Pour notre septième journée à Bangalore, nous avions appris que nous nous éloignerions un peu du centre de la ville pour se perdre dans les paysages sans fin de Bangalore rural. Après une heure de route, nous sommes arrivé·es dans le camp de Doddaballapura Road, un lieu qui réunit de nombreux Scouts de tous les âges. C’était aussi à cet endroit qu’allait nous accueillir Rackshita. Elle est venue de Biome Environmental Trust pour nous accompagner et nous faire rencontrer les fameux Welldiggers (les « creuseurs de puits ») dont les puits étaient disséminés dans cet immense camp, principalement laissé à la nature et investi par de nombreuses espèces d’oiseaux.
Après quelques échanges chaleureux avec les Scouts, nous avons été présenté·es par notre guide Rackshita au Welldigger Shankar et à ses collègues, rassemblé·es autour d’un arbre. Nous pouvions alors nous enfoncer dans la dense forêt pour découvrir l’œuvre de ces travailleurs de l’eau. Avec eux, nous communiquions par l’intermédiaire de notre guide, ceux-ci ne parlant que la langue locale – le Kannada.
Sur le chemin, accompagné·es par une chienne et ses petits, nous apprenions que les différents puits avaient été construits par les ancêtres de nos hôtes et qu’ils avaient pendant longtemps été laissés à l’abandon, le gouvernement de Bangalore préférant importer de l’eau venant d’ailleurs. Ce n’est que très récemment qu’ils avaient été reconstruits pour récolter l’eau de pluie dans le but d’approvisionner les alentours pour différents usages.
Quelques centaines de mètres plus loin, plongé·es dans la végétation et concentré·es sur le récit de ces lieux, nous n’avions pas remarqué qu’un puits de sept mètres de diamètre s’étendait désormais devant nos pieds. Un trou, dont nous apprendrions plus tard qu’il s’enfonçait à plus de seize mètres de profondeur, nous présentait son eau sombre et trouble à travers une grille. Bien moins inquiétés que nous par la fragilité apparente de la grille, les trois Welldiggers s’étaient instantanément affairés, au-dessus du puits, à diverses occupations. Tout en se communiquant des informations les uns aux autres, ils scrutaient l’eau avec concentration, inspectaient les pierres des murs du puits et leur regard se dirigeait successivement vers les alentours et le ciel ; les plantes et les nuages semblant avoir tout à leur dire.
Pendant ce temps, notre guide Rackshita avait pu commencer son exposé, tout en vérifiant parfois certaines informations auprès des Welldiggers avec lesquels elle communiquait à la manière d’une collègue. Nous allions alors découvrir le savoir-faire et l’ampleur du travail nécessaire à l’entretien de ces puits. Construits sans ciment, ils ne retenaient la terre et l’eau que par la précision de la disposition de pierres soigneusement choisies, effritées puis alignées. Malheureusement, ce savoir-faire avait disparu avec la génération du père de Shankar. Nous pouvions effectivement observer que lors de la reconstruction récente, les bords supérieurs du puits avaient été arrangés avec du mortier.
Au milieu de son explication, Shankar a ouvert une trappe dans la grille et a enlevé sa chemise. Intriguée, l’une d’entre nous interpelait notre guide pour lui demander s’il allait plonger. « Évidement ! » répondait Rackshita, « C’est un Welldigger ». Une fois dans l’eau, on pouvait le voir enlever les différentes plantes qui poussaient entre les pierres du murs. Rackshita nous expliquait que c’était un des nombreux savoirs que les Welldiggers possédaient : quelles plantes allaient être favorables ou nocives pour une eau pure, et parmi elles lesquelles risquaient de fragiliser le puits par leurs racines. Après ce désherbage, Shankarremontait sans problèmes sur la paroi aux prises pourtant invisibles. En plus de ces tâches d’entretien et de vérification, il fallait aussi vider le puits pour que l’eau puisse être consommée. Cette impressionnante tâche était réalisée uniquement au moyen d’une sorte de grue en bois, munie d’un seau et fonctionnant à la force des bras. L’eau serait ensuite filtrée et vérifiée par Rackshita et ses collègues pour qu’elle soit conforme aux standards.
Plus tard dans la journée, à quelques kilomètres du camp Scout, nous arrivions à Mayasandra un petit village ou vivait Shankar et sa famille. Nous les retrouvions autour d’une fontaine dont l’eau venait des différents puits de la région. Rackshita nous expliquait que les habitant·es du hameau étaient ravi·es de pouvoir consommer cette eau tous les jours.
En effet, ce mode de récolte de l’eau de pluie était, selon de nombreux·se·s expert·es comme Rackshita, un moyen de sauver Bangalore de l’un de ses plus gros problèmes. En effet, l’administration de la ville faisait face à un important problème de gestion des eaux. Entre des privés qui proposaient d’acheminer de l’eau du nord du pays à prix réduit et des personnes fortunées qui récoltaient l’eau de pluie sur le toit de leur gratte-ciel pour la revendre dans d’autres régions, la ville n’exploitait pas son potentiel. À la marge de cette organisation complexe se trouvaient les Welldiggers, avec leur solution de récolte d’eau de pluie dans des puits. Une proposition peu coûteuse, respectueuse de l’environnement et accessible à l’ensemble de la population. Malheureusement, malgré leur implication dans leur travail et la pertinence de leur solution, les « creuseurs de puits » sont une castes très mal considérée dans la société indienne. Tant au niveau du gouvernement que des consommateur·ices, il serait très compliqué de faire boire une eau qui a été manipulée par une caste si mal considérée. C’est ce que nous a expliqué Rackshita de Biome Environnemental Trust. Pour sa part, elle avait une autre approche du travail de ces personnes et tentait de la valoriser et de la diffuser dans le paysage politique. En retour, on pouvait voir chez les Welldiggers une grande gratitude à son égard et le sentiment d’être reconnu pour le travail quotidien.