L’Antiquité n’a pas dit son dernier mot

Depuis l’été dernier, la doctorante Karine Meylan dirige le Musée romain de Lausanne-Vidy. Conversation autour de l’archéologie, de la pop culture, de ses projets pour l’institution et de la médiation culturelle et scientifique.

Depuis l’été dernier, Karine Meylan dirige le Musée romain de Lausanne-Vidy. Cette doctorante à l’UNIL est passionnée par les échanges avec le public. Conversation autour de l’archéologie, de la pop culture, de ses projets pour l’institution et de la médiation culturelle et scientifique, le sujet de sa thèse.

Bien entendu, Karine Meylan se réjouit des fouilles archéologiques qui devraient être entreprises dès cette année sur le site d’une vaste nécropole de Lousonna, aux Prés-de-Vidy (à l’ouest du cimetière du Bois-de-Vaux). Mais la directrice du Musée romain de Lausanne-Vidy affiche un enthousiasme au moins équivalent pour la communication avec le public autour de l’Antiquité.

Sous la direction d’Anne Bielman, professeure à Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité (Faculté des lettres), Karine Meylan mène justement une thèse intitulée La médiation de l’archéologie par l’histoire vivante. Potentiel et limites. Elle étudie entre autres les événements festifs durant lesquels archéologues, médiateurs et comédiens incarnent (avec plus ou moins de bonheur) des personnages de l’époque romaine, afin de la rendre plus palpable.

«La recherche dans le domaine de la médiation des sciences historiques demeure trop rare en Suisse, alors que dans les pays anglo-saxons, notamment, la public archeology constitue un domaine d’études», relève la scientifique, qui a été conservatrice de l’ArchéoLab de Pully, avant sa prise de fonctions au Musée romain. Cette double casquette possède un avantage. «Ma thèse, qui comporte une approche théorique, et ma pratique professionnelle, au contact des publics des musées, s’enrichissent mutuellement.»

Le passé, un pays à visiter

La médiation représente un fil rouge dans la carrière de Karine Meylan. Avec Lucile Tissot et l’illustrateur Bernard Reymond, elle réalise Les Guides à pattes, une série d’ouvrages destinés aux enfants, mais que les adultes lisent avec plaisir s’ils souhaitent, par exemple, découvrir les marchés de Lousonna à l’époque romaine. Treize ouvrages sont parus chez Infolio.

Pour Karine Meylan, la médiation doit permettre de rendre l’Antiquité pertinente à nos yeux et d’y dénicher ce qui peut entrer en écho avec nos préoccupations. «Je tire un parallèle entre l’ethnologie et l’archéologie. Ces disciplines nous font découvrir d’autres cultures, la première dans notre monde et l’autre dans ce pays étranger qu’est le passé», note la scientifique. Elle cite Nicolas Bouvier, qui a écrit qu’«on croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait».

Cette idée de confrontation à l’altérité a beaucoup «de sens pour l’archéologie. Il s’agit de nous confronter à d’autres modes de vie, à d’autres mentalités que l’on reconstitue avec nos moyens, dans le but de nous faire évoluer vers le mieux», précise Karine Meylan. Les personnes qui visitent les musées désirent acquérir des connaissances ou se divertir, mais, à cette occasion, pourront également «se questionner et avancer. La culture en général et, par conséquent, nos institutions ont ici un rôle important à jouer. »

Prise de risques et décalage

Un tel objectif, ambitieux, demande l’engagement du public. « Il faut donc être créatif », sourit la directrice du Musée romain de Lausanne-Vidy, qui relève ici le rôle de pionnier de son prédécesseur, Laurent Flutsch, dont les expositions parfois frappadingues ont donné un attrait particulier à l’institution.

Que les habitués se rassurent : la prise de risques et le décalage demeurent dans l’ADN du musée. Aujourd’hui, Karine Meylan souhaite toutefois «franchir une étape supplémentaire en diversifiant notre offre culturelle, afin de toucher différents publics. L’exposition, moins centrale, va être pensée comme faisant partie d’un projet plus large qui rayonne autour de la thématique choisie, bien entendu en lien avec notre vie au XXIe siècle.»

Cette évolution pourrait passer par de nouveaux formats, comme le podcast. Afin de mieux accueillir les allophones ou les plus jeunes, le FALC (français facile à lire et à comprendre) pourrait être employé dans les textes d’accompagnement. «J’aimerais que toutes les personnes, quelles que soient leurs attentes ou leurs envies, se sentent les bienvenues.» Karine Meylan aimerait également que l’institution «joue le rôle d’un forum, d’un lieu où le débat se déroule», qui met l’accent sur le rôle fondamental que jouent les médiatrices et les médiateurs, une profession selon elle insuffisamment valorisée dans les musées, et qui demande à la fois un solide bagage scientifique, de la créativité et de grandes qualités humaines.

Affiche de l’exposition en cours au Musée romain de Lausanne-Vidy
Antiquité et science-fiction

La chercheuse cite le travail de son collègue de la Faculté des lettres Marc Atallah, qui dirige la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains. «Sa manière décomplexée d’aborder le musée, en organisant des soirées «cinéma et fondue» ou des escape rooms, est intéressante. En effet, pourquoi ne pas passer par des offres conviviales et ludiques pour faire venir du monde? Une fois que les gens sont là, nous pouvons travailler le contenu.» Karine Meylan voit d’ailleurs un parallèle avec l’institution du Nord vaudois. «Tout comme la science-fiction, l’Antiquité nous tend un miroir et constitue un point de départ pour nous poser des questions sur nous-mêmes.»

Le fait que la pop culture s’empare petit à petit du monde romain réjouit l’archéologue. Astérix ou Kaamelott constituent des bases de discussion avec le public. Malgré ses défauts et son côté viriliste, la série Rome (Netflix) a «révolutionné l’image populaire de l’Antiquité en montrant les rues de Rome colorées, bondées, bruyantes et sales, loin des péplums proprets du passé, note Karine Meylan. L’archéologie peut être parfois si froide…»

Cet emploi de la culture populaire requiert toutefois une «grande honnêteté de notre part. Un musée doit rester à la pointe de la recherche, afin de proposer la vision la plus à jour de ce que l’on sait au sujet de l’Antiquité, tout en reconnaissant les limites de nos connaissances, souligne la directrice du Musée romain de Lausanne-Vidy. Ces précautions prises, je pense que le musée peut s’autoriser une part de fiction et de rêve.»

Parmi ses nombreux projets, Karine Meylan tient à resserrer les liens avec l’UNIL. Le 5 juin prochain, elle interviendra lors d’une journée d’études sur le thème «Antiquité et numérique», dans le cadre des Annuelles Edocsa. Avec Anne Bielman, elle présentera le projet «Temps de jeu ! – Time to Play !» (lire encadré ci-dessous).

L’année 2023 s’annonce comme «une belle année pour Lousonna». Le Musée romain de Lausanne-Vidy fêtera ses 30 ans, un anniversaire ponctué d’événements. Le chantier archéologique de la nécropole des Prés-de-Vidy sera très certainement lancé. Et au printemps 2024, la première exposition conçue par l’équipe de Karine Meylan ouvrira ses portes.

Dans la peau d’un esclave

«Temps de jeu! – Time to Play!» est un projet de communication scientifique soutenu par le Fonds national suisse au moyen de l’instrument Agora. Mené par Anne Bielman, professeure à l’Institut des sciences de l’Antiquité, réalisé par le bureau Digital Kingdom de Vevey, il recourt à la réalité virtuelle pour explorer de nouveaux aspects de l’histoire vivante. Casque sur la tête, des «joueuses» et des «joueurs» expérimenteront la vie dans trois périodes historiques, notamment le labeur d’esclaves romains chargés de servir des personnages importants lors d’un banquet à la villa de Pully. «L’immersion permettra de ressentir ce que ce travail pouvait représenter en termes de tension, de stress et d’inconfort, relève Karine Meylan. C’est un moyen de mieux comprendre la hiérarchisation sociale en place dans l’Antiquité, un élément fondamental pour comprendre les mentalités de l’époque.» Des parallèles avec notre époque peuvent être tirés. «Certains de nos vêtements ou de nos appareils électroniques sont fabriqués dans des conditions qui rappellent la servitude. Nous profitons du travail de personnes qui, contrairement à ce qui se passait à l’époque romaine, ne vivent pas dans nos murs, mais à des milliers de kilomètres.»