« En droit climatique, beaucoup de questions restent à résoudre »

À l’UNIL, un nouveau pôle aborde les enjeux environnementaux sous l’angle du droit, des politiques publiques et des sciences criminelles. Entretien avec son président, Thierry Largey.

La Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique s’est dotée d’un « Pôle facultaire environnement et climat », une plateforme de recherche dédiée aux enjeux environnementaux. Entretien avec Thierry Largey, président du comité de pilotage.

Comment mettre en pratique les exigences de l’Accord de Paris ? Par quel moyen retrouver le coupable d’une rivière polluée ? Voici le genre de questions qui occupent depuis mars le nouveau Pôle facultaire environnement et climat (PEC) de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique (FDCA). Cette plateforme rassemble une vingtaine de scientifiques issus des trois unités de recherche que compte la faculté et se positionne comme une source d’analyses, de propositions et de pistes de réflexion innovantes dans le domaine climatique vu sous l’angle du droit, des politiques publiques et des sciences criminelles. Les explications du président du comité de pilotage, le professeur Thierry Largey.

Thierry Largey, vous dirigez le nouveau Pôle environnement et climat de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique. Quelle est son ambition ?

Pour l’expliquer, je dois commencer par mentionner l’origine du projet, qui est né à l’initiative du futur doyen de la faculté, le professeur Vincent Martenet, qui souhaitait investir ces domaines en pleine évolution. En examinant les recherches entreprises au sein de la faculté, nous nous sommes rendu compte que nous disposions de nombreuses compétences autour du droit du climat et de l’environnement qui méritent d’être regroupées et valorisées.

Lesquelles ?

À l’École de droit, nous avons par exemple le Centre d’études en droit de l’environnement et de l’aménagement du territoire, auquel je suis rattaché. En tant que chercheur, je m’intéresse pour ma part aux questions climatiques, à la protection de la nature, à l’aménagement du territoire et à la transition énergétique. D’autres s’occupent de fiscalité climatique, de droit international de l’environnement. À l’Institut de hautes études en administration publique, plusieurs enseignants traitent de politique environnementale à l’échelle internationale ou locale. À l’École des sciences criminelles, certains réfléchissent à la traçabilité des produits toxiques dans les eaux… Ces thématiques sont encore peu étudiées dans les universités romandes. Je suis par exemple le seul professeur à donner un cours universitaire de droit de l’énergie dans cette partie de la Suisse.

Quel est l’intérêt de la création de ce pôle ?

Le PEC va permettre de créer des synergies, de mutualiser nos compétences pour lancer de nouvelles recherches, initier des réflexions, mais aussi accompagner des projets et répondre sous une seule adresse aux différentes demandes d’expertise qui jusqu’à présent nous étaient adressées individuellement.

Avez-vous un exemple ?

Une question fréquente concerne notamment le « droit à la prise », c’est-à-dire le droit qu’a un locataire d’exiger que son propriétaire lui mette à disposition une borne de recharge pour son véhicule électrique. Comment intégrer cette exigence dans une relation contractuelle de droit privé ou dans une politique publique de l’énergie et de l’urbanisme ? La solution n’est pas évidente. Souvent ces demandes nous sont adressées au terme d’une réflexion déjà menée, sans que les questions de droit n’aient été formulées. L’idée est aussi d’encourager les collectivités publiques à intégrer la question juridique dès début de la discussion – puisque les compétences en la matière existent.

Puis-je faire appel à vous en tant que particulier ?

Nous destinons notre expertise, d’une part, aux structures internes à l’UNIL – comme le Centre interdisciplinaire de durabilité, qui nous adresse régulièrement des demandes – et, d’autre part, à des collectivités publiques, communales, cantonales ou fédérales. Si un particulier ou une entreprise a une question qui nécessite une recherche dans les domaines que le pôle embrasse, cela pourrait également susciter une contribution de notre part. Il s’agit toutefois de bien distinguer une demande qui s’apparente à de la recherche fondamentale ou appliquée de celle qui s’approcherait du travail d’un avocat. Le rôle du pôle n’est pas de défendre des particuliers dans le cadre d’une procédure, mais d’apporter son expertise.

L’un des objectifs du PEC est d’ouvrir de nouvelles réflexions. Quelles problématiques allez-vous explorer ?

Au niveau de la fiscalité environnementale, nous allons nous pencher sur une question centrale : comment inciter à une transition vers une économie beaucoup moins dépendante des énergies fossiles, à l’aide d’instruments financiers ? C’est une réflexion sur les aides publiques et les taxes, notamment la taxe CO2 actuellement en étude. Nous organisons aussi les 17 et 18 juin un colloque à propos de la justiciabilité climatique, question d’une actualité brûlante en Suisse et chez nos voisins. Nous nous intéressons également à l’allocation des quotas environnementaux, par exemple des droits d’émission de gaz à effet de serre. Une postdoctorante sera engagée dès la fin de l’été afin de mener un projet de deux ans sur ce thème.

Quel sera l’objet de cette recherche ?

Il s’agira de réfléchir à un problème posé par l’Accord de Paris. Celui-ci demande aux États de définir une limite nationale d’émissions de CO2, autrement dit une quantité maximale en tonnes de gaz qui peut être émise pendant une année. Les émissions de CO2 des voitures sont estimées en quantités relatives, en grammes par kilomètre. Bien qu’individuellement une voiture émette moins, on fait de plus en plus de trajets avec de plus en plus de voitures… il est donc logique que les émissions globales augmentent. Comment passe-t-on d’une quantité globale indiquée en chiffres absolus à une quantité individuelle relative pour les véhicules sans trahir les objectifs de Paris ? Cette question est pour l’instant sans réponse, et ce n’est pas un cas isolé : en droit climatique, beaucoup de problèmes restent à résoudre. Cette recherche pourrait déboucher sur d’autres projets à l’avenir.