Un spectacle pose la question du trauma par l’œuvre

Le spectacle Face à Chienne : portrait d’un public explore la réception d’une pièce commotionnante pour ses créateurs comme pour son public.

Objet théâtral hybride, Face à Chienne : portrait d’un public explore la réception d’une pièce commotionnante pour ses créateurs comme pour son public et les conditions de la transmission des récits traumatiques. Ses autrices, Mathilde Morel, écrivaine et performeuse, et Mathilde Zbaeren, chercheuse, investiguent chacune à sa manière une parole née de cette expérience.

Tout commence en 2023 avec Chienne, qui traite d’inceste, un spectacle présenté à La Grange par Fabrice Gorgerat. Mathilde Morel, alors assistante à la mise en scène, n’en sort pas indemne. La même année, cette jeune diplômée de la Manufacture a fondé sa propre compagnie, Jeanne Styx ; elle a en outre organisé un atelier d’écriture sur le thème de la rage pour le public de Chienne.

Maîtresse-assistante à la section de français de l’UNIL, Mathilde Zbaeren s’intéresse dans ses recherches aux collectes de paroles et aux récits de violences sexuelles. Elle découvre pour sa part le spectacle côté public et en ressort également bouleversée. C’est pourquoi elle entre en contact Pascal Roman, professeur honoraire de l’UNIL, dont le parcours s’est écrit entre psychanalyse et culture. Parce qu’il a lui aussi vu et été saisi par la pièce Chienne, l’idée leur vient de mener une enquête sur sa réception en réalisant des entretiens – huit au total, d’une durée de 40 à 70 minutes – avec les membres de l’équipe théâtrale et des spectatrices et spectateurs. « Pour déterminer comment elles et ils ont reçu le récit de traumatisme, nous les avons interrogés sur leurs expériences physiques et émotionnelles, puis plus largement sur leur perception de la violence dans les arts », résume Mathilde Zbaeren. Un travail qui débouche sur un article, à paraître d’ici l’été dans la revue In analysis.

Trente-trois témoignages

En découvrant cette étude académique, Mathilde Morel a le sentiment que ce travail dépossède l’équipe artistique de son geste. Elle décide de recourir aux outils de la fiction et du corps pour « raconter à la fois ce que le public a vécu et ce que nous, qui avons entendu ce texte pendant des semaines, avons traversé ». Il lui semble que pour évoquer une telle expérience il faut à nouveau passer par le théâtre. Sa réponse prend donc la forme d’une performance, également créée à partir des réactions recueillies auprès des spectatrices et spectateurs de Chienne : « Je leur ai posé une question toute simple (« Et maintenant quoi ? ») et les ai invités à laisser libre cours à leur plume pendant cinq minutes. » Mathilde Morel récolte ainsi 33 témoignages qui forment le matériau d’un montage de voix.

Conflit de parole et de style

Cette confrontation débouche sur un échange entre la performeuse et la chercheuse, et sur un objet théâtral qui hybride conférence universitaire, fiction et jeu. Face à Chienne : portrait d’un public raconte un conflit de parole et de style, tout en faisant émerger des frictions entre arts et sciences sur la question du traumatisme au théâtre. Elles explorent, chacune avec ses propres outils, cette question qui les intéresse toutes les deux : le fait de traverser un trauma via la narration théâtrale peut-il en aviver d’autres, personnels ? Un spectacle peut-il mettre en danger son public ? Et, le cas échéant, que faire de la douleur dont celui-ci devient le relais ? Toutes deux en sont convaincues : collectiviser et hybrider une recherche offre des réponses.

Face à Chienne : portrait d’un public, un spectacle de Mathilde Morel — Cie Jeanne Styx.
Vendredi 28 mars à 20h à La Grange
Informations et réservations sur le site de La Grange.