Former à l’inclusion : quels défis pour les futur·es enseignant·es ordinaires ?

Alors que l’inclusion scolaire est devenue centrale dans les politiques éducatives, les futur·es enseignant·es se sentent mal préparé·es face aux besoins spécifiques des élèves. Leurs témoignages mettent en lumière les failles structurelles, des incertitudes, mais aussi une réelle volonté de bien faire – pour peu qu’on leur en donne les moyens.

Par Alisa Vasilyeva et Nina Bagnoud 

Lors de l’atelier de recherche qui a eu lieu lors du semestre de printemps 2025 sous la responsabilité de Daniela Cerqui, Kevin Toffel, Mathilde Krähenbühl et Chloé Schaer, une vingtaine d’étudiant·e·s ont eu l’occasion d’interroger les représentations en lien avec le handicap visuel chez l’enfant et sa scolarisation.

Cet article porte sur les perceptions et les expériences des futur·es enseignant·es en formation à la Haute Ecole Pédagogique Lausannoise (HEPL).

L’inclusion scolaire s’impose de plus en plus comme un principe incontournable dans les politiques éducatives, mais elle confronte les futur·es enseignant·es à des réalités complexes et souvent peu anticipées.

En effet, l’inclusion scolaire est aujourd’hui au cœur des discours institutionnels, à l’image du concept 360° promu par l’État de Vaud1.

Six entretiens semi-directifs, d’en moyenne 45 minutes, ont été réalisés, dont deux à visée exploratoire. Les entretiens ont été menés soit via Zoom soit directement sur le campus de la HEP avec des étudiantes de la HEP en cycle 1 (degré 1 à 4 Harmos). L’échantillon est composé exclusivement de femmes blanches, âgées d’une vingtaine d’années, en dernière année de Bachelor. Les enquêtées ont été recrutées selon une stratégie dite de « boule de neige ». La première personne rencontrée étant une connaissance. Une grille d’entretien a été élaborée. La première partie a été pensée et écrite en commun avec le reste des groupes participant à cette recherche. Cette dernière a été divisée en trois thématiques : le handicap, le CPHV et l’inclusion scolaire. La seconde partie a été développée spécifiquement pour notre population. Ces dernières s’intéressent à leur expérience de futur·es enseignant·es avec un vécu en partie académique et en partie d’enseignement. 

Mais qu’en est-il de sa mise en œuvre concrète dans les salles de classe, notamment pour les enfants atteints d’un handicap visuel ? Et les enseignant·es se sentent-ielles prêt·es à accueillir ce genre de défis ?

Une formation qui invisibilise le handicap visuel

« Cette confusion a mis en lumière un angle mort de leur cours : ce type de handicap semble moins visible et donc moins pris en compte dans leur formation. En effet, d’autres troubles comme les troubles dys (dyscalculie, dyslexie,…), le TDAH (Trouble Déficit d’Attention avec ou sans Hyperactivité) ou encore le TSA (Trouble du Spectre Autistique) sont revenus bien plus régulièrement dans les échanges, mais surtout dans leurs cours. »

La formation actuelle dispensée à la HEP tend à invisibiliser le handicap visuel2. Les entretiens réalisés montrent qu’il s’agit d’un sujet peu, voire pas du tout abordé durant les cours. La plupart des enquêtées n’auraient pas suivi de modules ou de cours obligatoires sur les déficits visuels.  Or, elles expriment surtout une absence de mise en situation concrète. L’une d’elles a cependant pu tester, lors d’un séminaire facultatif, des lunettes simulant la malvoyance. Mais ces expériences restent marginales :

« On n’a pas eu de cours sur le handicap visuel… On n’est formé·es pour aucun besoin particulier.» (Enquêtée n°2)

Cela influence la définition qu’ont les enquêtées du handicap visuel. Certaines parlaient simplement de myopie ou du port de lunettes, alors que d’autres ne faisaient pas de distinction claire entre les troubles légers de la vision et la cécité complète. Cette confusion a mis en lumière un angle mort de leur cours : ce type de handicap semble moins visible et donc moins pris en compte dans leur formation. En effet, d’autres troubles comme les troubles dys (dyscalculie, dyslexie,…), le TDAH (Trouble Déficit d’Attention avec ou sans Hyperactivité) ou encore le TSA (Trouble du Spectre Autistique) sont revenus bien plus régulièrement dans les échanges, mais surtout dans leurs cours. 

Se retrouver seules et démunies en stage : un sentiment partagé chez nos enquêtées ?

Le manque de préparation théorique se retrouve également dans la pratique des stages. Bien qu’aucune des enquêtées n’ait eu d’élève en situation de handicap visuel,  elles sont presque toutes unanimes à ce sujet : elles ne se sentiraient pas en confiance à l’idée de devoir accueillir un·e élève malvoyant·e ou non-voyant dans leur classe. Comme l’exprime une enquêtée :  

« Toute seule, non. Je pense que j’aurais besoin d’aide externe. Ce qui manque à l’HEP, c’est qu’on n’est pas vraiment renseigné·es.» (Enquêtée n°1)

De plus, l’absence de diagnostic, qui peut être liée à une réticence parentale ou à la lenteur du processus, peut rendre l’accompagnement d’autant plus compliqué. Par ailleurs, le soutien disponible varie aussi largement en fonction des établissements : les directions allouent plus ou moins de ressources pour ces situations. Il y a une grande instabilité dans les conditions d’apprentissages des future·es enseignant·es et donc de celles des élèves. Cela montre un décalage entre le discours institutionnel à propos de l’école inclusive et la réalité du terrain. En effet, l’État de Vaud affirme que :

« Le Concept 360° place l’élève au centre du dispositif. Il l’accompagne de manière transversale, ainsi que les professionnel-le-s qui l’entourent, en collaboration avec les parents, quels que soient les besoins. Il met l’accent sur la prévention et les interventions précoces2. »

Des moyens trop faibles, une charge trop lourde

« Aujourd’hui, tu n’as pas de budget dans les classes. Ils réduisent de plus en plus. […] Du coup tu commandes sur Temu. »

Les récits insistent donc fortement sur le manque de ressources structurelles. Le manque est ici matériel, mais aussi financier et humain. En effet, elles n’ont accès qu’à peu de matériel pédagogique adapté, comme l’usage du braille, des tablettes ou des logiciels spécialisés. Mais aussi trop peu de collaboration avec les enseignant·es spécialisé·es. Elles expliquent souvent devoir « se débrouiller » elles-mêmes. L’une d’elles nous a notamment dit que : 

« Aujourd’hui, tu n’as pas de budget dans les classes. Ils réduisent de plus en plus. […] Du coup tu commandes sur Temu. » (Enquêtée n°2)

Ce manque de moyens a des effets concrets sur la manière d’enseigner décrite par les personnes interrogées. Cela représente une charge de travail supplémentaire, mais également une surcharge émotionnelle. Elles évoquent souvent un sentiment de peur, d’impuissance ou encore de culpabilité lorsqu’elles ne savent pas gérer certaines situations comme elles le souhaiteraient. Dans certains cas, cela pourrait provoquer un réel découragement : 

« De me mettre en échec face à cet élève, ça me mettrait trop mal. » (Enquêtée n°2)

À tout cela s’ajoutent les problèmes de coordination, qui sont centraux dans les discours de nos enquêtées. Les relations avec les parents d’élèves à besoins particuliers ou avec les enseignant·es spécialisé·es sont parfois conflictuelles, ce qui empêche une prise en charge optimale de l’élève.

« Ce manque de moyens a des effets concrets sur la manière d’enseigner décrite par les personnes interrogées. Cela représente une charge de travail supplémentaire, mais également une surcharge émotionnelle. »

L’inclusion réelle ? Un idéal sous condition

Cependant, malgré ces obstacles importants, aucune des enquêtées ne rejette le principe de l’inclusion scolaire. En effet, elles expriment toutes un engouement à ce sujet. Elles ont toutes pour volonté de pouvoir accueillir chaque élève et pouvoir adapter leur pédagogie aux besoins de chacun·e. Mais cet engouement et cette volonté se heurtent souvent aux limites systémiques. Notamment, lorsqu’une enquêtée nous explique que :

Plusieurs concepts ont été mobilisés pour structurer cette analyse. Notamment l’inclusion scolaire qui vise à garantir que tous·tes les élèves, quels que soient leurs besoins, participent pleinement à la vie scolaire3. Ce principe s’accompagne cependant de divers freins largement identifiés dans la littérature : manque de formation, les ressources inégales et l’isolement des enseignant·es face à la diversité des profils d’élèves4. Et donc, adopter une  posture inclusive implique à la fois  des outils concrets, une sensibilité à la différence et un travail de collaboration avec l’ensemble des acteur·ices impliqué·es.

« Si t’as un programme personnalisé, t’as pas le même diplôme. Du coup, t’as forcément pas les mêmes opportunités derrière. » (Enquêtée n°2)

Cette remarque permet de souligner que l’inclusion ne concerne pas uniquement la pédagogie, mais aussi l’évaluation, l’orientation et la reconnaissance institutionnelle5.

Et si l’échantillon avait été plus diversifié ? 

Les résultats ne révèlent pas une opposition à l’inclusion, mais plutôt un fort décalage entre les objectifs affichés en matière d’inclusion scolaire et les moyens réellement alloués pour leur mise en œuvre. 

Il est possible que des étudiant·es plus âgé·es ou aux parcours atypiques aient formulé des critiques différentes, ou se soient sentis plus légitimes à adapter leur enseignement. De même, la question du genre pourrait jouer un rôle : les futurs enseignants auraient-ils exprimé les mêmes formes d’insécurité ou les mêmes besoins en matière de collaboration ? Ces pistes restent ouvertes et pourraient faire l’objet d’investigations complémentaires. 

Références

1Concept 360° | État de vaud (sans date). https://www.vd.ch/formation/enseignement-obligatoire-et-pedagogie-specialisee/concept-360

2Inclusion et diversité (sans date). https://www.hepl.ch/accueil/formations/formation-continue/inclusion-et-diversite.html.

3UNESCO. (2009) : Principes directeurs pour l’inclusion dans l’éducation. Paris : UNESCO. https://doi.org/10.1007/s10833-005-1298-4

4Ainscow, M. (2005). Developing inclusive education systems : what are the levers for change ? Journal Of Educational Change, 6(2), 109‑124.

5Ebersold, S. (2009) : « Inclusion », Recherche et formation, n°61, p. 71-83. Lyon : INRP.

Informations

Pour citer cet article Pour citer cet article
Nom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2022, consulté le XX mois 2023. URL :
Auteur·iceAlisa Vasilyeva, Nina Bagnoud , étudiantes en Master de Sciences sociales
Contactalisa.vasilyeva@cdepiet, nina.bagnoud@unil.ch 
EnseignementAtelier pratique de recherche en santé

Cerqui Daniela, Toffel Kevin, Krähenbühl Mathilde, Schaer Chloé

Photo : Pixabay, Sanjiang (2017)