Le frelon asiatique bientôt mis en boîte ?

Un groupe d’étudiantes et étudiants a imaginé une solution innovante et expérimentale pour lutter contre le frelon asiatique.

Un groupe d’étudiantes et étudiants de l’UNIL a imaginé une solution innovante, expérimentale, qui allie IA et biologie synthétique, pour lutter contre le frelon asiatique. Le point avec Yolanda Schaerli, professeure associée à l’UNIL, en charge du projet. 

Et si l’on vous disait que de « simples » boîtes pouvaient régler le problème du frelon asiatique ? Il suffirait de répartir ces dispositifs cubiques un peu partout en terres helvétiques, attendre… et hop, en peu de temps le grand ennemi des insectes locaux serait enfin neutralisé, permettant au festival printanier de retrouver sa tranquillité.

Utopique, diriez-vous ? Eh bien pas tant que ça. Cette solution, baptisée V.E.S.P.A., a été imaginée par un petit groupe de sept étudiantes et étudiants en biologie de l’UNIL et présentée sous forme de prototype en octobre dernier à Paris, lors du concours mondial de biologie synthétique iGEM (International Genetically Engineered Machine) 2024. 

Une menace invasive

Originaire des régions d’Asie du Sud-Est, le frelon asiatique (Vespa velutina) a été introduit accidentellement en Europe, en Corée du Sud et au Japon. Il a été repéré pour la première fois en Suisse en 2017. Depuis, sa population ne cesse de croître, mettant en danger les colonies d’abeilles locales et menaçant la biodiversité. « Le problème, c’est qu’ils chassent les insectes locaux pour nourrir leurs larves, explique Yolanda Schaerli. Et puis, les adultes mangent aussi des baies et des fruits, ce qui cause des dégâts aux cultures. » Éradiquer ce nuisible s’avère complexe car ses nids sont souvent difficiles à localiser et à atteindre, car perchés en hauteur. De plus, « le traitement aux insecticides a l’inconvénient de manquer de sélectivité, éliminant ainsi non seulement les frelons asiatiques, mais aussi des insectes indigènes », complète la professeure associée.

Génétique et IA se serrent les coudes

Mais concrètement, comment fonctionnerait cette solution miracle ? Sous l’apparence d’une « simple » boîte, le dispositif repose en réalité sur deux technologies de pointe : la biologie synthétique et l’intelligence artificielle. Yolanda Schaerli, professeure associée au Département de microbiologie fondamentale de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et investigatrice du PRN microbiomes, en charge de la supervision du projet, explique : « Attiré par un appât, l’insecte entre dans une première partie de la boîte, où une caméra vérifie, grâce à un système d’intelligence artificielle, qu’il s’agit bien d’un frelon asiatique. Si c’est le cas, une seconde porte s’ouvre, lui permettant d’atteindre l’appât. Mais s’il s’agit d’une autre espèce, l’insecte est libéré, sans avoir pu y toucher. » 

Difficile cependant – et surtout très long – de capturer un à un chaque Vespa velutina présent sur le territoire suisse. C’est pourquoi, une fois en possession de l’appât, « le frelon ne le mange pas, mais repart avec, précise la spécialiste. Il l’apporte au nid pour nourrir les quelque 15’000 larves élevées au cours d’une saison. » Au préalable, cet appât a été modifié génétiquement. Il contient donc une bactérie capable de coloniser l’intestin des larves de frelons asiatiques et de cibler un gène essentiel à leur développement. L’objectif : stopper leur croissance et enrayer la colonisation directement à la source. Yolanda Schaerli détaille : « La bactérie génétiquement modifiée utilise un mécanisme appelé interférence par ARN pour spécifiquement réduire l’expression du gène visé. »

De la compétition à la réalité

Mais alors pourquoi les frelons asiatiques volent-ils encore librement dans nos régions ? La technologie V.E.S.P.A. semble certes prometteuse, néanmoins son application réelle pose quelques défis. Si le prototype de la boîte a bien été validé sur un plan technologique, la partie biologique en revanche doit encore être finalisée. En plus, en Suisse l’usage de bactéries génétiquement modifiées en milieu ouvert est interdit. « Pour l’instant, il serait donc impossible de tester notre solution sur le terrain, explique la professeure. Même si d’autres pays sont plus ouverts à ce type d’innovation. En revanche, l’idée de la boîte pourrait également être combinée avec des appâts toxiques plus traditionnels (sans bactéries modifiées) afin d’améliorer la spécificité du traitement. »

« C’est un peu dommage de laisser un si beau projet non abouti, regrette Yolanda Schaerli, qui, pour la sixième année consécutive, s’apprête à accompagner un nouveau groupe d’étudiantes et étudiants sur le chemin de ce concours (voir encadré ci-dessous). Mais les participants doivent d’abord terminer leurs études, et pour ma part un projet comme V.E.S.P.A. ne correspond pas tout à fait aux objectifs de mon laboratoire. Je n’ai donc ni l’expertise ni les ressources nécessaires pour le mener à bien. » L’équipe V.E.S.P.A. espère, qui sait, qu’un groupe de recherche ou une entreprise s’emparera un jour de cette idée pour lui donner vie. « Si quelqu’un veut reprendre le projet, une publication scientifique est en préparation, et tout est déjà écrit sur notre site web », conclut la biologiste.

Equipe IGEM
De gauche à droite. En haut : Gabriele Fasano, Aisha Shah, Anna Puzyrko, Clément Vanmerris. En bas : Aline Raub, Alicia Requena, Ida L. Neinhardt. © Yaïleen Bonvin
Un concours comme terrain d’apprentissage

Il y a maintenant six ans, Yolanda Schaerli a créé un cours optionnel centré sur la participation au concours iGEM, afin d’offrir aux étudiantes et étudiants une initiation concrète à la biologie synthétique, un domaine scientifique interdisciplinaire impliquant la modification d’organismes pour leur conférer de nouvelles capacités à des fins utiles. « Au début, je proposais un cours classique, mais connaissant la réputation de cette compétition, j’ai vu là une belle occasion pour les étudiantes et les étudiants, explique-t-elle. L’objectif de la compétition est de concevoir une solution pour résoudre un problème concret du monde réel. » Jusqu’ici la taille des volées s’est montrée variable selon les années, allant de 7 à 14 étudiantes et étudiants. 

Ouvert aux deuxièmes et troisièmes années de bachelor ainsi qu’aux masters, le cours est exigeant : « Les étudiants passent du brainstorming et du choix d’un projet durant le semestre de printemps au travail sur ce projet pendant tout l’été et à la présentation des résultats à l’automne. Les équipes y investissent beaucoup de temps, c’est un travail énorme. » Mais ô combien formateur. Certains projets issus du concours iGEM ont en effet donné naissance à des start-ups, bien que cela ne soit pas encore arrivé pour les équipes de l’UNIL.