Artémis fait son cinéma

Un documentaire retrace les recherches menées sur le site du sanctuaire d’Artémis à Amarynthos par l’École suisse d’archéologie en Grèce. Cette immersion au cœur d’une saison de fouilles permet à la fois de mieux comprendre le métier d’archéologue aujourd’hui et ce qu’a pu être le culte de la déesse dans l’Antiquité.

Réalisé par Sébastien Reichenbach, Artémis, le temple perdu nous fait voyager dans le temps. Pour ce qui est d’aujourd’hui, les belles images de ce documentaire présentent la saison de fouilles menée en été 2022 par des dizaines d’archéologues, d’étudiants et d’ouvriers. Placées sous la direction de l’École suisse d’archéologie en Grèce, dont le siège est à l’UNIL, ces recherches se déroulent depuis des années sur le site du sanctuaire d’Artémis à Amarynthos, un village côtier situé sur l’île d’Eubée, au nord-est d’Athènes. En parallèle, grâce à des animations et à des reconstitutions (lire l’encadré ci-dessous), nous découvrons cet espace religieux et une fête qui s’y déroulait du temps de sa splendeur, il y a près de 2400 ans.

Principalement, «ce film raconte la quête du sanctuaire d’Artémis, une histoire riche en rebondissements où se mêlent un peu de chance et énormément de persévérance», indique Sébastien Reichenbach. La ténacité est une qualité fréquente chez les archéologues et constitue la marque de fabrique de l’un des protagonistes principaux du documentaire, Denis Knoepfler, professeur honoraire à l’Université de Neuchâtel et au Collège de France. Jeune étudiant, il s’est rendu pour la première fois dans la région en 1966. Des sources antiques mentionnaient en effet qu’un site religieux consacré à Artémis se trouvait vers la ville d’Érétrie, mais où exactement ? Des textes au terrain, le fruit de cette quête, qui a connu des hauts et des bas pendant des décennies, est raconté à l’écran. Le réalisateur nous fait découvrir l’impressionnant chantier de fouilles actuel, où les restes des murs de nombreux bâtiments du sanctuaire ainsi que des centaines d’objets ont été mis au jour.

«Il est rare qu’un projet archéologique soit mis en valeur par un documentaire», relève Sylvian Fachard, directeur de l’École suisse d’archéologie en Grèce (ESAG) et professeur à l’UNIL. Cette entité dirige les recherches sur l’île d’Eubée et ailleurs dans le pays, en partenariat avec les autorités grecques. «Il s’agit d’une opportunité de présenter notre travail au quotidien, qui s’étend bien au-delà des fouilles proprement dites, et de le faire connaître à un large public.»

Stéphane Goël, producteur. Sébastien Reichenbach, réalisateur. Dans les bureaux de Climage à Lausanne. Félix Imhof © UNIL
Stéphane Goël, producteur. Sébastien Reichenbach, réalisateur. Dans les bureaux de Climage à Lausanne. © Félix Imhof / UNIL

L’idée d’Artémis, le temple perdu est née de courtes capsules vidéo concoctées par Sébastien Reichenbach pour l’ESAG en 2020 dans le cadre d’un projet de médiation culturelle soutenu par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. «J’ai constaté qu’il y avait là une belle histoire à raconter. Des personnes passionnées étaient prêtes à l’incarner. Il me tenait à cœur d’en faire un long-métrage.» Comme le réalisateur connaissait déjà les archéologues et les lieux, un lien de confiance s’est créé, ce qui a facilité le tournage.

Afin de concrétiser et financer ce projet, il fallait un producteur : Stéphane Goël, de Climage à Lausanne, qui par le passé a déjà œuvré pour deux films d’archéologie. «La RTS s’est montrée intéressée, puis Arte. Nous avons également eu le soutien de Cinéforom, de la Loterie Romande, du TPF-FPT Fonds de production télévisuelle et de l’ESAG.» Les deux chaînes de télévision vont d’ailleurs diffuser le documentaire à des heures de grande écoute et le rendre disponible en ligne. La Fondation pour l’Université de Lausanne, le SEFRI (Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation) et la Fondation Philanthropique Famille Sandoz ont également apporté leur contribution.

Science et dramaturgie

Un tel documentaire constitue un jeu d’équilibriste. «Pour toucher un public aussi large que possible, et donc embarquer les non-spécialistes dans cette aventure, une dramaturgie cinématographique est nécessaire. En même temps, il faut rester correct sur le plan scientifique et introduire des éléments pédagogiques, par exemple au sujet des pratiques cultuelles grecques de l’Antiquité», poursuit Stéphane Goël. Un contenu présenté par «des archéologues qui ont pour trait commun d’être à la fois charismatiques et capables d’expliquer leurs recherches clairement», ajoute le producteur. Ce dernier a d’ailleurs été surpris que ces professionnels – des gens prudents quand il s’agit de se lancer dans l’interprétation des vestiges et des sources – osent «déployer leur imaginaire», à l’image de Sylvian Fachard qui, sur la base des sources, décrit la grande fête annuelle qui se déroulait au sanctuaire d’Artémis dans l’Antiquité. Cet événement est montré dans le film sous la forme d’animations aux tons rouges, qui tranchent nettement avec les couleurs dominantes jaune et blanche du chantier de fouilles et de sa réalité d’aujourd’hui.

Mise en lumière de la relève

Même si une déesse est au cœur de l’action, l’archéologie demeure d’abord une affaire humaine. Les fouilles conduites à Amarynthos, en été 2022, ont mobilisé plus de 60 personnes. Comme il s’agit également d’un chantier-école, des étudiants provenant de plusieurs universités suisses et étrangères y travaillent, pour se former aux côtés de professionnels plus aguerris. Le documentaire «montre bien la relève de notre métier, notamment féminine, et met en lumière la transmission des connaissances à travers plusieurs générations de scientifiques», souligne Sylvian Fachard. Au passage, les images mettent à jour notre vision de l’archéologie, où drones, tablettes et microscopes côtoient des outils de chantier plus attendus.

Le film se teinte par moments d’un peu de nostalgie. Fil rouge de la quête du sanctuaire, le professeur Denis Knoepfler se livre avec sincérité. C’est en effet une partie de sa vie de scientifique qui se déroule sous nos yeux, depuis ses années étudiantes jusqu’à nos jours. Il est touchant de le voir visiter l’immense chantier de fouilles d’Amarynthos en compagnie de la chercheuse de l’ESAG Tamara Saggini, qui incarne la relève. «C’est une forme de couronnement, et en même temps l’histoire continue», remarque Sébastien Reichenbach. Il reste encore beaucoup à découvrir et à comprendre, sur le site du sanctuaire et dans la région qui l’entoure.

Pour voir le film

Artémis, le temple perdu. Réalisation Sébastien Reichenbach. L’uniscope propose 5 x 2 billets à gagner pour l’avant-première le 31 octobre à 18h30 au cinéma Pathé Les Galeries à Lausanne (écrire à la vitesse d’Hermès à uniscope@unil.ch avec la mention «Artémis»).

À voir le 5 novembre sur la RTS puis sur Play RTS. À retrouver également dès le 11 novembre sur Arte.

(Le concours est déjà complet, merci de votre participation!)

Une charte entre l’UNIL et la RTS

Le documentaire Artémis, le temple perdu est le fruit d’un partenariat entre l’UNIL et notamment la RTS. Des liens qui vont encore se renforcer entre les deux institutions. En 2025, près de 900 collaborateurs du média du service public vont s’installer sur le campus, dans un bâtiment situé entre le Rolex Learning Center et le Batochime. Du coup, une charte a été signée entre l’UNIL et la RTS. Ce document définit les principes de collaboration et de gouvernance pour les coopérations que les deux institutions développeront en lien avec leurs domaines d’expertise respectifs. « Cette convention vise à favoriser la création de liens solides et à permettre une association étroite entre l’UNIL et la RTS pour aborder des sujets variés, y compris ceux liés aux médias et à l’actualité », explique Benoît Frund, vice-recteur Transition écologique et campus, qui a travaillé à la réalisation de la charte. Cette entente sert aussi à renforcer la position du campus de Dorigny en tant que centre de réflexion et de partage des connaissances auprès du grand public. F.Zo

Deux reconstitutions commentées

Réalisées pour le documentaire Artémis, le temple perdu, les deux illustrations ci-dessous présentent le sanctuaire d’Amarynthos à son stade de développement le plus avancé, au IVe siècle avant J.-C.

©Climage Audiovisuel
©Climage Audiovisuel

Pour parvenir à réaliser l’image ci-dessus, «il a fallu des mois de travail», indique Sylvian Fachard. C’est ainsi qu’un aigle (symbole de Zeus, père d’Artémis) aurait pu admirer le sanctuaire d’Amarynthos. Cette reconstitution, œuvre des illustrateurs Olivier Bruderer et Joe Rohrer, «concrétise l’état actuel de la recherche sur le site», ajoute le directeur de l’École suisse d’archéologie en Grèce. Un travail minutieux pour lequel chaque détail a été vérifié. Aujourd’hui, sur le terrain à Amarynthos, on ne voit que des restes de murs hauts de quelques dizaines de centimètres au mieux.

En bas à droite, la «voie sacrée» empruntée par les processions reliait le sanctuaire à la ville d’Érétrie, située à presque 11 kilomètres. Lieu de passage, le site était connecté à d’autres agglomérations alentour. Des monuments funéraires, représentés sur l’illustration, se trouvaient sans doute sur ses bas-côtés. La présence de marais, sur la droite, est attestée par des études paléoenvironnementales. Un port se trouvait à proximité. Les bateaux correspondent à la réalité historique. Derrière le complexe se dresse une colline. Elle était occupée à l’époque préhistorique mais a été ensuite abandonnée, alors que le sanctuaire se développait à ses pieds. Il est probable qu’elle accueillit alors un «bois sacré», c’est-à-dire une petite forêt réservée à Artémis, déesse associée à la chasse et aux espaces sauvages (entre autres).

©Climage Audiovisuel
©Climage Audiovisuel

Cette image, également réalisée par Olivier Bruderer et Joe Rohrer, nous montre l’intérieur du sanctuaire. La présence de couleurs vives nous surprend, habitués que nous sommes à la blancheur des statues exposées dans les musées. Dressé derrière un autel, le temple se trouve au centre de l’image. Ce bâtiment construit vers la fin du VIe siècle avant J.-C. est bordé de statues, dont plusieurs socles ont été retrouvés. D’autres devaient se tenir dans la cour, une place entourée d’un long bâtiment à colonnades appelé stoa. «Outre des figures d’héroïnes et de héros, il s’agissait de représentations de personnes honorées par la cité pour leurs généreuses donations ou pour leurs actions», explique Sylvian Fachard.