(D’)écrire la pandémie : de l’expérience individuelle à l’engagement collectif

Depuis mars 2020, chacun·e de nous cherche à apprivoiser la pandémie. Etudiant·e, jeune professionnel·le, sage-femme, caissier·ière et la liste est longue – comment l’activité de chacun·e se poursuit-elle ?

Présentation du blog VIRAL, un projet collectif composé de 11 enquêtes de terrain portant sur les expériences de la pandémie, réalisé par une classe de Master en Sciences sociales de mars à mai 2021.

Par Héléna Rajon, en collaboration avec Marjolaine Viret

VIRAL est un blog lancé par des médiateur.ices scientifiques du Service Culture et Médiation scientifique de l’Université de Lausanne. Il propose de croiser différents regards sur le vécu de la pandémie. Il est divisé en trois sections distinctes, organisées autour de la temporalité de la crise sanitaire et de sa suite ; apprendre du passé, documenter le présent et penser le futur. 

Au centre de cette démarche, ce sont les expériences individuelles en société durant la pandémie qui sont restituées, autrement dit la manière de chacun.e de percevoir et de raconter ce qui l’entoure. Ce projet collectif, a permis de poser un regard sur le vécu des personnes « oubliées » et « invisibilisées » lors de la pandémie. Que pouvons-nous apprendre des connaissances antérieures ? Comment récolter ces récits et leur donner du sens ? Quelles perspectives en tirer pour l’avenir ? 

Récits individuels d’une expérience partagée

Pour répondre à ces questions, les étudiant.es sont allé.es à la rencontre de différent.es acteur.ices, qu’iels soient ouvrier.ère.s, caissier.ère.s ou art-thérapeutes, pour recueillir leurs expériences et leurs récits. Ces onze enquêtes visent à en rendre compte sur un mode narratif particulier, celui de l’écriture subjective1

Dans une perspective socio-historique, si le fait de se préoccuper de la santé des populations est aujourd’hui un incontournable de la santé publique, il n’en a pas toujours été ainsi. Depuis que la mort est devenue un événement sur lequel il est possible d’agir et que la capacité productive des individus devient importante pour les Etats, la tendance – et la tentation – d’une prise en charge globale se fait sentir. Comme le relève Jean-Pierre Dozon2

« Dans l’attention portée à soi, éclairée par les indications de la biomédecine il y a tout l’espace d’une acculturation qui fait que ce corps et cette santé ne lui appartiennent pas entièrement qu’ils sont également choses collectives intéressant son employeur (…) son fonds de pension, et (…) son pays qui semble le vouloir vivant et alerte le plus longtemps possible »

Dozon, 2001, p. 42

Personnifier l’expérience

L’analyse de cette crise sanitaire peut se réaliser à différentes échelles. D’abord, la gestion de la pandémie par nos Etats se traduit par des mesures sanitaires telles que le port du masque ou la distanciation sociale. Ensuite, les outils de mesure employés se focalisent beaucoup sur les chiffres comme indicateurs de l’évolution de la situation. Ajoutons à cela, l’incitation à s’adapter et la capacité à faire face à l’épreuve qui sont aujourd’hui devenues des valeurs clé de la société occidentale4

Dès lors, comment concilier ces impératifs collectifs et les enjeux particuliers, propres à certains publics ? Nous avons cherché à rendre compte autrement des enjeux de santé publique différemment des statistiques et à révéler ces disparités interindividuelles.

Nous nous sommes intéressé.e.s aux expériences sur plusieurs plans : environnement, objets, pratiques (activités, gestes), socialité (sentiments moraux, valeurs, normes, croyances). Au moyen d’entretiens et d’observations, cette démarche a permis de saisir les expériences à la fois partagées et pourtant pluri-formes de l’existence de différent.es acteur.ices. 

Entre révélatrice et reconfigurations : autres impacts de la crise sanitaire

Le COVID-19 a souvent mis à mal les relations sociales en poussant à l’isolement, l’incompréhension ou encore l’inactivité, de manière parfois bien problématique pour certaines populations – notamment pour les enfants en situation de handicap et leurs proches. Toutefois, la pandémie fut également un révélateur de la centralité de certaines professions, notamment dans le domaine de la vente, ou encore des soins. Elle a mis en lumière la dimension créatrice des innovations dans les pratiques sociales (p. ex. nouvelles plateformes de communication) et le rôle de l’expertise. Est apparue finalement la nécessité pour une société en pleine crise d’intégrer des dimensions plus humaines, telles que les relations sociales et le soin porté aux autres, pour (re)-construire le monde de demain. 

Episodes à retenir

Les caissières de supermarché à l’épreuve du Covid-19 en Suisse

Une enquête de Clémence Danesi et Léonore Vuissoz

Des jeunes diplomé·e·s sur le marché du travail en période de pandémie

Une enquête de Thomas Défago et Florine Gashaza

Le « plus vieux métier du monde » en crise face à la pandémie

Une enquête de Carla Gosteli, Guillaume Pauli et Viviane Adler

Adaptation du monde ouvrier : une épreuve en temps de pandémie

Une enquête de Charlie Gantet et Grégoire Noël

Créer pour nous raconter en temps de pandémie

Une enquête dans le milieu de l’art-thérapie de Pierre Bidaux, Marianne Gabastou et Héléna Rajon

Donner naissance en temps de pandémie

Une enquête de Mathilde Bertuol, Damien Mioranza et Juliana Rodrigues Roza

Tensions en temps de pandémie, des conceptions thérapeutiques a la vie quotidienne

Une enquête dans la communauté anthroposophique de Giulia Diletta Cammarata et José Revollo Patscheider

« Je trouve que dieu a été très inspirant pour moi qui croit en lui ». La traversée de la pandémie de quatre représentant·es religieux·euses

Une enquête de Matilda Bianchetti et Marie Reynard

Militantisme et covid-19 : la lutte continue

Une enquête de Nadège Pio et Antonin Wyss

L’expérience d’enfants sur le spectre autistique en temps de pandémie

Une enquête de Natacha Jeannot et Géraldine Saugy

L’expert·e exposé·e. : partie 1. Expériences de scientifiques mediatisé·e·s durant la pandémie de covid-19. Partie 2. L’expert·e face à la société

Une enquête de Nuria Medina Santana et Marjolaine Viret

Notes

1Dans une même démarche, ici : en établissement psychiatrique, l’auteure Joy Soreman3 restitue l’expérience de certain.e.s patient.e.s par le biais d’une écriture subjective.

Références

2Dozon, J.-P. (2001). « Quatre modèles de prévention », dans Dozon, J.-P. et Fassin, D. (dir.). Critique de la santé publique (p. 23-46). Paris, Balland.

3Soreman, J.  (2021). A la folie. Paris, Flammarion, consulté en ligne : https://flipbook.cantook.net/?d=%2F%2Fwww.edenlivres.fr%2Fflipbook%2Fpublications%2F664493.js&oid=6&c=&m=&l=&r=&f=pdf

4Stiegler, B. (2019). « Il faut s’adapter » Sur un nouvel impératif politique. Paris : Gallimard, Coll. NRF Essais.

Informations

Pour citer cet article Nom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2021, consulté le XX mois 2021. URL :
PlateformesBlog VIRAL, site
AutriceHéléna Rajon, étudiante en master en Sciences sociales, orientation Corps, science et santé
Contacthelena.rajon@unil.ch

© Illustration : cottonbro, Pexels