Par Roxanne Bütikofer , Clémence van den Broeck
Relevant des croyances et d’opinions socialement marquées1, les représentations influencent la manière dont les mères d’élèves dits “ordinaires” appréhendent et acceptent l’inclusivité scolaire.
Par l’analyse des propos des mères sur l’école inclusive, nous avons cherché à savoir si leurs représentations révèlent une réelle inclusion ou une inclusion symbolique que l’on pourrait qualifier de tokenisme. Cette démarche a également permis de saisir comment les mères se représentent l’organisation et la structure de l’école inclusive vaudoise. Nous avons dès lors décidé d’appréhender l’inclusion sous le prisme des deux attentes majeures que les mères portent sur l’école. Il s’agit du développement des compétences sociales ainsi que l’apprentissage scolaire.
Afin de découvrir les représentations des mères d’élèves dits ordinaires sur l’école inclusive, nous avons rencontré six mères avec lesquelles nous avons effectué des entretiens semi-directifs d’une durée comprise entre 45 minutes et une heure. Il s’agit pour cinq d’entre elles de connaissances plus ou moins proches, la dernière quant à elle, nous a été présentée par l’une des autres enquêtées. Ces mères ont entre un et trois enfants, qui ont entre quatre et quatorze ans, et au moins l’un d’entre eux se trouve ou s’est trouvé être en classe avec un élève avec des besoins particuliers. Bien évidemment toutes nos enquêtées ont été anonymisées. Nous avons choisi d’interroger uniquement des mères, d’une part car il s’agissait d’un public dont nous étions le plus proche et d’autre part car ce sont les mères participent majoritairement aux études sur le sujet5.
1. Représentations des effets de l’inclusion sur le développement social

« Les mères semblent ici voir l’école inclusive comme un outil de socialisation morale car le contact avec les enfants à besoins particuliers favorise directement l’apprentissage de l’empathie et de la compassion chez leurs enfants. »
Les mères interrogées semblent favorables à l’inclusion car, en plus de permettre à leurs enfants de se confronter à la différence (telle que les mères le mentionnent), ceci leur offre la possibilité de créer des relations d’amitié et d’entraide avec des enfants à besoins particuliers. De plus, elles indiquent que cela encourage leurs enfants à développer des valeurs – telles que le respect et l’empathie – mais aussi des compétences – telles l’autonomie et la capacité d’adaptation. Les mères semblent ici voir l’école inclusive comme un outil de socialisation morale car le contact avec les enfants à besoins particuliers favoriserait directement l’apprentissage de l’empathie et de la compassion chez leurs enfants.
Toutefois, même dans les cas où l’inclusion se passerait bien, nos enquêtées s’inquiètent du risque de discrimination envers les enfants à besoins particuliers.
« Quand on sait à quel point les enfants peuvent être durs entre eux, je me dis […] est-ce que dans un enseignement spécialisé, est-ce qu’il ferait face aux mêmes méchancetés ? Je suis pas sûre. Donc je suis assez mitigée, franchement, sur ce que ça peut apporter à ces enfants, puis sur le réel bien-être que ça peut leur donner. » – Amandine, 36 ans, deux enfants de neuf et six ans
Ici, certains doutes sont émis quant à la qualité de l’accueil pour tous types d’élèves. Ce manque de confiance semble s’appuyer non seulement sur l’expérience scolaire propre de ces mères, mais également sur les situations d’inclusion que leurs enfants ont personnellement vécues. Dans le cas où une inclusion se passe mal pour un enfant dit “ordinaire”, le système inclusif est rejeté. Garel2 l’explique notamment par le fait qu’il est attendu, tant de la part des parents que des enseignant·e·s, que les enfants à besoins particuliers ne perturbent pas le fonctionnement de la classe, comme si leur présence se limitait au “partage d’un même espace/temps”2.
Finalement, les propos recueillis indiquent que l’école n’est pas perçue comme inclusive mais comme intégrative, car les élèves à besoins particuliers ne sont pas considérés comme des membres à part entière de la classe.
2. Représentations des effets de l’inclusion sur l’apprentissage
Comme évoqué précédemment, les mères s’attendent à ce que l’école transmette des savoirs scolaires. Si le sujet de l’inclusion et de l’apprentissage ne semble pas susciter de craintes au premier abord, certaines appréhensions ont fini par émerger. En effet, la moitié des mères interrogées évoque le risque d’une mauvaise gestion de la classe ce qui ne permettrait plus aux enseignant·e·s de garantir un suivi pédagogique et émotionnel de qualité pour leurs enfants.
« Et puis l’autre crainte que j’avais, c’était aussi par rapport au programme scolaire, parce que si l’enseignant, il n’arrive plus à tenir la classe, parce qu’il doit tout le temps s’occuper de cet enfant qui part en crise, […] ça va péjorer l’avancée quand même de mes enfants. […] tout de suite, on se dit: “C’est bien sympa l’intégration, mais j’aimerais bien que mon enfant suive son programme. » – Sophie, 41 ans, deux enfants de neuf et sept ans
En plus de cela, plusieurs enfants ont déjà rapporté à leurs parents le sentiment d’injustice que ceux·celles-ci éprouvent lorsque l’enfant avec des besoins particuliers attire l’attention de l’enseignant·e. Bien que les mères disent comprendre cette implication, elles trouvent que le sentiment rapporté par leur enfant est justifié.
Face à ces craintes, les mères interrogées semblent d’avis qu’actuellement l’institution scolaire ne dispose pas de toutes les ressources nécessaires pour assurer une inclusion réussie qui doit garantir, comme le précise Garel, le bien-être de tous les élèves2. Il semblerait alors que l’inclusion scolaire reste superficielle. En effet, nos enquêtées rapportent un manque de ressources ne permettant pas la mise en place d’une réelle inclusion.

« Les mères interrogées semblent d’avis qu’actuellement l’institution scolaire ne dispose pas de toutes les ressources nécessaires pour assurer une inclusion réussie […] »
Hormis la crainte d’une mauvaise gestion de l’encadrement, les mères interrogées considèrent que les enfants à besoins particuliers n’ont pas les mêmes chances de réussite que les autres. Elles mettent en avant le fait que l’école n’est pas adaptée à tous les élèves et encore moins pour des élèves à besoins particuliers.
« Je pense que c’est quand même réduit [les objectifs] malheureusement parce que notre école n’est pas du tout faite pour… notre école est quand même une école élitiste, je dirais […] C’est très axé lecture. Et je pense pas qu’ils aient les mêmes chances, non plus. Les mêmes opportunités, je ne pense pas non plus. » – Emilie, 39 ans, trois enfants de neuf, sept et quatre ans
La dimension élitiste de l’école a souvent été relevée par les mères. Ceci révèle qu’elles sont conscientes de la norme scolaire dominante centrée sur la performance et qui valorise certaines compétences comme ici la lecture. Cela alimente leurs doutes quant à la possible réussite de ces enfants. Portées par une représentation du handicap centrée sur le déficit, les mères tendent à focaliser leur regard sur les manques et les difficultés des enfants, plutôt que sur la manière dont ceux-ci mobilisent leurs capacités et ressources pour apprendre2. Les propos d’Emilie expriment l’absence de changements structurels autour du programme scolaire. En effet, l’inclusivité scolaire n’impliquerait pas de baisser le niveau ou de renoncer au programme scolaire mais d’aménager l’enseignement et les apprentissages de façon à ce qu’il soit adapté pour tou·te·s3.
Pour résumer, sur le plan social, les mères se montrent favorables à l’inclusion scolaire car elle favorise le développement des compétences relationnelles. Toutefois, elles craignent des situations de harcèlement et de discrimination de l’enfant inclus. Sur le plan scolaire, elles estiment que ce programme peut avoir des effets bénéfiques sur leurs enfants notamment à travers la proposition d’approches pédagogiques variées.
Cependant, elles pensent que les enseignant·e·s ne sont pas en mesure de gérer une classe comprenant un ou plusieurs enfants avec des besoins particuliers et ainsi ils·elles ne peuvent pas garantir un accompagnement adéquat pour chacun·e. Le manque de ressources, souligné par les mères, indique qu’un programme présenté comme inclusif relève davantage, tel que le définit Thomazet3, d’une logique d’intégration.
Inclusion VS intégration : L’inclusion scolaire implique une mise en place d’un environnement ainsi que des méthodes pédagogiques adaptées à tous les élèves afin de garantir à chacun·e des chances égales de réussite3. Selon Thomazet, ce concept se différencie de l’intégration car, dans ce cas, ce sont aux enfants à besoins particuliers de s’adapter aux exigences des classes ordinaires. Dans le canton de Vaud, les intentions politiques du concept d’établissement 360° ont une visée inclusiveA. Cela implique que les établissements scolaires soient en mesure d’accueillir et d’accompagner tous types d’élèves.
Ces résultats pourraient révéler une forme de tokenisme au vu du manque de changement structurel relevé au fil de l’analyse. Toutefois, il est important de noter d’une part que ce travail se base sur les représentations des mères et que peut-être que l’institution scolaire fournit un travail conséquent pour l’inclusion mais que cela n’est pas perçu de cette façon par ces dernières.
Tokenisme : En politique, le tokenisme signifie, selon Grant4, “répondre à des exigences morales d’inclusion de personnes structurellement défavorisées dans des groupes mieux placés dans la société”4. Il s’agit de donner l’image de l’inclusion, sans faire les changements structurels nécessaires pour que celle-ci soit effective.
D’autre part, il serait nécessaire de mener une recherche sur l’institution scolaire vaudoise afin de déterminer si la situation relève réellement du tokenisme et que l’inclusion n’est qu’une vitrine politique ou si l’intention politique est sincère mais que les changements structurels ne suivent pas encore et ne sont de fait pas perçus par les mères.
Références
1Guimelli, C. (2009). Les représentations sociales. Que sais-je ?, 3453, 63‑78.
2Garel, J.-P. (2010). De l’intégration scolaire à l’éducation inclusive : D’une normalisation à l’autre. Journal des anthropologues, 122-123, 143‑165. https://doi.org/10.4000/jda.5397
3Thomazet, S. (2008). L’intégration a des limites, pas l’école inclusive ! Revue des sciences de l’éducation, 34(1), 123‑139. https://doi.org/10.7202/018993ar
4Grant, B. J. (2017). Tokenism. https://opus.lib.uts.edu.au/handle/10453/70685
5Giangreco, M. F., Edelman, S., Cloniger, C., & Dennis, R. (1993). My Child has a Classmate with Severe Disabilities : What Parents of Nondisabled Children Think About Full Inclusion. Developmental Disabilities Bulletin, 21(1), 77‑91.
Autres références
AConcept 360° | État de Vaud. (s. d.). Consulté 7 mai 2025, à l’adresse https://www.vd.ch/formation/enseignement-obligatoire-et-pedagogie-specialisee/concept- 360
Informations
| Pour citer cet article | Pour citer cet article Nom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2022, consulté le XX mois 2023. URL : |
| Auteur·ice | Roxanne Bütikofer, Clémence van den Broek, étudiantes en Master de Sciences sociales |
| Contact | roxanne.butikofer@unil.ch, clemence.vandenbroeck@unil.ch |
| Enseignement | Atelier pratique de recherche en santé Daniela Cerqui Ducret, Kevin Toffel |