Le « droit aux origines » : du domaine de l’adoption à celui de la PMA. Histoire, enjeux et controverses

Le présent article porte sur la table ronde « Le droit aux origines en pratique », organisée dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé : « Le ‘droit aux origines’ : du domaine de l’adoption à celui de la PMA. Histoire, enjeux et controverses », le 3 juin 2021 par l’Institut des humanités en médecine (CHUV/UNIL).

Table ronde animée par Catherine Fussinger

Compte-rendu par Sara Mallén González

La table ronde « Le droit aux origines en pratique » a été organisée dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé : « Le ‘droit aux origines’ : du domaine de l’adoption à celui de la PMA. Histoire, enjeux et controverses », le 3 juin 2021 par l’Institut des humanités en médecine (CHUV/UNIL) 1,2

Processus de procréation

Laure de Jonckheere, invitée à la table ronde, est conseillère en santé sexuelle au centre de CPMA (Centre de Procréation Médicalement Assistée) à Lausanne. Elle travaille spécifiquement sur la question des origines en lien avec le don de sperme. Elle accompagne et prépare les personnes qui veulent devenir parents ayant recours au don de sperme, ainsi que les enfants nés de cette conception et qui décident de partir à la recherche de leurs origines. 

Pour les couples qui rencontrent des problèmes de fertilité et qui décident de se tourner vers le don de sperme, le CPMA organise une première rencontre obligatoire avec les concerné·e·s. Ces derniers et dernières arrivent au centre à des différents moments de leur vie ; l’infertilité est parfois connue, tandis que d’autres l’apprennent infertilité au cours de ce processus. À ce moment-là, les conseillers et conseillères aident le couple à accueillir et accepter la notion d’infertilité, leur expliquent la stérilité, les mécanismes corporels en jeu, et comment ils peuvent envisager la suite, soit le recours au don de sperme.

Alors, la personne doit “repenser son scénario”, c’est-à-dire que suite à l’annonce de l’infertilité, elle doit déconstruire son idéal familial, donc son projet de famille, qu’elle s’était construit dans un premier temps. Vient ensuite la question du mariage, surtout pour les couples lesbiens. En effet, aujourd’hui en Suisse, il est encore demandé d’être marié·e·s afin de procéder à un don de sperme. De nouvelles questions émergent donc au sein de certains couples qui ne seraient pas unis par le mariage : Se marie-t-on ou pas ? Part-on à l’étranger pour recourir au don de sperme, sans avoir besoin de se marier ? Laure de Jonckheere accompagne également les personnes dans ce questionnement. Elle explique ensuite que des questions surgissent souvent lors de l’entretien obligatoire, telles que : comment s’est construit le désir d’enfant ? Est- ce qu’il faut annoncer à l’enfant ses origines ? Comment aborder cette question ? Quel est le bon moment pour le faire ? Ces mêmes questionnements sont également posés aux futurs parents, de façon à ce qu’ils soient préparés au mieux pour traverser cette étape. 

Les personnes adoptées et les enfants conçus par don de sperme se retrouvent dans le même besoin de combler un vide, celui de savoir d’où ils viennent

Laure de Jonckheere explique que pendant de nombreuses années, une culture du secret a entouré le processus de don du sperme. En effet, en parler et y recourir était considéré comme honteux, cela ne devait pas se savoir. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’aujourd’hui cette culture du secret n’existe plus. Elle est encore bien présente, mais moins répandue. 

Des parallèles avec l’adoption

Marion Tièche, psychologue-psychothérapeute, explique à son tour qu’il existe une grosse différence entre les personnes adoptées et les personnes conçues par don de sperme. Pour ces dernières, la notion d’abandon – ou cette zone d’ombre qui peut être présente chez les personnes adoptées – serait moins présente : il y aurait moins de « pièces manquantes ». Cependant, selon elle, les personnes adoptées et les enfants conçus par don de sperme se retrouvent dans le même besoin de combler un vide, celui de savoir d’où ils viennent. 

Ainsi, les personnes voulant se reconnecter à leurs origines peuvent le faire de différentes façons, en faisant un voyage dans leur pays d’origine ou en apprenant sa langue par exemple. Selon elle, la rencontre du parent biologique n’est pas le but ultime de la recherche d’origine. 

Une question de droit(s)

Christian Nanchen, juriste, chef du Service cantonal de la jeunesse de l’État du Valais, affirme qu’aujourd’hui, il est très important, dans la recherche des origines et pour le CPMA, de conserver l’information du donneur, donc son identité, ainsi que de respecter le rythme de chaque personne. Il précise qu’il y a toujours cette recherche des origines et que c’est un droit personnel. Le choix revient donc à l’enfant et non aux parents. Cette possible décision prise par l’enfant est une information importante qui doit être communiquée au donneur. Laure de Jonckheere affirme qu’il est essentiel aujourd’hui que le donneur de sperme soit au courant que plusieurs années après son don, l’enfant pourrait vouloir entreprendre des recherches d’origines et donc vouloir le rencontrer. Le CPMA accorde une grande importance au fait d’avertir et de conscientiser les donneurs à ce sujet. 

Aujourd’hui, dans la recherche des origines et pour le CPMA, il est très important de conserver l’information du donneur, donc son identité, ainsi que de respecter le rythme de chaque personne.

Cependant, la Suisse rencontre un problème concernant la quête des origines. Cora Graf-Gaiser, avocate et Cheffe de l’OFEC (l’Office Fédérale de l’État Civil), explique que dans le registre de l’état civil, il est important que les parents génétiques, donc les donneurs ou également appelés parents “d’intention”, aient un lien juridique suisse. Un enfant né par don de sperme en Suisse a le droit de connaître son ascendance. Cependant, il existe des couples qui vont chercher des donneurs à l’étranger et à ce moment-là, l’OFEC ne peut pas fournir ces informations, car les parents d’intention ne sont pas enregistrés en Suisse. Pour que les parents adoptifs créent un lien de filiation juridique avec l’enfant, il faut que chaque rôle (donneur, donneuse, mère porteuse, père et mère adoptifs) soit clarifié dans le registre de l’état civil. De cette façon, l’enfant reçoit toutes les informations nécessaires si celui-ci décide de partir à la recherche de ses origines. 

La table ronde se conclut en mentionnant quelques enjeux en ce qui concerne le don de sperme et l’adoption en Suisse. Les invité·e·s s’accordent sur le fait qu’il faut encore favoriser l’information concernant les donneurs, notamment entre Cantons. Puis, au niveau juridique, Sandra Hotz, avocate à Zürich spécialisée en droit de la médecine, de la famille et de l’égalité, a insisté sur le fait qu’il n’est pas nécessaire d’inscrire le nom de la mère porteuse dans le registre de l’état civil. En effet, ces femmes sont dans la plupart des cas étrangères et ne veulent pas forcément devenir mères, ni voir ce statut figurer sur leurs papiers. En Suisse, il est néanmoins obligatoire pour ces femmes de réaliser cette procédure. Dès lors, l’avocate suggère qu’il serait important de revoir cette loi, car elle estime que cette dernière diminue le droit au choix des mères porteuses. Enfin, la table ronde s’est terminée sur des questions concernant l’avenir du don de sperme et de l’adoption et l’enjeu de comment mieux accompagner les personnes voulant y avoir recours ou les enfants nés par le biais de cette procédure.

Notes

1 Organisateurs·trices du cycle de conférences : C. Fussinger, IHM – CHUV & FBM – UNIL ; V. Boillet, Centre de droit public, Faculté de Droit, UNIL ; M. Roca I Escoda, Centre en études genre, SSP-UNIL ; N. Bühler, SSP-UNIL ; G. Barazzetti, IHM – CHUV & FBM – UNIL & CoLaboratoire-UNIL ; A. Ziegler, Centre de droit comparé européen et international, Faculté de Droit, UNIL.

2 Intervenant·e·s à la table ronde : Cora Graf-Gaiser, avocate et cheffe de l’Office Fédéral de l’État Civil – Office fédéral de la justice ; Sandra Hotz, avocate à Zürich, spécialisée en droit de la médecine, de la famille et de l’égalité, ainsi que professeure de droit civil et de la santé à l’Université de Neuchâtel ; Laure de Jonckheere, conseillère en santé sexuelle et reproductive, sexologue, accompagnante psychologique des couples et des personnes confrontées au désir d’enfant, à l’infertilité et aux traitements de PMA (dont les questions liées au don de sperme), exerce au CPMA à Lausanne, centre médical de fertilité, et est également membre de FertiForum ; Christian Nanchen, juriste et Chef du Service cantonal de la jeunesse de l’État du Valais ainsi que membre de la Conférence Latine des Autorités Centrales en matière d’Adoption (CLACA) ; Marion Tièche, psychologue-psychothérapeute, collaboratrice d’Espace A, association qui offre conseils et soutiens dans le domaine de l’adoption, de l’accueil familial et de la PMA et membre de FertiForum. 

Informations

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