L’étrange asexualité des phasmes sous la loupe

Des femelles qui font des bébés toutes seules… À l’UNIL, le groupe de Tanja Schwander tente de percer ce mystère. En vidéo !

Une vidéo réalisée par Fabrice Ducrest © UNIL.

Dans le monde du vivant, certaines femelles n’ont pas besoin de s’accoupler pour faire des bébés, en particulier chez les phasmes. À l’UNIL, le groupe de Tanja Schwander tente de percer les mystères de ce type de reproduction.

Dans les serres nichées près de la forêt de Dorigny, au nord du Biophore, des scientifiques de l’UNIL élèvent des végétaux, mais pas que. L’une de ces structures abrite également des habitants tout particuliers. Dissimulés parmi les plantes, ils ressemblent à s’y méprendre à de petites feuilles ou de menues tiges avec lesquelles ils se confondent parfaitement… Oui, ce sont des phasmes.

Présents par centaines dans cet espace à la chaleur quasi tropicale, ces insectes sont issus de la Californie. Ils appartiennent au genre Timema, qui compte un total de 23 espèces différentes. Leur étude doit permettre de percer les mystères de la reproduction, en particulier celle qui s’effectue sans accouplement, dite « asexuée ».

Depuis 2013 à l’Université de Lausanne, les phasmes constituent les sujets de recherche privilégiés de Tanja Schwander, professeure associée au Département d’écologie et évolution. Avec son équipe, elle est l’une des rares scientifiques de l’UNIL à s’intéresser à cet animal, et même de Suisse. Elle précise :

« Ces insectes ont des cycles de vie longs, ce qui ne facilite pas le travail de recherche. Mais ils sont particulièrement intéressants pour nous car, contrairement à d’autres organismes modèles, ils présentent une grande diversité de façons de se reproduire, comme la parthénogenèse, l’hybridogenèse ou l’androgenèse. »

La parthénogen… quoi ?

Les espèces qui utilisent ce mode de reproduction asexuée ne sont constituées que de femelles. Leurs œufs ne sont pas fertilisés et donnent toujours naissance à des filles. Chez les vertébrés, environ une espèce sur 1000 est obligatoirement parthénogénétique, contre jusqu’à 30 sur 100 dans certains groupes de guêpes ou 20 sur 100 chez quelques familles d’acariens. La parthénogenèse peut également se produire de façon exceptionnelle chez les espèces sexuées. C’est le cas par exemple pour la mouche drosophile, le condor (le plus grand des vautours) ou le requin marteau.

Dans le cas de « l’hybridogenèse », les femelles s’accouplent tout de même avec un mâle d’une autre espèce mais transmettent uniquement les chromosomes reçus de leur mère, en éliminant complètement le génome du père. À l’autre extrême, « l’androgenèse » implique que deux spermatozoïdes du mâle fusionnent ensemble pour donner le nouvel individu dans l’œuf d’une femelle, dont le génome sera éjecté.

La capacité de se reproduire est ce qui distingue les êtres vivants de la matière inerte, comme les pierres. Pourquoi n’y a-t-il pas une seule stratégie efficace ? Quelles sont les conséquences sur l’évolution des espèces qui utilisent un mode ou un autre ? Ces questions sont au cœur du travail de Tanja Schwander et son équipe. En 2020, la chercheuse a obtenu un ERC Consolidator Grant du Conseil européen de la recherche doté de près de deux millions d’euros.

Pas idéal pour l’adaptation

L’étude de phasmes a déjà permis à son groupe de confirmer, par l’analyse génomique, les prédictions de la théorie selon laquelle les espèces asexuées s’adaptent moins rapidement à un environnement qui change. Leur publication est parue le 23 février dans la revue Science Advances. La biologiste commente :

« Le brassage génétique qui se passe pendant la reproduction sexuée favorise non seulement l’élimination des mauvaises mutations qui peuvent s’accumuler au cours du temps, mais aussi il facilite l’évolution de nouvelles adaptations au milieu. Nous avons pu montrer ces avantages. En revanche, nous ne savons pas encore s’ils compensent tous les autres bénéfices de la reproduction asexuée, qui reste bien plus pratique ! »

Depuis 2016, des espèces de phasmes du genre Bacillus, provenant de Sicile, ont, elles aussi, pris leurs quartiers sur le campus. Plus grands que les Timema, ils se confondent avec des branches mortes. Présentant également une large diversité de modes de reproduction, ils permettront à l’équipe de Tanja Schwander de répondre à de nouvelles questions de recherche. Un futur projet sera notamment mené en collaboration avec Nadine Vastenhouw, professeure associée au Centre intégratif de génomique.