Directrice du Département de droit des affaires et fiscalité à HEC, ainsi que du Master en droit et économie conjoint entre HEC et la FDCA, la professeure Valérie Junod est une spécialiste du droit de la santé. Rencontre autour de la question des médicaments.
Valérie Junod s’intéresse à ce qui touche aux médicaments, qu’il s’agisse des études cliniques pour établir leur sécurité et efficacité, des enjeux liés à leur remboursement par l’assurance, de l’indemnisation pour les dommages qu’ils causent ou encore de leur publicité et étiquetage. « Les médicaments constituent un groupe hétérogène, allant des produits contraceptifs à ceux provoquant le décès lors d’un suicide assisté, en passant par les vaccins. Il y a donc toujours quelque chose de nouveau pour susciter la curiosité », souligne-t-elle.
Attirée par l’aspect interdisciplinaire de son domaine au carrefour du droit, de l’économie, de l’éthique, de la médecine et de la pharmacie, la professeure Junod a dirigé, entre 2020 et 2024, un vaste projet FNS sur les médicaments sous contrôle, en collaboration avec des spécialistes de diverses disciplines médicales. Ces produits (par exemple des somnifères, des dérivés morphiniques ou cannabiniques) sont assujettis aussi bien à la Loi sur les médicaments qu’à celle sur les stupéfiants. « Cela complique tant les étapes, en amont, de recherche que celles, en aval, de mise à disposition auprès des patients », précise-t-elle. Le projet s’est penché sur la manière dont les différentes strates réglementaires se combinent, en particulier aux niveaux cantonal et fédéral.
Prévenir les surdoses
« Si on prend l’exemple des traitements agonistes opioïdes, ou TAO, à base notamment de méthadone, nous nous sommes rendu compte que les pratiques varient nettement selon les cantons. Ne serait-ce que par la durée de l’autorisation octroyée ou les étapes pour l’obtenir. » Pourquoi ? « Avant tout parce que les cantons ne dialoguent que rarement, ne partagent pas leurs pratiques, ni ne mènent d’analyses comparatives. » Cette étude a permis de défricher un paysage méconnu, souvent y compris des interlocuteurs concernés. « Nous avons mené des entretiens avec des médecins et des pharmaciens cantonaux à travers toute la Suisse, soit une quarantaine de personnes, qui ont aussi pu saisir cette occasion pour s’interroger sur leurs choix », décrit la chercheuse.
Un second volet empirique a porté sur les drug checkings, lesquels offrent, en Suisse, la possibilité à n’importe qui de faire tester gratuitement les substances qu’il entend consommer, par exemple lors d’un événement festif. « Cette mesure dite de réduction des risques, mise en place de manière relativement informelle dans certaines villes et cantons, non seulement empêche des accidents et des décès liés à la prise d’un produit mal décrit, dénaturé ou indûment dosé, mais permet de surcroît d’évaluer le type de produits disponibles sur le marché noir », précise la spécialiste.
Comparaison entre la Suisse et les États-Unis
Un autre article issu de ce projet FNS compare, s’agissant des « décès par overdose », la situation en Suisse par rapport à celle aux États-Unis, où prévaut encore globalement une politique d’abstinence. Celle-ci est non seulement largement inefficace sur les consommateurs, mais aussi potentiellement dangereuse pour leur santé en cas de rechute. En effet, « avec les opioïdes, il se crée une tolérance dans l’organisme, qui diminue en cas d’arrêt, si bien qu’une reprise même à plus faible dose peut s’avérer létale », explique-t-elle. L’article explore les facteurs qui sont de nature à protéger les usagers en Suisse (TAO facilité et remboursé, drug checking, étiquetage des produits, locaux de consommation, filet de sécurité sociale…), alors que les États-Unis sont encore réticents à opter pour une politique équilibrée en matière de drogues, en dépit des dizaines de milliers de morts déplorés chaque année. « Ils ont réagi pour diffuser des bandelettes permettant de détecter le très puissant fentanyl, mais en matière de mesures de réduction des risques ils ont un retard important à rattraper », résume-t-elle.
En Suisse, l’étude a approfondi, en outre, la situation des mineurs face aux substances sous contrôle, par exemple en se demandant s’il est admissible de les contraindre à des tests de dépistage, y compris dans le cadre de la lutte antidopage.
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