Francophones, réveillez-vous !

Avec Pas de langue de bois !, les linguistes Stéphanie Pahud et Pascal Singy nous invitent à explorer, goûter et nous emparer du français dans tous ses états

Avec Pas de langue de bois !, les linguistes Stéphanie Pahud et Pascal Singy nous invitent à explorer, goûter et nous emparer du français dans tous ses états. Régionalismes, orthographe, inclusion, ils brossent un portrait choral de la langue.

L’ouvrage ne se veut pas prescriptif, dressant plutôt un état des lieux. S’il se dévore aisément de la première à la dernière page, on peut également y entrer sur la pointe des pieds, en poussant la porte d’un chapitre dont le thème nous interpelle, chacun d’entre eux formant une entité. On peut aussi s’y plonger au fil des témoignages de célébrités et d’anonymes : artistes, professionnels de l’écriture, de l’information ou de l’enseignement, locuteurs allophones, malentendants ou malvoyants.

De la naissance du parler jeune aux régionalismes en passant par les questions de genre et les débats houleux sur les doubles consonnes ou le trait d’union, toute personne s’intéressant un tant soit peu à sa pratique de la langue y trouvera de quoi alimenter sa curiosité. « Nous nous sommes efforcés de rendre cet ouvrage le plus ludique possible », souligne Pascal Singy, professeur honoraire de sociolinguistique à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.

Sa sortie – il est arrivé en librairie fin août – n’a pas été fixée au hasard : au même moment, l’orthographe rectifiée, qui a suscité moult discussions passionnées, effectuait sa toute première rentrée dans les classes romandes. Le livre intéressera donc tout particulièrement le corps enseignant, concerné au premier chef par cette petite révolution. Mais pas seulement : « Nous tenions à proposer un matériau transférable et surtout à dédramatiser certains débats », souligne Stéphanie Pahud, enseignante et chercheuse en lettres à l’UNIL.

Il n’échappera d’ailleurs pas à l’attention du lectorat que lesdites rectifications se sont frayé un chemin dans ces pages : on y cherchera en vain un circonflexe. Mais on n’y trouvera pas davantage de points médians, barres obliques et autres traits d’union marquant l’inclusion. « Nous avons spontanément privilégié les épicènes type « la clientèle » au lieu de « les clientes et clients ». L’idée était d’inclure un maximum de personnes sans pour autant adopter une forme militante, en faisant découvrir le panel des possibilités existantes. Cela nous correspond à tous les deux, puisque nous sommes linguistes, une discipline descriptive et non prescriptive », relève Stéphanie Pahud. Une manière aussi d’en appeler à notre responsabilité individuelle face à la langue : le français est une « langue de soi(e) », malléable, qu’il s’agit d’incorporer et d’ajuster en fonction des circonstances, et non une langue de bois figée et fermée. Pas question pour autant d’encourager le lectorat à s’exprimer n’importe comment : « Il s’agit plutôt d’une invitation à remplacer le fantasme castrateur du parler bien par celui, libérateur, du parler juste, adapté à chaque besoin expressif et identitaire », souligne Stéphanie Pahud.

Un ouvrage essentiel qui engage à tourner le dos aux discours qui sonnent creux, à se méfier des tentatives de rejeter l’« envahissement » du français par des termes issus de l’anglais ou des jargons informatique ou managérial. Il nous remémore aussi qu’opter pour un registre ou un autre n’est jamais innocent : « Du point de vue démocratique, recourir systématiquement à l’anglais peut être excluant et inférioriser les personnes qui ne le maîtrisent pas ou pas suffisamment », remarque Pascal Singy.

Proposant des outils de compréhension – de la façon dont se forme l’argot aux différentes fonctions du langage – ce texte donne envie de questionner au lieu de refuser. Comme le rappelle sa coauteure, « avoir connaissance du plus grand nombre de variétés multiplie les possibilités d’agir dans et sur le monde et évite de se retrouver sur le bas-côté de la communication ».

Pour la petite histoire, même les IA n’ont pas été oubliées : Stéphanie Pahud s’est amusée à mettre ChatGPT au défi de rédiger la quatrième de couverture. Résultat ? « Un texte dépourvu de sensibilité éthique et impersonnel. » Sur le terrain du langage, l’être humain, avec ses fautes d’orthographe, ses doutes, ses accents, a encore de beaux jours devant lui.

Pas de langue de bois ! Nouvelles orthographes, néologismes, parlers identitaires… le français dans tous ses états et débats, par Stéphanie Pahud et Pascal Singy, éd. Favre, 242 p.