L’exposition « Techno-mondes » imagine nos futurs

Quels univers envisager à l’ère du numérique et de la tech ? Quatre artistes romands, invités par la professeure Nathalie Dietschy, livrent leurs visions sous forme d’œuvres installées devant l’Unithèque jusqu’au 1er octobre.

Quels univers envisager à l’ère du numérique et de la tech ? Quatre artistes romands, invités par la professeure Nathalie Dietschy, livrent leurs visions sous forme d’œuvres installées devant l’Unithèque jusqu’au 1er octobre.

Intelligence artificielle (IA), technologies toujours plus pointues, univers virtuels… Impossible de ne pas se sentir concerné par ces développements qui touchent tous les pans de notre société. Et qui entraînent leur lot d’inquiétudes et de questions, comme : quels futurs mondes et quels imaginaires peuvent être créés par ces nouveaux outils ? Comment réinventent-ils nos rapports au réel ? Et qui détient le contrôle, l’humain ou la machine ?

L’exposition en plein air « Techno-mondes », à découvrir devant l’Unithèque jusqu’au 1er octobre 2023 (avec un vernissage prévu le mercredi 26 avril), amène des pistes de réponse grâce aux travaux inédits des photographes Catherine Leutenegger, Pascal Greco et Matthieu Gafsou, et de la designer Camille Scherrer, invités par Nathalie Dietschy, professeure à la section d’histoire de l’art et commissaire de l’exposition : « Les artistes, en s’emparant de ces outils et en explorant leurs possibilités, figurent probablement parmi celles et ceux qui peuvent le mieux nous questionner par rapport à l’IA et aux nouvelles technologies, nous inviter à réfléchir à leurs limites, dangers et dérives. »

Les trois photographes ont chacune et chacun créé une série de dix œuvres, tandis que Camille Scherrer a conçu deux installations pour l’exposition, qui s’inscrit dans le programme thématique interdisciplinaire consacré aux cultures numériques, conçu par L’éprouvette, le Laboratoire Sciences et Société de l’UNIL. Ces œuvres sont toutes assorties de cartels (les petites notices explicatives, ndlr) signés par dix étudiantes de master ayant suivi le cours « Les machines au service des artistes ? » donné par Nathalie Dietschy au semestre d’automne 2022.

Affiche de l’exposition, avec une image de Catherine Leutenegger. Il s’agit de l’enceinte du microscope électronique Titan Krios II, de la série « Centre d’imagerie Dubochet », 2022.
Affiche de l’exposition, avec une image de Catherine Leutenegger. Il s’agit de l’enceinte du microscope électronique Titan Krios II, de la série « Centre d’imagerie Dubochet », 2022.
Le futur, c’est ici et maintenant !

L’artiste Catherine Leutenegger est spécialisée dans la création d’images au moyen d’autres instruments que l’appareil photographique, dont des outils de pointe utilisés pour la recherche scientifique. Elle a non seulement immortalisé le laboratoire du Centre d’imagerie Dubochet (Prix Nobel de chimie en 2017), spécialisé dans la cryo-microscopie électronique, mais elle a aussi produit des clichés d’éléments de l’ordre de l’infiniment petit grâce au microscope électronique Titan Krios II, permettant au public d’accéder à des dimensions inconnues de la perception humaine et à de nouveaux imaginaires.

« La machine qui figure sur l’affiche de l’exposition est le microscope électronique Titan Krios II, auquel elle a ajouté des couleurs vives au moyen de gélatines sur les flashs. Le résultat évoque un monde futuriste, de science-fiction, alors que ce microscope se situe sur le campus, dans un laboratoire. Ces mondes possibles sont parfois déjà d’actualité », commente la curatrice de l’exposition.

Laboratoire de vitrification d’échantillons, de la série « Centre d’imagerie Dubochet », 2022. Impression UV sur panneau Dilite. © Catherine Leutenegger
Laboratoire de vitrification d’échantillons, de la série « Centre d’imagerie Dubochet », 2022. Impression UV sur panneau Dilite. © Catherine Leutenegger
Des photographes… sans appareil photo

Autre outil, autre univers pour l’artiste Matthieu Gafsou et sa troublante série « Chimères ». Le Vaudois a utilisé le logiciel Dall-e, une IA accessible à tous, qui génère des images à partir d’instructions. Ici, « l’artiste travaille la question de notre rapport au monde, au vivant, à l’écologie, dans un univers technologique plutôt noir », explique la professeure. Le photographe s’interroge sur le contrôle de l’IA, ainsi que sur les relations qui se créent entre cette dernière et l’artiste. » L’humain peut-il tout orienter et contrôler face à la machine ? Matthieu Gafsou fournit des pistes dans ses clichés.

Chimères N° 11, une personne fictive, générée par l’IA Dall-e et les instructions de l’artiste. Série « Chimères », 2023. Impression digitale sur aluminium. © Matthieu Gafsou
« Chimères N° 11 », une personne fictive, générée par l’IA Dall-e et les instructions de l’artiste. Série « Chimères », 2023. Impression digitale sur aluminium. © Matthieu Gafsou

Quant à Pascal Greco, photographe et réalisateur genevois, il propose des photos de paysages urbains ou évoquant le western américain, par exemple, réalisés… depuis chez lui, à partir d’images ultraréalistes de jeux vidéo, mais non exemptes de glitches, d’imperfections informatiques. L’in-game photography utilise le mode photo intégré dans le jeu ou des captures d’écran, sans oublier un travail soigné de la composition, de la luminosité, du point de vue. Sa série intitulée « Nouveaux territoires » prolonge une démarche commencée en 2020, avec des clichés de l’Islande réalisés à partir du jeu Death Stranding (ouvrage Place(s), 2021).

Californie N° 2, un cliché obtenu dans le jeu vidéo Cyberpunk 2077. Série « Nouveaux territoires », 2022-2023. Photographie in-game / Screenshots, impression digitale sur aluminium. © Pascal Greco
« Californie N° 2 », un cliché obtenu dans le jeu vidéo Cyberpunk 2077. Série « Nouveaux territoires », 2022-2023. Photographie in-game / Screenshots, impression digitale sur aluminium. © Pascal Greco
Notre besoin d’être likés

La designer Camille Scherrer a aussi puisé son inspiration dans les jeux vidéo dans le cadre de l’exposition « Techno-mondes ». Pour sa série « Vestiges 3.0 », elle a conçu deux installations spécifiquement pour le lieu d’exposition, en hommage aux classiques de chez Nintendo, reproduisant un exemple d’un des cœurs donnant des points de vie, ainsi que des pièces à collecter, qui plongeront dans la nostalgie les aficionados des premiers jeux vidéo très pixelisés… « Ces motifs prennent une forme physique et monumentale et semblent être tombés du ciel, dans le pré devant la BCU. Pour l’exposition, Camille Scherrer matérialise la culture virtuelle des jeux Mario et l’installe dans un espace naturel », décrit la commissaire. Ces œuvres nous renvoient à notre société de la récompense, au besoin d’être likés.

Projet d’installation de Get a life et Payday, série « Vestiges 3.0 », 2023, de Camille Scherrer. 
Illustration vectorielle, impression thermique sur aluminium. © Camille Scherrer
Projet d’installation de « Get a life » et « Payday », série « Vestiges 3.0 », 2023, de Camille Scherrer. Illustration vectorielle, impression thermique sur aluminium. © Camille Scherrer
Matière à réflexion

« L’un des buts de l’exposition est de proposer des regards croisés. Il en ressort des propositions très différentes, mais qui se font aussi écho, qui entrent en dialogue. Ces quatre points de vue nous amènent à nous interroger sur nos rapports aux technologies », souligne l’historienne de l’art.

Le public pourra approfondir les sujets qui l’intéressent grâce aux QR codes apposés sur chaque cartel, qui renverront au site web de l’exposition et à des interviews et textes plus approfondis concernant chaque artiste. Le tout est rédigé par les dix étudiantes ayant participé au volet pédagogique de l’exposition.

Communauté étudiante à l’honneur

Nathalie Dietschy souhaitait impliquer au maximum les jeunes générations et la communauté étudiante. Son éclectique groupe d’étudiantes, inscrites en Master en humanités numériques, en histoire de l’art ou même pour l’une en mathématiques à l’EPFL, ont effectué un véritable travail de médiation. « Dans les courts textes des cartels, elles avaient pour consigne de donner toutes les informations utiles à la compréhension de l’œuvre pour le visiteur découvrant l’artiste, tout en proposant des pistes de lecture qui s’adressent aussi à un public plus habitué. L’exercice n’est pas facile, mais formateur. » La professeure rapporte des retours positifs des étudiantes, heureuses d’avoir été impliquées dans un projet concret et de rencontrer les photographes et la designer. 

L’exposition est à découvrir en tout temps sur la plaine devant l’Unithèque, du 27 avril au 1er octobre 2023.

Vernissage ouvert à toutes et tous le mercredi 26 avril à 18h. Plus d’informations sur www.unil.ch/techno-mondes (mise en ligne du site début avril)