Un doctorant mordu de rivières

Rencontre avec Matteo Roncoroni, un doctorant qui étudie les cours d’eau alpins et se passionne pour la pêche à la mouche.

Matteo Roncoroni, de la Faculté des géosciences et de l’environnement à l’UNIL, effectue une thèse sur les biofilms dans les cours d’eau glaciaires et pratique avec passion la pêche à la mouche. Portrait.

En traversant un ruisseau pieds nus ou en marchant sur une plage de galets, vous avez peut-être déjà glissé à cause de la substance brun-vert un peu gluante que l’on trouve sur la surface des cailloux. C’est précisément cette matière-là, les biofilms, une matrice adhésive sécrétée par une communauté multicellulaire complexe (bactéries, algues, champignons ou protozoaires), que Matteo Roncoroni étudie dans le cadre de sa thèse entamée en 2018 à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre.

Pandémie oblige, ce n’est pas au bord de la Sorge que nous faisons la connaissance de ce sympathique doctorant, mais par écrans interposés, chacun chez soi (il vit à un jet de pierre du campus de Dorigny). Son compte Instagram (@swissflyfisherman), géré d’une main de maître, nous aide aussi à nous faire une idée de ce scientifique qui semble passer ses journées les pieds dans l’eau des ruisseaux de montagne, autant pour son travail que pour son hobby principal, la pêche.  

Très bon vulgarisateur, aux explications brèves et efficaces teintées d’un petit accent tessinois – il est originaire de la région verdoyante du Mendrisiotto – il s’excuse de parfois chercher ses mots, lui qui a plutôt l’habitude d’utiliser l’anglais pour évoquer ses recherches. Pourtant tout est limpide. « Je travaille sur les biofilms présents dans les environnements glaciaires, en haute montagne », précise-t-il. Pour cela, il effectue son travail de terrain pendant la période estivale aux abords du glacier d’Otemma, au fin fond du val de Bagnes en Valais, à l’instar de la majorité des chercheurs qui, comme lui, sont rattachés au groupe AlpWISE (Alpine Water, Ice, Sediment and Ecology), dirigé par le professeur à l’UNIL Stuart Lane. AlpWISE cherche à étudier les impacts du changement climatique rapide et des activités humaines sur toutes les composantes des paysages alpins. Le groupe de chercheurs établit un camp de base estival tous les étés, depuis 2017. En 2020, cela avait été le cas de la mi-juin à la mi-septembre. Le couvert sera remis dès le mois de mai 2021.

Matteo Roncoroni tient un caillou recouvert de biofilm.
En gros plan, une pierre recouverte de biofilm, tenue par Matteo Roncoroni. © Davide Mancini, également doctorant à la Faculté des géosciences et de l’environnement.
Les biofilms, petits ingénieurs de l’écosystème ?

Le Tessinois cherche à comprendre comment l’environnement de la vallée glaciaire d’Otemma, surtout la plaine alluviale située en aval du glacier, détermine où les biofilms (dont on peut dire qu’ils forment la base de la chaîne alimentaire du cours d’eau) peuvent prospérer. Il a formulé différentes hypothèses. Tout d’abord, « on observe qu’aux endroits où le cours d’eau sort directement du glacier, avec un fort débit et bien chargé en sédiments, on ne trouve pas de biofilms, sauf lorsque la puissance de l’eau est réduite en automne ou juste avant la fonte des neiges. On voit aussi qu’ils s’installent bien dans les zones où l’eau s’écoule par les versants, car cette dernière ne les érode pas continuellement. Et là on remarque que la végétation se développe à côté des chenaux. » Selon Matteo Roncoroni et ses collègues, les biofilms créeraient une couche imperméable permettant à la végétation de s’installer.

En découle une autre hypothèse : les biofilms fertiliseraient les sédiments déposés par le recul glaciaire (à la base très pauvres en nutriments), ce qui permettrait à de petites plantes et à d’autres organismes de vivre. « Nous présumons que les biofilms agissent comme des ingénieurs de l’écosystème, capables de tourner une condition naturelle à leur avantage, mais aussi d’en faire bénéficier d’autres espèces vivantes », avance l’universitaire de 29 ans.

Des drones au service de la science

Là-haut à Otemma, celui qui a effectué un Bachelor suivi d’un Master en géographie physique à l’UNIL utilise des drones comme outil de travail. Ces derniers lui permettent de modéliser la morphologie du terrain et de cartographier l’évolution des biofilms immortalisée pendant l’été 2020, l’idée étant de créer une série temporelle sur leur développement, indique Matteo Roncoroni, déjà familier de ces petits aéronefs : pour son travail de master (également dirigé par Stuart Lane), il les avait utilisés pour élaborer un système permettant de cartographier les frayères, zones de reproduction des salmonidés.

Drone en pleine action à Otemma. © Matteo Roncoroni

Le Lausannois d’adoption, dont la tâche hivernale est notamment d’élaborer ces cartes à l’ordinateur, se réjouit de mener une autre expérience durant la belle saison 2021 à Otemma : il fera s’écouler de l’eau sur des sédiments placés au fond de canaux en PVC (6 mètres de long et 30 centimètres de large) et y laissera les biofilms se développer. « On pourra mesurer par exemple à quelle vitesse l’eau devient destructrice pour les biofilms, ou encore déterminer l’impact de ces derniers sur le phénomène d’infiltration d’eau dans les sédiments. Ce sera plus difficile de faire cela en pleine nature plutôt qu’en laboratoire, où toutes les conditions sont contrôlées », explique le chercheur.   

Matteo Roncoroni terminera sa thèse en 2022. Les recherches qu’il aura menées devraient servir à bousculer le paradigme en place qui affirme que pendant l’été, en haute montagne, les biofilms et les macro-invertébrés qui s’en nourrissent ne s’installent pas dans ces zones car les cours d’eau glaciaires sont trop puissants et charrient trop de sédiments. « Si nous réussissons à démontrer que même à la belle saison il existe des zones assez stables permettant au biofilm de se développer, ce serait une nouvelle découverte, oui, affirme le scientifique au pied montagnard. Si cette hypothèse se confirme, on pourrait avancer que les biofilms ont tenu un rôle important, par exemple après les grandes glaciations du passé. Quand les glaciers ont fondu peu à peu, ce sont peut-être ces matrices qui ont aidé la végétation à réinvestir ces zones inhospitalières. »

Pêcher dans les Rockies

La passion de Matteo Roncoroni pour la nature et ses mystères remonte à son enfance. Déjà tout petit, il dévorait des reportages sur les dinosaures et les fossiles. Puis « la découverte de la pêche m’a fait encore plus aimer l’environnement, et surtout les cours d’eau et la vie cachée qu’ils abritent ». Il se rappelle : « J’avais sept ans et j’étais en Corse avec mes parents. Ma mère m’a acheté, sans me demander mon avis, une canne à pêche en bambou. Son père, que je n’ai pas connu, pêchait, donc cela explique son initiative. En tout cas, c’est devenu à partir de ce moment la plus grande passion de ma vie. Je la remercierai toujours ! » Lorsqu’il tente de faire mordre les poissons à l’hameçon, il se sent comme à l’école. « J’apprends toujours quelque chose en étant dans la rivière, soit lorsque j’y travaille, soit quand j’y pêche. C’est complémentaire. »

Matteo Roncoroni en train de pêcher dans le Colorado, aux États-Unis. © Jonathan Molina

Notre interlocuteur aime l’aspect très simple de cette pratique : « Pour pêcher des truites dans les rivières, il faut simplement une canne à pêche, une ligne spécifique appelée « soie », un moulinet, des bottes hautes et une boîte pleine de mouches (au stade soit larvaire, soit adulte). Si on veut attraper des poissons en mer, cela nécessite des leurres différents et des cannes bien plus grandes et parfois plus coûteuses. »

En Suisse, Matteo Roncoroni pratique sa passion essentiellement dans des vallées sauvages du Tessin, dont il fait partie du club de pêche à la mouche. « Mais cela reste de petits territoires. » Pour étancher sa soif de wilderness, l’environnementaliste a effectué plusieurs voyages aux États-Unis et un au Canada, exclusivement pour pêcher.

« Dans notre milieu, des spots sont réputés incroyables : le Kamtchatka en Russie ou les Seychelles, par exemple. Mais ça coûte très cher, ce sont des lieux pour l’élite. En Amérique du Nord, au contraire, j’y vais seul ou avec des amis, sans guide. Je dors sous tente ou dans des motels. Et les paysages sont incroyables et immenses ! » commente avec des étoiles dans les yeux cet amoureux des Montagnes-Rocheuses.

Truite arc-en-ciel pêchée aux États-Unis
Truite arc-en-ciel pêchée aux États-Unis. © Jonathan Molina
Le Tessin, gravé dans son cœur

Le doctorant se passionne également pour la bière artisanale. Et pas seulement du point de vue gustatif. Chez lui, avec son colocataire, également doctorant tessinois, ainsi que deux autres amis, ils brassent leurs propres cervoises le dimanche, qu’ils boivent ensuite ou offrent à leurs proches. « On produit surtout des IPA (India Pale Ale) car on adore ça. Et parfois on expérimente de nouvelles choses. De temps en temps, c’est buvable, mais beaucoup de fois, c’est… horrible », rigole le pêcheur amateur.

Et son avenir, comment Matteo Roncoroni l’imagine-t-il ? Il souhaiterait poursuivre sa lancée avec un postdoctorat, pourquoi pas à l’étranger. « Mon autre rêve serait de revenir au Tessin et d’apporter ma pierre aux cours d’eau de ce canton que j’aime tant. » 

Bio express
  • 1992 : naissance le 22 février à Balerna (Tessin) ; les férus d’astrologie y verront un signe
  • 1999 : découverte de la pêche, en Corse
  • 2013 : début des études à l’UNIL, en géographie physique
  • 2018 : commencement de son doctorat à l’UNIL en sciences de l’environnement… et voyage de pêche marquant au Montana, Idaho et Wyoming (USA)
  • 2019 : publication de son mémoire, sur la cartographie des zones de reproduction des salmonidés
Pour aller plus loin…