Faire parler science et politique

Scientifiques de l’UNIL et personnalités issues de la classe politique ont échangé leur costume le temps d’un jeu de rôle visant à mieux se connaître.

Scientifiques de l’UNIL et personnalités issues de la classe politique ont échangé leur costume le temps d’un jeu de rôle visant à mieux faire connaître, aux uns et aux autres, un fonctionnement que chacun des camps ignore parfois.

La situation sanitaire que subit la population mondiale depuis début 2020 a mis en exergue la nécessité d’une collaboration fine entre scientifiques et dirigeants de ce monde. Elle montre aussi que la communication entre ces deux sphères, la recherche et la décision politique, peut parfois s’avérer complexe. Il en va de même avec la plupart des grands enjeux contemporains, comme l’écologie, et l’exemple de la crise climatique autour de laquelle deux camps semblent s’affronter. Les uns reprochant parfois aux autres de ne pas être entendus.

C’est précisément sur la base du postulat d’une mécompréhension entre les deux parties et le fonctionnement des uns et des autres qu’est né le projet « Catalyse », mis sur pied à l’UNIL par le Centre de compétences en durabilité, l’Institut d’études politiques, l’Institut de psychologie, le ColLaboratoire ainsi que l’État de Vaud à travers son Plan climat. Il a donné lieu à une journée de simulation à laquelle étaient conviés des chercheuses et chercheurs de l’UNIL ainsi que différents représentantes et représentants du monde politique vaudois. Le but : que la politique endosse la blouse des scientifiques, et que la science se mue en un exécutif. En fin de simulation, le groupe de faux chercheurs devait soumettre un projet de recherche à un conseil scientifique. Quant aux politiciens d’un jour, transformés en une délégation du Conseil d’État, ils répondaient à un postulat fictif du Grand Conseil et devaient se prononcer sur un faux projet d’application de ces technologies dans le canton de Vaud.

Thème choisi pour cette journée spéciale : les technologies à émissions négatives, celles qui permettraient de récupérer le CO2 présent dans l’atmosphère et de le stocker de manière permanente dans le sous-sol. « Nous avons choisi cette thématique liée au problème du changement climatique parce qu’elle est très complexe. Il y a à la fois des enjeux scientifiques et politiques majeurs et des conflits d’intérêts importants, qui vont demander une collaboration resserrée entre le monde scientifique et le monde politique pour pouvoir mettre en œuvre des technologies dont nous avons besoin pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris », explique Augustin Fragnière, du Centre de compétences en durabilité et membre du comité d’organisation de Catalyse.

Augustin Fragnière du Centre de compétence en durabilité, au moment de donner les dernières consignes avant le début de la simulation. David Trotta © UNIL
Du constat

Côté politique, le vrai cette fois-ci, on nuance le manque de compréhension. Il serait avant tout question d’objectifs différents. « Nous n’avons pas le même rôle. Nous, politiciens, devons agir pour le bien public, pour la sauvegarde des intérêts de la population. Le scientifique doit mener ses recherches en toute indépendance et amener des résultats bruts. Entre des résultats bruts et des décisions, peut-être y a-t-il des incompréhensions. Mais pour moi, il n’y a pas d’opposition entre ces deux mondes. L’un a besoin de l’autre », souligne la conseillère d’État Béatrice Métraux, qui participait à la simulation. Un point central qui distingue les deux camps : la balance d’intérêts du côté politique, à qui il incombe de prendre des décisions impactant l’ensemble d’une population.

Un point de vue que partage le délégué cantonal au Plan climat et membre du comité d’organisation de Catalyse. « La finalité des deux camps n’est pas la même », abonde Yvan Rytz, aussi modérateur lors de la simulation. Qui souligne aussi l’incertitude avec laquelle doit composer le monde politique. « En situation de crise de grande ampleur, avec de nombreuses incertitudes, le risque est de se figer et de ne pas prendre de décision. Alors que ce qui est demandé au politique, c’est de prendre des décisions rapidement tout en sachant que l’erreur est rarement acceptée. »

Alors, faire parler scientifiques et politiciens : une démarche inutile ? De loin pas. « Le bilan de la journée est très positif. Chacun a pu voir les difficultés de l’autre monde. C’est très important. Ce ne sont pas des mondes qui travaillent en parallèle, mais qui doivent travailler ensemble parce que la société et le siècle sont tels que nous avons besoin de réponses communes. »

Benoît Frund, vice-recteur « Transition écologique et campus », a ouvert la grande journée « Catalyse » vendredi 12 novembre. Y participaient scientifiques de l’UNIL et représentants de la classe politique vaudoise. David Trotta © UNIL
Aux réactions

Du côté des scientifiques, les vrais, Catalyse a rencontré un vif succès. À commencer par les organisateurs qui ont pu constater une réelle immersion des deux camps dans leurs rôles attitrés. « Nous avons eu des retours de qualité, qui soulignaient les perspectives d’apprentissage pour les participantes et les participants, se réjouit Lucile Maertens, maîtresse d’enseignement et de recherche à l’Institut d’études politiques et membre du comité d’organisation. Beaucoup ont affirmé qu’ils ne se rendaient pas compte des contraintes de l’autre camp. »

Autre élément de succès selon la chercheuse, qui donnera lieu à des analyses approfondies sur la base des observations menées au cours de la simulation : le décodage de perception à travers le jeu, se rendre compte des présupposés des uns et des autres grâce à l’inversion des rôles.

Événement unique pour le moment, la simulation demandera encore du temps à l’équipe d’organisation pour terminer la récolte de données puis leur analyse. Le comité envisage néanmoins la création d’un « kit » pour que l’expérience puisse être reproduite par d’autres.