Par Camille Cretegny
Réalisé par Éléonore Pourriat et sorti en 2018 sur Netflix, le film Je ne suis pas un homme facile met en scène Damien (Vincent Elbaz), un personnage dépeint comme étant un misogyne qui considère les femmes comme des objets sexuels. Après s’être cogné la tête contre un lampadaire, il se retrouve propulsé dans un autre monde, une société matriarcale où tous ses repères sont inversés : les femmes occupent les postes hiérarchiques, portent des costumes-cravate, lorgnent les hommes dans la rue. Ces derniers s’occupent des tâches domestiques et sont censés être entièrement épilés. Damien va faire la rencontre d’Alexandra (Marie-Sophie Ferdane), qui est son homologue féminin : c’est une femme au caractère dominant, sexiste et arrogant. S’ensuit une histoire d’amour entre les deux personnages.
Dans ce monde où tout est inversé, la féminité est liée à la force, au pouvoir de travailler et d’avoir un enfant et les femmes sont « naturellement » dominantes, tandis que la masculinité est liée au fait de nourrir, soigner et se soumettre. Le film met en évidence la domination masculine à travers la domination féminine dans la société fictive matriarcale : les postes à responsabilité occupés par le sexe « fort », les tâches ménagères distribuées inégalement en défaveur du sexe dominé, les violences sexuelles, l’épilation ou encore le harcèlement de rue. On y voit ainsi une représentation des oppressions quotidiennes que subissent les femmes dans les sociétés occidentales de nos jours dont la violence est visibilisée par le fait que ce sont les hommes qui les endurent.
Si le film part de bonnes intentions en voulant montrer ce que les femmes subissent au quotidien, certains de ses aspects sont discutables. La professeure agrégée en histoire et théorie contemporaine du cinéma et des médias, Mary Harrod, souligne dans un article pour le blog Le genre & l’écran, un « défaut structurel majeur qui découle sans doute involontairement du jeu d’inversions du film » : la marginalisation de la féminité. Selon elle, le film est davantage comique et captivant lorsque l’on suit Damien et Christophe où la masculinité des acteurs s’associe à des attributs de la féminité d’une façon absurde. Cette marginalisation de la féminité se rapporte au fait que le masculin, ou la virilité qui s’y rattache, se construit sur l’opposition et le rejet du féminin. Ainsi, comme l’explique Daniel Welzer-Lang (cité dans Molinier, 2000) : « la virilité est apprise et imposée aux garçons par le groupe des hommes, non seulement pour qu’ils se démarquent radicalement des femmes, mais pour qu’ils s’en distinguent hiérarchiquement ». Et comme le formule Laura Audibert (2018), « la présence d’attributs féminins chez un homme tend à entacher sa virilité, et à dégrader sa position sociale d’homme “vrai”, “authentique” et, par extension, dominant ». Dans Je ne suis pas un homme facile, ce sont les situations où les personnages masculins sont déguisés et se comportent « comme des femmes » qui suscitent les rires. Les parties du film traitant d’Alexandra n’ont pas l’air aussi amusantes et semblent plus sérieuses. Ainsi, la transgression des normes de genre opérée par les hommes (ici, qui s’habillent et se comportent “comme des femmes”, même pour un besoin filmique) est perçue comme beaucoup plus comique car plus rare, par rapport aux transgressions portées par les femmes. Il est donc plus facile de se moquer ou rire du féminin que du masculin.
Malgré cela, le film semble permettre à un public féminin, qui voit à l’écran ce qu’il doit supporter quotidiennement, de se sentir vu et entendu mais également à un public masculin de s’associer à la figure masculine qui souffre : thématique qui renvoie à la crise de la masculinité. Le personnage de Damien et son indignation face à la domination féminine incarne la figure masculine en souffrance et se rattache à masculinité en crise. Francis Dupuis-Déri, qui a beaucoup travaillé à analyser celle-ci, la définit par le fait que « les hommes d’aujourd’hui ont des problèmes et souffrent en tant qu’hommes, à cause de l’influence indue des femmes en général et des féministes en particulier » (2012). Cette crise de la masculinité se révèlerait sous des signes comme l’incapacité des hommes à séduire les femmes, la violence des femmes contre les hommes ou encore le taux de suicide masculin. Dans Je ne suis pas un homme facile, Damien, qui tirait profit de la domination masculine dans son monde, se voit devenir une victime dans cette société matriarcale. Sa victimisation, qui se rattache à la figure masculine souffrante, se manifeste dans différentes scènes comme lorsque ses parents et surtout son père, le harcèlent pour qu’il se marie et aie des enfants. Damien se met en colère et leur répond :
« (…) Et si je vous ai jamais présenté personne, c’est parce que je me souviens même pas d’un prénom le lendemain, tellement y en a. (…) C’est quoi le problème quand on est un mec célibataire ? »
Mais également lorsque, se sentant menacé par la domination féminine, il tente de revendiquer sa position privilégiée dans une scène où il se rend compte que le poste de secrétaire d’Alexandra n’est pas fait pour lui et où il confronte celle-ci :
« Je me suis réveillé un beau matin dans une société aberrante où les femmes me disaient ce que je devais faire, comment je devais le faire (…). »
« Imaginez un monde où se sont les femmes qui se font belles pour moi. C’est moi qui leur fait des compliments. Des fois même, je les siffle si elles sont particulièrement sexy. »
Je ne suis pas un homme facile cherche, avant tout, à interroger les stéréotypes de genre et à montrer que les différences entre les femmes et les hommes sont une construction sociale. Il met en scène les comportements représentatifs de la société patriarcale à travers le personnage de Damien, un homme sexiste et arrogant devant faire face aux manières d’être que lui-même incarne dans une société fictive où se sont les femmes qui dominent au détriment des hommes. À travers sa position de “victime”, le personnage principal se rapporte également à cette figure masculine en souffrance, caractéristique d’une masculinité en crise. Finalement, le film rend visible les oppressions quotidiennes que subissent les femmes en les mettant en scène au travers des hommes, puisqu’il semblerait que la visibilisation soit plus efficace si ce sont ces derniers qui en souffrent…
Références
Audibert, L. (2018). De la représentation à la transgression du genre dans les pratiques culturelles : le cas de la presse magazine masculine. Sciences de l’Homme et Société. ffdumas-02093695
Dupuis-Déri, F. (2012) Le discours des ‘coûts’ et de la ‘crise’ de la masculinité et le contre-mouvement masculiniste. Dans Dulong D. et al., Boys Don’t Cry ! Les coûts de la domination masculine, PUR.
Dupuis-Déri, F. (2012). Le discours de la « crise de la masculinité » comme refus de l’égalité entre les sexes : histoire d’une rhétorique antiféministe. Cahiers du Genre, 52, 119-143.
Harrod, M. (2021, 6 août). Je ne suis pas un homme facile: inverser la domination de genre pour la rendre visible. ♀ le genre & l’écran ♂.
Molinier, P. (2000). Virilité défensive, masculinité créatrice. Travail, genre et sociétés, 3, 25-44.
Young, C. (2018, 26 novembre). « I Am Not An Easy Man » Skewers Masculinity, But Leaves Femininity Unexamined. Cate Young.
Autres références
Pourriat, É. (2018). Je ne suis pas un homme facile [Film]. Autopilot Entertainment.
Informations
Pour citer cet article | Pour citer cet article Nom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2022, consulté le XX mois 2023. URL : |
Autrice | Camille Cretegny, étudiante diplômée en sciences sociales |
Contact | camille.cretegny@gmail.com |
Enseignement | Séminaire sociologie des masculinités (2022) Sébastien Chauvin, Estelle Rothlisberger et Marie Sautier |