La médecine pour toi et pour moi

Un livre pour comprendre et interroger la médecine de précision, ou médecine personnalisée, qui nous concerne déjà tous.

Sujet à la fois passionnant et délicat, la médecine personnalisée s’impose, on l’espère pour le meilleur. Ce livre de Béatrice Desvergne nous en donne un aperçu éclairant.

Qui ne voudrait pas d’un traitement adapté à soi, d’un diagnostic fondé sur l’analyse génétique de la tumeur (par exemple) en vue d’établir son profil moléculaire, qui révèle les différentes altérations génétiques qu’elle porte, en fonction desquelles utiliser ensuite telle ou telle combinaison de substances thérapeutiques ?

Il ne s’agit pas d’acharnement (même s’il faut se méfier par ailleurs des conséquences de certaines actions liées au dépistage), mais bien de médecine personnalisée, dont Béatrice Desvergne, médecin et biologiste, professeure honoraire de l’UNIL, nous explique les enjeux dans un ouvrage bref et éclairant paru à l’enseigne du Savoir Suisse.

En amont, le défi est à la fois préventif et prédictif. L’autrice plaide pour une meilleure collaboration entre la santé publique (susceptible de délivrer des messages généraux et d’interdire la vente de telle ou telle substance, par exemple) et la médecine personnalisée qui va déceler les traces d’un pesticide, d’un produit alimentaire ou d’une pollution chez une personne. Les nombreuses interventions environnementales sur notre organisme – notre exposome depuis la vie fœtale ­– peuvent induire des mutations tant génétiques qu’épigénétiques (ces dernières sans modification de la séquence d’ADN et dès lors réversibles).

Des choix collectifs

Que l’on cible la population générale ou les personnes selon leurs facteurs de risques génétiques et leurs comportements, les choix devront être collectifs, s’agissant de la sécurité de notre environnement ainsi que du prix à payer pour appliquer à chaque individu des thérapies toujours plus précises et coûteuses, sans céder à la tentation d’une médecine à deux vitesses, indique Béatrice Desvergne.

Cet ouvrage a le mérite de la clarté et avance dans le sujet en posant des questions éthiques, au moyen de cas fictifs qui illustrent concrètement la problématique. L’autrice soulève des interrogations sans jamais tomber dans une prudence excessive, voire une méfiance envers la biotechnologie, la pharmacogénétique, l’idée même de progrès scientifique et médical. On pourrait dire que ce livre résiste à l’entretien d’un soupçon mal informé, voire malveillant, envers la science. S’il y a bien aujourd’hui un rôle que peuvent tenir les scientifiques dans la cité, c’est de résister à la désinformation, mais aussi à une forme d’impuissante déprime associée aux perspectives sociales, économiques, politiques ou climatiques… La biologiste souligne en outre la « nécessité de contribuer au débat ouvert par et pour les citoyens autour de ces questions ».

Thérapie génique et immunothérapie

Aussi pédagogique soit-il, cet ouvrage comporte évidemment des zones plus arides, qui méritent qu’on s’y accroche pour comprendre, par exemple, l’utilité de l’intelligence artificielle alimentée par des quantités phénoménales de données, notamment génétiques, récoltées par les études populationnelles et les biobanques, dont celle du Royaume-Uni, pionnière en la matière. Les données fournies (sous certaines conditions) par cette biobanque à divers groupes de recherche ont ainsi permis « de belles avancées, notamment dans les liens entre certaines variations génétiques et l’apparition de certaines maladies », écrit Béatrice Desvergne.

Le tournant numérique

La France depuis quelques années progresse aussi en matière de développement et d’encadrement de l’IA dans le domaine de la santé. La Suisse accélère également ce tournant numérique avec le dossier électronique du patient, qui permettra aux médecins mais aussi à chaque individu de mieux maîtriser sa propre histoire médicale.

La médecine personnalisée c’est encore la possibilité de corriger un gène défectueux à l’intérieur des cellules malades (thérapie génique associée aux maladies rares), ou de prélever des cellules immunitaires dans l’organisme afin de les suractiver en les modifiant génétiquement, puis de les réinjecter dans le sang (traitement CAR-T en immunothérapie, rendu possible par l’identification des mutations dans les cellules cancéreuses) …

L’autosurveillance accrue

Nous serons donc amenés à connaître nos risques de développer telle ou telle maladie – avec toutes les inquiétudes intimes et les questions sociales engendrées – si bien que le « droit d’être malade » sera fortement contrebalancé par le « devoir de rester en bonne santé » via quantité de moyens électroniques d’autosurveillance, d’exercices physiques, de conseils nutritionnels et autres exigences. La personne malade sera pour sa part davantage associée à son propre traitement. Ce livre vise à nous éclairer et à nous interroger sur une problématique qui nous concerne d’ores et déjà tous.