Le Musée d’art de Pully consacre une rétrospective à l’artiste suisse Émilienne Farny, jusqu’au 3 décembre. Dans ce cadre, Rebecca Onesti, étudiante en histoire de l’art à l’UNIL, a travaillé sur les photos prises par la peintre romande.
Le Musée d’art de Pully abrite 11 séries de peintures de l’artiste pop art Émilienne Farny (1938-2014). La Neuchâteloise d’origine et Lausannoise d’adoption élevait au rang d’œuvres d’art des vues urbaines, des paysages de la région romande ou des scènes du quotidien a priori banals ou sans intérêt. Une singularité : le regard des personnes qu’elle représentait était toujours caché. Rebecca Onesti,étudiante en Master d’histoire de l’art et inscrite dans le programme de spécialisation en sciences historiques de la culture, a mené des recherches pendant l’année 2022-2023, avec quelques pauses, sur les photographies que prenait Émilienne Farny pour créer ses tableaux, qu’elle trouve « captivants ». Ceci pour un module donné par son enseignante Nathalie Dietschy, professeure à la section d’histoire de l’art.
Rebecca Onesti a pu accéder en quasi-exclusivité à ces clichés, exposés ici pour la première fois. De son vivant, l’artiste n’en voyait pas l’intérêt. Michel Thévoz, cocommissaire de l’exposition, époux de la peintre et historien de l’art, lui a prêté ses classeurs recensant toute la photographie et la documentation liées à chaque toile et a répondu aux questions de l’étudiante, qui a pu faire développer des négatifs, comme ceux ayant servi à la peinture du viaduc à Belmont près de Lausanne.
Table ronde « Émilienne Farny : fixer l’instant »
Mardi 31 octobre de 18 h à 20h, le palais de Rumine accueille une discussion organisée par le Laboratoire Histoire et Cité. Cet événement gratuit et ouvert à toutes et tous « vise à discuter de la question de la temporalité dans la peinture d’Émilienne Farny et de son processus pictural », résume Nathalie Dietschy, qui y interviendra, aux côtés de Michel Thévoz, d’ailleurs professeur honoraire à l’Université de Lausanne, et de Véronique Mauron Layaz, historienne de l’art, docteure ès lettres à l’UNIL, enseignante au Collège des humanités de l’EPFL et fine connaisseuse de l’œuvre de Farny. Elle apportera « son regard sur la thématique en l’inscrivant dans l’histoire de l’art suisse de la seconde moitié du XXe siècle », indique Nathalie Dietschy. Le quatrième intervenant, Jean-Rodolphe Petter, est historien de l’art et commissaire d’exposition indépendant. Spécialiste des graffitis, il présentera notamment la manière dont Émilienne Farny se les appropriait.
Particulièrement intéressée par la relation entre photographie et peinture dans l’œuvre de la peintre, Nathalie Dietschy souligne : « Émilienne Farny est une figure majeure de l’art contemporain suisse, dont le travail est encore trop peu valorisé. La rétrospective au Musée d’art de Pully vient y répondre en permettant au public d’apprécier la singularité de son regard et de son approche picturale. »
Programme : accueil musical avec Trio Magic Bebop, table ronde puis apéritif.
La méthode Farny ou l’importance du regard
Rebecca Onesti explique la méthodologie de la peintre. D’abord, elle immortalisait son sujet, à l’aide d’un Polaroid au début de sa carrière à Paris, puis avec un appareil photo argentique. Elle faisait développer le négatif choisi et en demandait aussi une diapositive, qu’elle projetait sur une toile pour la retracer au crayon. Enfin, la Romande peignait à partir d’une partie périphérique du tableau, procédant par étapes. Au début de sa carrière, elle utilisait des blocs de couleur uniforme. À la fin, pour ses natures mortes, des coups de pinceau plus visibles donnaient une touche vibrante à ses toiles.
Si le procédé d’Émilienne Farny ressemble à celui des photoréalistes des années 60, qui reproduisaient la photo dans un but de mimesis, le travail de la Romande est autre. « L’artiste voulait se rapprocher de la réalité mais ne pas la copier, indique la jeune historienne de l’art. Si l’on regarde ses photos, on voit notre quotidien. Au contraire, grâce à son filtre pictural, Émilienne Farny réécrit la réalité et met en évidence ses sujets. » Comme pour sa série ironique « Le bonheur suisse » peinte à son retour de Paris, représentant des villas proprettes et standardisées. Rebecca Onesti avance : « La peintre invite son public à regarder la réalité en face, en attirant l’attention sur des détails normalement inaperçus. » D’où le titre de l’exposition : « Le regard absolu ».
Camera obscura contemporaine ?
Autre point clé relevé par l’étudiante, Émilienne Farny considérait la photographie de façon mécanique et ne se percevait pas comme photographe. « Elle appréciait la photographie documentaire et publicitaire, mais dès que cela comportait une prétention artistique, elle trouvait cela injustifié. »
Rebecca Onesti compare son procédé à celle de la camera obscura, sorte d’ancêtre de la photographie, un principe prisé notamment par les peintres, comme l’Italien Canaletto au XVIIe siècle : un petit trou dans une chambre noire ou une boîte obscure permettait une projection du paysage extérieur. Grâce à cela, l’artiste fixait la composition, tout comme Émilienne Farny avec son projecteur. Autre argument, le cadrage : « Dans les peintures faites à l’aide de la camera obscura, l’image est un peu coupée. Émilienne Farny recadrait aussi ses photos. »
Transmission au public
Si Émilienne Farny était en vie, la jeune femme lui demanderait son avis sur ses hypothèses. « Je vérifierais aussi si elle est d’accord d’exposer ses photos. » Analyser l’œuvre d’une femme, suisse et même installée à Lausanne, et effectuer ce travail de recherche lui ont beaucoup plu. Elle a pu mener des visites guidées lors de la Nuit des musées le 23 septembre. Un exercice enrichissant, qu’elle souhaite réitérer.
À découvrir
« Émilienne Farny, le regard absolu » : Musée d’art de Pully, jusqu’au 3 décembre 2023. Commissariat : Michel Thévoz et Laurent Langer.