«Je veux donner aux jeunes un nouvel horizon»

De passage à l’UNIL, le réalisateur Cyril Dion évoque l’angoisse ressentie face la crise écologique et révèle ses astuces pour « tenir bon ».

De passage à l’UNIL à l’occasion d’une projection de son dernier film Animal, le réalisateur Cyril Dion témoigne de l’angoisse que peut susciter la crise écologique. Il révèle ses astuces pour « tenir bon ». Entretien.

Comment vivre avec l’idée que la Terre sera possiblement inhabitable d’ici 40 à 50 ans ? Où trouver des ressources pour mieux repartir ? Et, en tant que parent ou enseignant, de quelle façon aborder les crises environnementales avec les jeunes ? Telles étaient les questions soulevées le 8 juin lors d’une table ronde organisée à l’UNIL à laquelle le réalisateur Cyril Dion était invité (lire l’encadré plus bas). Ouvert au grand public, cet échange a été précédé d’une projection sur le campus du film Animal (2021), dernière production de cet auteur français. Un documentaire qui traite du phénomène de l’extinction de masse des espèces à travers le regard de deux jeunes militants du climat.

Fraîchement arrivé de Paris (en train) cet après-midi-là, cette figure du mouvement écologiste, plutôt sympathique, a accepté de répondre aux questions de l’uniscope en ligne, le temps de vapoter quelques minutes avant le début de la conférence, sur la terrasse de l’Anthropole.

Cyril Dion, dans votre documentaire Animal, vous emmenez Bella et Vipulan, deux militants du climat de 16 ans, dans un voyage à travers le monde pour comprendre le phénomène de l’extinction de masse des espèces. Pourquoi avoir choisi de présenter cette problématique à travers le regard de ces ados ?

J’avais envie de raconter l’histoire de cette génération qui a l’impression de ne pas avoir de futur. En participant à plusieurs grèves pour le climat, j’ai été très touché de voir le sentiment d’impuissance qu’ils et elles avaient, leur anxiété, leur désespoir. À leur âge, on a besoin de se projeter dans l’avenir, un avenir que l’on a envie de construire. J’ai donc voulu proposer un film qui puisse leur redonner un horizon, et leur montrer que manifester ne suffit pas. Il faut agir sur le terrain, pour que notre action serve d’exemple (ndlr: comme le fait d’aller nettoyer une plage recouverte de plastiques). Pour le public, voir le monde à travers le regard d’adolescents, qui ont les yeux du XXIe siècle, permet aussi de l’appréhender un peu autrement.

En plus de dénoncer un bilan écologique catastrophique, votre film révèle des images très dures, voire choquantes, montrant la souffrance animale… Ne craignez-vous pas de les déprimer encore plus ?

D’une certaine façon, il est normal de ressentir de la tristesse, de la colère, de la peur. Cela montre que nous prenons conscience de ce qui est en train de se produire. Et sinon, nous n’aurions aucune raison de réagir. Les émotions, du point de vue étymologique, c’est ce qui nous met en mouvement. Mes films sont construits de façon à réveiller une forme de révolte puis, une fois qu’elle est là, à susciter de l’enthousiasme, de l’espoir, de l’émerveillement. Le but, bien sûr, n’est pas de laisser les spectatrices et spectateurs écrasés par des sentiments négatifs.

Dans quelques minutes, vous participerez à une table ronde consacrée entre autres à l’éco-anxiété. Aujourd’hui, la recherche montre que plus de la moitié des jeunes considèrent l’humanité comme « condamnée », se sentent apeurés, tristes, anxieux, en colère, sans défense ou coupables. Quatre sur dix hésitent à avoir des enfants. Qu’avez-vous envie de leur dire ?

Allez voir Animal ! (rires) Plus sérieusement, j’aimerais leur dire que de nombreuses générations ont vécu des périodes compliquées. Je pense aux adolescents et adolescentes durant les deux guerres mondiales. Pour moi, c’était plutôt le sida, le chômage. Les jeunes actuels sont confrontés à un défi inédit, qui est l’urgence écologique. Se construire avec cette conscience peut aider à développer un nouveau regard et faire émerger une société différente. C’est angoissant mais aussi enthousiasmant de vivre un moment charnière. Et puis, ce n’est pas parce que le monde va extraordinairement mal qu’il faut s’empêcher de vivre des moments d’amour, d’amitié, de passion. Juste avant, j’étais sur ce campus, face au lac. J’ai trouvé ce cadre magnifique. C’est grâce à cette énergie que nous pourrons résoudre un certain nombre de problèmes. Déprimés et abattus, nous ne pourrons rien faire.

Êtes-vous éco-anxieux ?

Je suis quelqu’un d’hyperangoissé. L’éco-anxiété n’est donc qu’une partie de mon anxiété.

Quel est votre « truc » pour ne pas vous laisser submerger et aller de l’avant ?

J’essaie de vivre un maximum dans le présent. Je compare souvent la peur de l’effondrement à la peur de la mort. Nous savons tous que nous mourrons à un moment ou un autre. Pourtant, nous n’y pensons pas chaque matin. Parfois, le fait d’en avoir conscience peut nous stimuler, nous donner envie de vivre plus intensément. C’est pareil avec la crise écologique. Je m’efforce à me demander : comment puis-je chaque jour devenir un peu plus vivant ? et comment puis-je rendre le monde un peu plus vivant ? Car c’est cela, l’enjeu : réussir à opposer des dynamiques de vie à des dynamiques de mort.

Vous êtes réalisateur mais aussi poète. Vous avez publié cette année votre recueil À l’orée du danger. Pour vous, l’écriture est-elle une forme d’exutoire ?

Pour moi l’art est un moyen de se reconnecter à l’essentiel et d’exprimer, par soi-même ou par procuration à travers la création des autres, des sentiments qui ne trouvent pas de place dans la société ou la vie de tous les jours. Donc, oui, absolument, la poésie est pour moi une béquille. Elle me permet de maintenir une sorte d’équilibre.

En ce moment, vous êtes très actif. Vous parcourez la France et parfois d’autres pays pour donner des conférences, présenter des spectacles. Vous travaillez sur une nouvelle série, bientôt diffusée sur Arte. Vous lancez, avec Marion Cotillard Newtopia, une nouvelle société de production…

Oui, le but de Newtopia est de financer et produire un maximum de films et séries qui proposent d’autres imaginaires de l’avenir. Parce que cette bataille est aussi culturelle. Nous voulons porter et valoriser un ecological way of life, comme l’a été l’American way of life après la Seconde Guerre mondiale. Car si nous ne sommes pas capables d’imaginer le monde différemment, je ne vois pas comment nous pourrions le construire autrement.

Et comment fait-on pour conserver un ecological way of life quand on mène une vie aussi riche que la vôtre, avec autant de voyages, d’activités et de projets ?

Mon quotidien n’est pas très énergivore. J’habite à Paris dans un appartement assez petit. J’achète peu de choses. Je prends beaucoup le train, même pour aller à Cannes, contrairement à certains de mes camarades ! Sinon, je ne me déplace quasiment qu’à vélo. En septembre, je prendrai l’avion pour aller à l’Université de Stanford (en Californie), où nous lançons un grand programme pour 1800 élèves basé sur Animal. Mais je n’utilise jamais ce moyen de transport dans ma vie personnelle. Mes enfants ont 17 et 14 ans et n’ont pris l’avion qu’une fois dans leur vie. C’est vrai qu’en ce moment je cuisine peu. Je mange souvent à l’extérieur, dans des cafés, des restaurants. Mais je les choisis bien.

En septembre, le peuple suisse votera sur une initiative exigeant la fin de l’élevage intensif. La possible conséquence d’une baisse de production a été soulevée. Dans Animal, un éleveur de lapins le dit lui-même : il y a beaucoup de gens à nourrir, donc il faut produire. Qu’en pensez-vous ?

La question, c’est nourrir comment ? Aujourd’hui, de nombreuses études montrent que nous pourrions alimenter la totalité de l’humanité avec un agriculture plutôt biologique et régénératrice, à condition de réduire considérablement notre consommation de produits d’origine animale. Manger beaucoup de viande ou de poisson n’est pas nécessaire. Mais cela, il faut pouvoir l’entendre.

Deux heures d’échanges et de discussion

Organisé en partenariat avec le Centre de compétences en durabilité de l’UNIL, le Centre de recherche sur la Famille et le Développement de l’Institut de psychologie et le Réseau ALUMNIL, l’échange entre Cyril Dion et le grand public a eu lieu durant deux heures sous la forme d’une table ronde.

Plusieurs chercheurs et chercheuses de l’UNIL y ont participé : Célia De Pietro, qui consacre sa thèse au mouvement Extinction Rebellion à l’Institut des sciences sociales, la doctorante Sarah Koller de l’Institut de géographie et de durabilité, (qui travaille au sein de l’Espace transitions lancé début mai par le Centre de compétences en durabilité), ainsi que le professeur Grégoire Zimmermann de l’Institut de psychologie. Les discussions ont été dirigées par Nelly Niwa, directrice du Centre de compétences en durabilité.

Cet événement a permis d’inaugurer le Symposium Adolescence 2022, consacré à la jeunesse et au réchauffement climatique, qui s’est tenu le 9 juin.

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