À la recherche des marqueurs du stress dans le sang des ados

Zoé Schilliger, doctorante à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, étudie chez les jeunes les mécanismes du stress, un des facteurs de risque dans le développement de maladies psychiatriques.

Zoé Schilliger, doctorante à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, étudie chez les jeunes les mécanismes du stress, un facteur de risque important dans le développement de maladies psychiatriques.

Passer de l’enfance à l’âge adulte n’est pas une mince affaire, entre tourbillons émotionnels, moments d’apathie et stress divers auxquels fait face l’adolescent. C’est sur le stress que se penche pour sa thèse Zoé Schilliger, diplômée en médecine en 2017 et doctorante en neurosciences psychiatriques à l’UNIL et au CHUV. Cet ensemble de réactions face à la pression et aux contraintes constitue un facteur (outre un terrain favorable génétique et des événements ou un contexte de vie) qui peut augmenter le risque de développer des pathologies comme l’anxiété ou la dépression, pendant cette période délicate où le cerveau est en pleine maturation.

Du stress à l’anxiété

Le stress désigne l’ensemble des réactions du corps et de l’esprit lorsqu’ils sont soumis à une pression ou une agression extérieures. L’anxiété est une émotion que l’on ressent lorsqu’on s’attend à la survenue d’un problème ou d’un danger, engendrant un sentiment d’insécurité. Elle peut devenir nuisible lorsqu’elle prend une tournure excessive. « L’anxiété peut être simplement un marqueur d’une grande réactivité au stress, mais à un haut niveau, elle fait aussi partie des symptômes apparaissant avant le développement d’un trouble, comme la dépression ou la schizophrénie », note Zoé Schilliger.

Dans un laboratoire du Département de psychiatrie du CHUV sur le site de Cery à Prilly, la scientifique analyse les cellules du sang prélevé sur un peu moins de 70 jeunes âgés de 13 à 15 ans. Ces filles et ces garçons ont participé à l’étude Mindfulteen (à laquelle Zoé Schilliger est rattachée), financée par la Fondation Leenaards et menée par les Hôpitaux universitaires genevois et le CHUV. Ce projet, qui aboutira fin 2021, étudie les effets de la méditation sur l’anxiété et la gestion des émotions pendant l’adolescence. Les participants ont effectué toute une batterie de tests avant et après des séances de pleine conscience, dont des IRM du cerveau, des prélèvements biologiques et des questionnaires. « Pour ma thèse, je ne m’intéresse pas à l’effet de la méditation à proprement parler, mais au stress d’un point de vue biologique de ces adolescents en bonne santé générale, parfois sujets à des troubles anxieux, et j’explore les interactions entre le cerveau et les systèmes immunitaire et antioxydant », précise la chercheuse.

Stress oxydatif et radicaux libres, ces fauteurs de trouble

Pour fonctionner, nos cellules consomment de l’oxygène. Ce phénomène génère des radicaux libres, des molécules instables qui abîment des protéines dans la cellule et en empêchent le bon fonctionnement, si elles ne sont pas neutralisées. Pour empêcher ces radicaux libres de causer trop de dégâts, il existe plusieurs molécules antioxydantes, comme la vitamine C, et des enzymes antioxydantes telles que le glutathion, que nous sommes capables de produire. « Le stress oxydatif résulte d’un manque de défenses antioxydantes face aux radicaux libres, explique Zoé Schilliger. Ce stress n’est pas mauvais en soi, il en faut un peu pour certains processus, mais s’il est trop élevé et persistant, il est délétère pour le cerveau et cela peut entraver son bon développement pendant l’adolescence. »  

Sachant que les systèmes antioxydant et immunitaire sont très liés et s’influencent l’un l’autre, la neuroscientifique veut déterminer si les ados plus réactifs face au stress génèrent plus de radicaux libres et comment ils se défendent face à ces molécules. « Je suis partie des travaux réalisés par une collègue postdoctorante, Daniella Dwir. Elle a identifié un mécanisme spécifique pouvant se mettre en place pendant l’enfance et l’adolescence, un cercle vicieux, où de grosses quantités de stress oxydatif induisent plus d’inflammation (ndlr : la réaction du système immunitaire face à une agression externe ou interne) et vice versa. Ce mécanisme peut être impliqué dans le développement de la schizophrénie. Mon idée est de vérifier si ce cercle vicieux est lié au développement de troubles psychiques de façon générale, voire s’il ne serait pas déjà un peu actif lors de certains niveaux de stress et d’épisodes anxieux. »

Les adolescentes plus anxieuses ?

Après avoir séparé les différentes phases du sang recueilli, Zoé Schilliger mesure la quantité des enzymes antioxydantes, situées dans les globules rouges, et leur activité. « Autre expérience, j’extrais les globules blancs du sang, je crée une culture de ces cellules, je les mets face à des stress oxydants ou inflammatoires, puis j’étudie leurs réactions », ajoute la doctorante.

Pour l’heure, notre interlocutrice en est aux étapes de la récolte de données et des premières analyses sur l’activité des enzymes antioxydantes dans les globules rouges, mais elle nous livre quelques résultats préliminaires.

« Nous avons pu observer que les enzymes du système antioxydant du glutathion sont positivement corrélées avec le niveau d’anxiété, ce que nous avons surtout observé chez les filles. Cela voudrait dire qu’une forte activité de ces enzymes est associée à un haut niveau d’anxiété. »

Même s’il ne s’agit pas d’un postulat définitif, Zoé Schilliger estime qu’il pourrait y avoir un effet du sexe biologique sur l’activité de ces enzymes antioxydantes.

La chercheuse, qui souhaiterait exercer en tant que médecin psychiatre une fois son doctorat en poche, poursuit le but d’améliorer le vécu des patients, et dans le cadre de cette thèse, grâce à ces marqueurs dans leur sang, d’améliorer la prévention, c’est-à-dire l’identification des jeunes qui seraient les plus à risque de développer un trouble anxieux voire une dépression. « Il faudrait pouvoir intervenir au bon moment, pendant le développement de l’enfant et de l’adolescent, pour inhiber ces mécanismes que nous aurons identifiés », espère la doctorante, qui a pu observer grâce à son expérience de clinicienne à quel point l’anxiété sous toutes ses formes peut être handicapante pour les patients. Un entraînement à la méditation serait proposé en premier lieu à ces futurs adultes pour leur apprendre à réduire leur stress et à réguler leurs émotions, et ainsi impacter positivement sur leur système immunitaire et leurs défenses antioxydantes.

Pour aller plus loin…

Immersion dans le laboratoire de Zoé Schilliger, dans le cadre de la campagne NCCR Women.