Retrouvé, le sanctuaire d’Artémis se dévoile

À Lausanne, une exposition présente jusqu’au 26 septembre la découverte du sanctuaire de la déesse par des archéologues suisses et grecs. L’occasion d’admirer des objets rarement montrés, issus des collections cantonales vaudoises.

À Lausanne, l’exposition « Artémis Amarysia : à la recherche du temple perdu » est prolongée jusqu’au 26 septembre. Elle présente la découverte du sanctuaire de la déesse par des archéologues suisses et grecs, à travers des objets issus des collections cantonales vaudoises.

Elle vit dans les forêts et les montagnes, protège les jeunes enfants et chasse mieux que quiconque. Artémis, sœur jumelle d’Apollon, déesse de la nature et de l’éducation, était honorée à travers l’ensemble de la Grèce antique. Son sanctuaire, recherché depuis plus d’un siècle, a été retrouvé en 2017 sur l’île d’Eubée par des archéologues de l’École suisse d’archéologie en Grèce. Une découverte exceptionnelle, présentée au Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (MCAH) de Lausanne par le biais de l’exposition « Artémis Amarysia: à la recherche du temple perdu ».

Lancé le 3 novembre 2020, puis malmené par les restrictions sanitaires, cet événement qui devait se terminer en avril a été prolongé jusqu’au 26 septembre 2021. Une aubaine pour les curieux et les amateurs d’histoire ancienne !

Niché dans l’aile sud du palais de Rumine, le parcours se déploie à travers plusieurs images et panneaux explicatifs, deux installations interactives et six vitrines thématiques. Dans l’une d’elles, une statuette en argile d’une dizaine de centimètres représente une femme tenant un enfant dans ses bras. Il s’agit d’une offrande faite à Artémis, datant du IVe siècle avant notre ère. Pauline Maillard, chargée de recherche auprès de l’École suisse d’archéologie en Grèce et commissaire de l’exposition, commente :

« Dans la conception des anciens Grecs, les plus jeunes appartiennent au monde sauvage et doivent le quitter pour entrer dans le monde civique, grâce à l’éducation. L’un des rôles d’Artémis était donc d’élever, d’éduquer. Elle était aussi gardienne de tous les stades de la vie depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte. C’est pourquoi l’on retrouve souvent parmi les offrandes des représentations de jeunes filles ou de femmes et d’enfants. »

Sabine Utz, conservatrice du MCAH (à gauche) et Pauline Maillard, commissaire de l'exposition (à droite). © Félix Imhof / UNIL.
Sabine Utz, conservatrice en chef au MCAH (à gauche), et Pauline Maillard, commissaire de l’exposition (à droite). © Félix Imhof / UNIL
Éveiller le grand public

Spécialiste de l’étude des figurines en terre cuite, Pauline Maillard a contribué à la réalisation de cette exposition avec Samuel Verdan et Thierry Theurillat, également chargés de recherche auprès de l’École suisse d’archéologie en Grèce (ESAG). Le parcours a été conçu en collaboration avec le MCAH et avec le soutien de l’UNIL, dans le cadre du projet de médiation scientifique « À la recherche du temple perdu ». Un programme financé de 2020 à 2022 par le Fonds national suisse, dont la docteure en archéologie résume ainsi la démarche :

« La découverte du sanctuaire d’Artémis en 2017 est capitale pour le patrimoine grec, et la Suisse a joué un rôle majeur. L’événement a suscité un grand intérêt dans le monde scientifique mais moins auprès du grand public. Nous avons donc décidé de lancer un programme de communication destiné à tous, en particulier aux écoliers. »

Parmi les autres initiatives proposées figurent notamment des ateliers gratuits, ainsi que des ressources pédagogiques pour les enseignants à retrouver sur agora.esag.swiss.

Vases, figurines et animaux sacrifiés

Au fil du parcours, les visiteurs découvrent tour à tour les diverses activités vécues dans le sanctuaire lors des fêtes religieuses, comme les offrandes, les banquets, les chants, les danses ou les sacrifices, dont témoignent les objets exhibés en vitrine. Pauline Maillard raconte :

« Nous voyons souvent la Grèce antique comme un univers très propre avec son marbre blanc et ses monuments pompeux. Mais ces lieux étaient extrêmement vivants. Les fêtes ressemblaient bien plus à nos foires et nos festivals qu’à nos célébrations religieuses actuelles. Il devait y avoir près du sanctuaire des établissements pour loger les pèlerins qui affluaient de toute l’Eubée, des restaurants, des marchés. C’est aussi là qu’on sacrifiait les animaux et qu’on faisait boucherie. Il y avait du bruit, des odeurs, du vin, de la musique… »

Les délicates statuettes de bronze, les figurines en terre cuite ou encore les vases en céramique exposés dans les vitrines ne sont pas issus du sanctuaire lui-même mais proviennent de collections d’antiquités du MCAH. Rarement montrés, ils sont habituellement conservés à Lucens, dans une ancienne centrale nucléaire réaffectée en dépôt (lire encadré). Sabine Utz, conservatrice en chef au musée, précise :

« Les objets découverts en Eubée sont protégés et n’ont pas encore tous été restaurés : les faire voyager aurait été impossible. Cela nous a donné l’idée de présenter ces découvertes par le biais de pièces conservées dans les collections, acquises pour la plupart au XIXe siècle, qui sont comparables à celles qui ont été trouvées là-bas. »

Archéologue, un métier

La visite met également en lumière les étapes qui ont conduit à l’identification du sanctuaire. D’abord les prospections menées dès 1969 par le jeune archéologue neuchâtelois Denis Koepfler à partir d’informations tirées de textes anciens, puis le début des fouilles, la trouvaille en 2007 d’un portique long de 70 mètres et finalement l’apparition en 2017 d’une tuile portant le nom d’Artémis. Pauline Maillard ajoute :

« À ce jour, nous n’avons dégagé qu’une petite partie de ce sanctuaire gigantesque. Actuellement nous fouillons ce que nous pensons être la zone centrale, qui pourrait contenir l’autel, où avaient lieu les sacrifices, et le temple. Nous avons trouvé l’été dernier un dépôt votif, c’est-à-dire des offrandes, dont des figurines et des vases complets, ainsi qu’un miroir en bronze. C’est une découverte extrêmement rare. »

Enfin, pour familiariser les visiteurs au métier d’archéologue, le parcours propose également des portraits vidéo de membres de l’École suisse d’archéologie en Grèce, présentant les techniques de fouilles et d’analyse utilisées au quotidien. Une installation de réalité augmentée permet même de manipuler, à travers un écran, des statuettes antiques pour tenter de repérer les indices utiles à leur identification. La visite elle-même peut d’ailleurs s’effectuer de façon complètement virtuelle.

Des collections invisibles

L’exposition « Artémis Amarysia : à la recherche du temple perdu » s’inscrit dans le cadre des parcours temporaires proposés chaque année par le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (MCAH) sous le titre « Collections invisibles ». Le but est de montrer, sous une thématique, diverses parties des collections qui n’entrent pas dans le discours de son exposition permanente dédiée à l’histoire du canton de Vaud sur 15’000 ans.

Les objets présentés actuellement ne sont que quelques-unes parmi plus de quatre mille pièces archéologiques issues des grandes civilisations de la Méditerranée et conservées à Lucens par le MCAH dans le Dépôt et abri des biens culturels. Des collections réunies au XIXe siècle et au tout début du XXe siècle.

« En ce temps-là, échanger ou acheter des objets archéologiques était légal. Aujourd’hui, ils sont protégés contre le trafic et appartiennent au territoire sur lequel ils ont été découverts. Depuis 1912, le MCAH se concentre sur ce qui sort du sol vaudois, dont le Canton est propriétaire via le Code civil », précise Sabine Utz, conservatrice en chef au musée.