Mourir selon ses volontés, un privilège

De mauvaises représentations sur les soins de fin de vie empêcheraient les seniors de communiquer leurs souhaits pour cette étape, démontre un doctorant.

À l’UNIL, le doctorant Clément Meier étudie les compétences en santé des 58 ans et plus. Il montre que de mauvaises représentations sur les soins de fin de vie empêcheraient les patients de communiquer leurs souhaits pour cette étape.

Échanger avec son médecin. Lire une notice d’emballage. Demander un second avis. Choisir le bon traitement… Ces actions médicales élémentaires peuvent s’avérer très compliquées pour celles et ceux qui ont moins de compétences pour les réaliser, comme les personnes en mauvaise santé ou ayant un niveau socioéconomique faible. Et lorsqu’il s’agit de décider si oui ou non, en fin de vie, on souhaite recevoir une ventilation artificielle, être intubé ou subir une réanimation cardiopulmonaire, alors là… même les plus avertis sont souvent perdus.

À Géopolis, sur le campus de l’UNIL, le doctorant Clément Meier de la Faculté de biologie et de médecine s’intéresse à cette problématique. Engagé comme chercheur junior FNS par la Faculté des hautes études commerciales (HEC) et affilié au Centre de compétences suisse en sciences sociales (FORS), il collabore au projet SHARE (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe). Cette enquête internationale, pilotée au niveau suisse par FORS et l’UNIL, est menée chaque deux ans depuis 2002 pour évaluer la santé, le vieillissement et la retraite des populations en Europe. Le volet helvétique est dirigé par Jürgen Maurer, professeur HEC et l’un des deux codirecteurs de thèse du jeune scientifique. Ce dernier commente :

« Traduits dans de nombreuses langues, les questionnaires de l’étude SHARE sont standardisés au niveau international, mais chaque pays a le droit d’y ajouter un set de questions personnalisé. C’est pourquoi lors de la vague huit de l’étude, qui a eu lieu entre octobre 2019 et mars 2020, nous avons collecté en Suisse des données supplémentaires sur les compétences des répondants en santé générale et en soins de fin de vie. »

Que sont les « compétences en santé » ? Nommées aussi « littératie de santé », elles correspondent à la capacité d’un individu à faire face aux problèmes qu’il rencontre dans ce domaine.

Clément Meier est doctorant à la Faculté de biologie et de médecine et travaille comme chercheur junior FNS pour l’enquête SHARE. © Félix Imhof / UNIL
Clément Meier est doctorant à la Faculté de biologie et de médecine et travaille comme chercheur junior FNS pour l’enquête SHARE. © Félix Imhof / UNIL

Alors qu’en Suisse près de la moitié de la population éprouve fréquemment des difficultés à traiter les informations et à utiliser les services de santé, les compétences des personnes plus âgées en santé générale et leurs représentations en matière de fin de vie « n’ont jamais été étudiées spécifiquement dans notre pays. Pourtant, avec le vieillissement de la population et sa médicalisation croissante, cette problématique devient un enjeu de santé publique », souligne Clément Meier.

Perceptions « souvent inexactes »

Le 5 avril 2022, un premier article a été publié par le doctorant dans la revue Swiss Medical Weekly. Il révèle qu’un tiers des citoyens et citoyennes âgés présentent des compétences limitées ou insuffisantes pour naviguer dans le système de santé et gérer leurs problèmes dans ce domaine. Un résultat légèrement meilleur que pour l’ensemble de la population, mais qui préoccupe pourtant notre interlocuteur. « Comme l’ont montré d’autres études, un manque de compétences en santé peut péjorer la communication avec les prestataires de soins et empêcher les patients d’effectuer des choix éclairés », commente-t-il. Et de poursuivre :

« Dans notre échantillon, nous avons également pu observer que les personnes avec un niveau de compétences en santé générale et en soins de fin de vie plus faible avaient moins tendance à rédiger des directives anticipées et à nommer un représentant thérapeutique. Des actes pourtant essentiels pour bien traverser cette étape qui nous concerne toutes et tous. »

Une seconde publication de Clément Meier, développée avec l’aide de son autre codirecteur de thèse, le professeur Ralf Jox de la Faculté de biologie et de médecine, sera bientôt disponible dans Journal of Palliative Medicine. Elle montre que les perceptions des 58 ans et plus sur les situations médicales de fin de vie sont « plutôt hétérogènes » et « souvent inexactes ».

Les répondants ont par exemple surestimé le succès de la réanimation cardiopulmonaire, l’utilité d’une quatrième chimiothérapie quand les trois précédentes n’ont pas fonctionné ou l’avantage de la nutrition et de l’hydratation artificielles dans la transition vers la mort. Ils ont aussi sous-estimé l’efficacité du traitement de la douleur dans cette situation.

Des inégalités révélées

En analysant les données, cet ex-étudiant en économie a également trouvé des corrélations entre certaines caractéristiques sociologiques et un niveau moins élevé de connaissances en santé de soins de fin de vie. Comme le fait d’être un homme, d’avoir des difficultés financières, d’être âgé de moins de 75 ans et… d’habiter dans un canton non germanophone.

« Nos résultats indiquent une différence claire entre les cantons alémaniques et les autres », détaille-t-il. Comment expliquer cet écart ? « Il est possible que les participants issus de cette région soient influencés par le contexte allemand, où les questions liées à la fin de vie ont été plus médiatisées. Le travail d’une de mes collègues, la doctoresse Sarah Vilpert, a en effet montré qu’en Suisse allemande le pourcentage des personnes ayant rempli un formulaire de directives anticipées est plus élevé que dans les régions francophones et italophones. »

Dépasser les tabous liés à la mort

Les directives anticipées permettent d’exprimer sa volonté en matière de traitements médicaux dans le cas où l’on perdrait sa capacité de discernement. À l’image de ce qui se fait pour le don d’organes, sur lequel le peuple suisse vient de se prononcer. « Mais la fin de vie est un sujet très émotionnel qui reste difficile à aborder », relève Clément Meier. C’est pourquoi la majorité des patients admis en soins palliatifs n’ont rien rédigé. Et lorsqu’ils sont incapables de discernement, les décisions médicales retombent sur leurs proches ou sur leur médecin, qui ne savent pas forcément ce qui aurait été souhaité. « Cela crée des situations dramatiques. »

Heureusement, une amélioration des formulaires pourrait peut-être encourager l’usage de ces directives, selon Clément Meier : « Il est très difficile de dire si oui ou non nous voulons tel ou tel traitement. Les questions pourraient être plus détaillées et axées davantage sur les souhaits de la personne afin qu’elle puisse plutôt exprimer ce qui est important pour elle. »

Discuter, c’est la clé

Dans cet esprit, la possibilité de prendre un moment avec un ou une professionnelle pour échanger, clarifier certaines informations et indiquer où se trouvent nos limites en matière de thérapie « se développe de plus en plus dans les institutions médicales », se réjouit le doctorant. Un concept nommé « projets de soins anticipés » issu des États-Unis, qui s’est fait connaître en Suisse avec le programme national de recherche PNR 67 « Fin de vie » (2012-2017).

Le travail de Clément Meier et de ses collègues de l’équipe SHARE aura finalement permis de tester la fiabilité d’une nouvelle échelle de mesure des compétences en santé et en soins de fin de vie. Aujourd’hui presque validée, elle sera peut-être utilisée à l’avenir par l’Office fédéral de la santé publique ou employée par les médecins pour évaluer le niveau de compréhension du patient avant de commencer un entretien. C’est en tout cas ce qu’espère le jeune chercheur en santé publique.