Notre couleur préférée révèle-t-elle notre personnalité ?

Une équipe de l’Institut de psychologie de l’UNIL s’est penchée sur la question afin d’expérimenter rigoureusement les tests qui circulent dans les magazines.

Une équipe de l’Institut de psychologie de l’UNIL s’est penchée sur la question afin d’expérimenter rigoureusement les tests qui circulent dans les magazines. Plongée dans la mise en œuvre de l’étude et des travaux menés par les scientifiques du labo Colour Experience.

« Qu’est-ce que votre couleur préférée révèle de votre personnalité ? Pas grand-chose.» C’est le titre d’une recherche menée par Domicele Jonauskaite, Amber G. Thalmayer, Lauriane Müller et Christine Mohr de l’Institut de psychologie. Après avoir vu plusieurs revues proposant des tests de personnalité sur la base de couleurs, les psychologues ont voulu en avoir le cœur net : « Nous avons souvent lu par exemple que les personnes qui préfèrent le rouge seraient plus extraverties. Plusieurs sites dans des langues différentes affirmaient ces mêmes idées. Une vérité pouvait-elle donc se cacher là-derrière ? » Elles se sont alors elles-mêmes retroussées les manches pour se charger de mener l’étude. 

Démystifier grâce à une méthodologie rigoureuse

La recherche de l’équipe de Colour Experience a tout d’abord répertorié six sites Internet en anglais, allemand et français. Ils contenaient tous des tests pour découvrir sa personnalité sur la base de préférences de couleurs. Onze hypothèses ont pu être tirées de ces sites, telles que « les personnes préférant le bleu sont calmes et fiables ». Les descriptions ont ensuite pu être traduites en traits de personnalités scientifiques en utilisant une analyse lexicale des résultats. Dans la deuxième partie de la recherche, 323 participants ont rempli un questionnaire en annonçant leur couleur préférée. Leur personnalité a ensuite été mesurée grâce au test QB6, qui analyse les traits indépendants suivants : ouverture à l’expérience, tendance à être consciencieux, extraversion, agréabilité, neuroticisme et honnêteté. 

Résultat :  non seulement les couleurs préférées variaient énormément d’une personne à l’autre, mais elles ne dépendaient aucunement de la personnalité des individus. Aucune des 11 hypothèses n’a pu être démontrée et aucun autre lien n’a pu être confirmé.

À quoi bon en faire tout un plat ?

Des résultats qui montrent l’absence d’un effet, comme ici, sont pourtant tout aussi importants que les découvertes qui nous font crier: « Eureka ! » par-dessus les balcons. Une avancée scientifique ne peut se faire qu’en tenant compte de l’entièreté des informations, détaille Domicele Jonauskaite, première autrice de l’étude : « De nombreuses croyances circulent dans notre société et peuvent servir de levier pour des outils de marketing. Il est donc important de tester rigoureusement ces affirmations pour apporter de la clarté. » La publication de résultats négatifs est nécessaire à la méthode scientifique sur plusieurs plans. Si une même recherche est menée plusieurs fois dans différents laboratoires et que seuls les résultats positifs sont publiés, nous pourrions penser à tort que l’effet est significatif. Publier les résultats négatifs permet ainsi de prendre du recul sur les découvertes annoncées et de surpasser les biais, y compris statistiques, qui sont exacerbés si la globalité des recherches n’est pas considérée. Ce n’est pas tout, puisque publier des effets négatifs permet aussi de ne pas perdre son temps (qui peut facilement se mesurer en années) à refaire une étude qui a déjà été testée par un autre groupe. Toutes ces bonnes raisons de publier des effets négatifs encouragent de plus en plus les revues à avoir des sections dédiées, ou même des journaux entièrement spécialisés dans les résultats négatifs.

La médiatisation d’un résultat non significatif est tout aussi importante et sous-représentée aujourd’hui. Non seulement elle apporte une information au même titre qu’un effet positif, mais elle a aussi la faculté de faire la chasse à la désinformation qui court dans nos pages Internet aujourd’hui. Domicele Jonauskaite, elle, se contente de faire son travail scientifique : « Il faut une certaine personnalité pour lutter contre la désinformation. Je préfère élargir les connaissances scientifiques pour que les personnes qui souhaitent le faire aient les renseignements rigoureux nécessaires. »

Il y a quand même des effets à se mettre sous la langue

La chercheuse, qui a aujourd’hui obtenu une bourse mobilité du FNS pour collaborer avec l’Université de Vienne, a tout de même des choses à nous dire : « Nous avons trouvé un haut degré de similarité au travers des cultures en ce qui concerne la manière de lier des couleurs avec des émotions. C’est comme un langage universel : dans toutes les langues par exemple, les teintes claires sont associées avec la joie et les foncées avec la tristesse. » Lorsqu’on lui demande ce qui pourrait bien expliquer cet effet, elle répond : « Ce n’est qu’une hypothèse, mais cela pourrait être dû au partage universel de l’environnement. Nous voyons tous un ciel bleu, des nuits noires et un soleil jaune. Ces couleurs sont associées avec des expériences et émotions distinctes. » D’ailleurs, elle a aussi montré dans une précédente étude que les pays moins ensoleillés associent plus facilement le jaune à la joie. À cette base universelle s’ajoute une couche culturelle, les classifications se ressemblant davantage entre pays voisins géographiquement et linguistiquement. Avec des particularités traditionnelles : le deuil par exemple est très généralement lié au noir, mais est représenté par le violet en Grèce et par le blanc en Chine.

Pas besoin de voir les couleurs pour y être sensible

Aujourd’hui, la chercheuse travaille avec des personnes non voyantes : « J’étais étonnée de constater l’importance donnée à la concordance des coloris de leurs habits. Les teintes sont utilisées consciemment pour exprimer leur personnalité, ce qui donne une indication sur leur rôle dans nos vies. » Les couleurs peuvent être étudiées de mille et une façons, se réjouit la psychologue : « L’interdisciplinarité est facile. C’est un domaine qui intéresse beaucoup de monde et il reste beaucoup à faire. » La chercheuse n’est donc pas prête à arrêter de nous en faire voir de toutes les couleurs.

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