plus haut en rapport avec les parents. Le genre entre évidemment en compte lorsqu’il s’agit du contenu de la socialisation, et ceci même si elle est faite par la fratrie, le sexe des objets culturels et la représentation des sexes restent importants. De même, le genre de la fratrie est très important ainsi que son âge, la différence d’âge entre ses membres et la position de l’individu dans la fratrie. Enfin, le genre de celui auquel on s’identifie dans l’éducation implicite et de celui qui éduque dans l’éducation explicite a une grande importance sur la transmission genrée. 

Les amis et l’école, des acteurs d’importance

Passons maintenant au groupe des pairs. Avec l’arrivée dans l’adolescence, les pairs prennent beaucoup d’importance au niveau de la socialisation culturelle. Leur influence est plus grande en matière d’activités en amateur hors de la maison et donc du cercle familial. Au niveau du genre, les filles ont plus tendance à partager leur avis, leurs goûts, à se conseiller des choses, elles sont plus réceptives que les garçons. Selon Court et Henri-Panabière la socialisation entre pairs fonctionne de manière semblable à la socialisation fraternelle « Au final, nos observations sur la socialisation fraternelle convergent donc avec ces résultats [ceux de Renard, 2011] sur la socialisation amicale » (2012, p.14).

Enfin, il reste à parler de l’influence de l’école en matière de socialisation culturelle genrée. L’école a pour avantage de permettre une grande démocratisation de l’accès à la culture dite légitime, notamment à travers des visites de musées, cependant elle est de ce fait associée à cette culture légitime. Cette association peut être défavorable à cette culture. En effet, durant le début de l’adolescence certains jeunes se détachent de l’école et la critiquent. Ainsi, la culture légitime pâtit de son association avec celle-ci. Cependant, ces éléments divergent en fonction des genres, les filles auront plus tendance à accepter l’école, à y être réceptives et donc plus positives dans leur rapport à la culture légitime. Les garçons par contre se retrouvent plus souvent dans le rôle de critiques de l’école, et ainsi leur rapport à la culture légitime se détériore fortement.

Articulations et négociations des influences : les enfants aussi acteurs

En conclusion, le genre est une variable dominante dans la socialisation culturelle durant l’enfance et ainsi influence les pratiques culturelles à l’âge adulte. Il s’ajoute en ce sens à d’autres variables importantes de la socialisation telle que la classe sociale par exemple. Il est important de se rappeler que la socialisation culturelle durant l’enfance est le résultat de l’influence de divers acteurs, non seulement issus de la famille, mais également extérieurs à celle-ci.

Ces assignations ne sont pas définitives et absolues, les enfants ont des stratégies et des moyens afin d’arbitrer ce qu’ils désirent ou non retenir.

Enfin, notons que comme le mentionnent Court et Henri Panabière, les enfants sont amenés à procéder à des articulations des différentes socialisations. Ainsi, plusieurs aménagements sont possibles, allant du fait de privilégier l’une ou l’autre des socialisations en cas de contradiction, à un effet de renforcement dans le cas contraire. Ces assignations ne sont pas définitives et absolues, les enfants ont des stratégies et des moyens afin d’arbitrer ce qu’ils désirent de retenir ou non des diverses influences qui pèsent sur eux. Ce ne sont pas des pages blanches sans aucune volonté sur lesquelles les acteurs de la socialisation peuvent inscrire ce qu’ils désirent. Octobre et al. précisent que ces arbitrages se font différemment en fonction du genre, les filles auraient ainsi plus tendance au renforcement, tandis que les garçons fonctionneraient par substitution. De même, le contenu et les manières d’influencer sont différents en fonction du genre du récipient. Cependant, elle constate une tolérance plus grande à l’égard des filles que des garçons pour les pratiques culturelles. Une fille pratiquant les jeux vidéo est acceptée plus facilement qu’un garçon pratiquant la danse classique par exemple.


Références

Court M. et Henri-Panabière G. (2012). La socialisation culturelle au sein de la famille : le rôle des frères et sœurs. Revue française de pédagogie, 179, 5-16.

Octobre S. et al. (2011). La diversification des formes de la transmission culturelle : quelques éléments de réflexion à partir d’une enquête longitudinales sur les pratiques culturelles des adolescents. Recherches familiales, 1(8), 71-80.

Octobre S. (2011). Du féminin et du masculin, Genre et trajectoires culturelles. Réseaux, 4(168-169), 23-57.

Octobre S. (2010). La socialisation culturelle sexuée des enfants au sein de la famille. Cahiers du genre, 2(49), 55-76.Octobre S. & Berthomier N. (2012). Socialisation et pratiques culturelles des frères et sœurs. Informations sociales, 5(173), 49-58.

Informations

Pour citer cet articleNom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2021, consulté le XX mois 2021. URL :
AutriceMarie Reynard, étudiante en Master en sciences sociales
Contactmarie.reynard@unil.ch
EnseignementAtelier Écriture scientifique

Felix Bühlmann

© Illustration : Sandy Millar, Unsplash