Les bons côtés de la vie d’un château

Le projet «L’écologie du patrimoine» tente de répondre à des questions de durabilité à travers la restauration du château de Hauteville (VD).

Qu’est-ce que la restauration du château d’Hauteville (VD) peut nous apprendre dans le domaine de la durabilité ? Le projet «L’écologie du patrimoine», soutenu par la Fondation pour l’UNIL et la Fédération vaudoise des entrepreneurs, tente de répondre à cette question. Rencontre avec les maîtres d’œuvre de cette recherche appliquée, Dave Lüthi et Nicolas Meier.

Depuis un an, le château d’Hauteville, situé à Saint-Légier-La Chiésaz, est en cours de restauration. Ce monument historique d’importance nationale, agrandi et transformé entre 1760 et 1768, a été acquis par la Pepperdine University en 2019. Cette institution américaine, qui agit en qualité de maître d’ouvrage, investit dans les travaux, tout comme le Canton de Vaud.

Ce chantier de restauration, que le bureau Glatz & Delachaux à Nyon a pris en charge, est l’un des plus importants de Suisse. Il constitue le cadre du projet de recherche appliquée «L’écologie du patrimoine». Celui-ci est porté par le professeur Dave Lüthi (professeur d’histoire de l’architecture en Faculté des lettres) et par l’architecte Nicolas Meier, chargé de recherche à l’UNIL et ancien conservateur à la Direction générale des immeubles et du patrimoine de l’État de Vaud. En 2018, «nous avions donné ensemble, à l’UNIL, un cours au sujet de deux métiers qui ont traditionnellement du mal à dialoguer : les historiens de l’art et les architectes», se souvient Dave Lüthi. Or une bonne collaboration est possible «et le chantier de Hauteville en constitue un cas d’école», note le professeur.

Bien entendu, les travaux de restauration livrent des informations au sujet du château, de son histoire et de sa construction. «Mais ils sont également l’occasion d’aborder les questions de durabilité, ajoute Dave Lüthi. À première vue, la conservation du patrimoine bâti se heurte aux exigences environnementales actuelles, complète Nicolas Meier. Pour caricaturer, on oppose frontalement les «passoires» énergétiques du passé et les objectifs de la société à 2000 watts.»

Et si, pour sortir de l’impasse, on questionnait le référentiel ? «L’écologie, c’est l’étude d’un être et de son environnement, souligne Nicolas Meier. Appliquée au patrimoine, cette notion implique de prendre en compte un bâtiment et les ressources nécessaires à le construire, l’entretenir et le transformer.»

Le château et son environnement

En adoptant ce point de vue, le château d’Hauteville, tout comme d’autres édifices construits avant la révolution industrielle, s’avère tout à fait intéressant du point de vue de la durabilité. Le bois, la pierre et la chaux nécessaires à son édification n’ont pas été acheminés de bien loin. «Nous avons la chance de posséder des archives importantes pour ce bâtiment, notamment en ce qui concerne le chantier de construction, indique Nicolas Meier. Je mène un exercice similaire en ce qui concerne la restauration actuelle, en collaboration avec les artisans que je rencontre régulièrement sur place.»

Cette recherche appliquée est menée grâce à des entretiens et des visites. Elle permettra, pour prendre un exemple, de comparer la manière dont un charpentier du XVIIIe siècle a fabriqué un chevron avec la méthode actuelle. Où se trouvait l’arbre qui a fourni le bois ? Par quels processus a-t-on créé les pièces, à 250 ans de distance ?

En période de pénurie

Un autre facteur ajoute à la pertinence de la comparaison. «Certains signaux suggèrent que nous pourrions entrer dans une période de pénurie, que ce soit au niveau de la matière première ou même de l’outillage», remarque Nicolas Meier. Le chaos engendré par la pandémie dans les chaînes de production ainsi que la très forte reprise de la construction en Chine et aux États-Unis figurent parmi les causes connues. Cette situation, que la Suisse n’a pas vécue depuis la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, «était une réalité au XVIIIe siècle. Dans les sources, l’obsession de l’usage modéré du matériau et le souci de renouveler les forêts sont présents», note Nicolas Meier. Des soucis que la mondialisation, qui permet à des cargos de livrer les matériaux en quantités en apparence illimitées, depuis l’autre bout de la planète, nous a fait perdre de vue. Ainsi, les chercheurs de l’UNIL espèrent que «l’étude menée sur une époque où la rareté était tellement commune qu’elle ne se donnait pas de nom» nous livrera des «tuyaux» pour affronter la pénurie actuelle.

La recherche met en valeur les métiers du bâtiment. «Il existe un patrimoine immatériel autour de la construction, remarque Dave Lüthi. Les artisans que nous rencontrons sont des passionnés, qui possèdent un savoir-faire et réfléchissent à leur pratique. Nous avons de belles discussions qui remettent en question la méthode habituelle de nos recherches historiques.»

Soutiens au projet

La Fédération vaudoise des entrepreneurs (FVE), basée à Tolochenaz, «a tout de suite cru au projet et l’a soutenu», se souvient Dave Lüthi. Leur École de la construction, qui forme de nombreux apprentis, pourrait y trouver de l’inspiration et de nouvelles manières de penser. La Fondation pour l’UNIL, très intéressée, finance également «L’écologie du patrimoine», qui doit durer trois ans. Les étoiles sont alignées car la Pepperdine University compte utiliser son château non seulement comme un lieu de vie et d’enseignement, mais aussi comme un objet d’étude.

Intarissables sur le projet, les effets de la mondialisation et des pressions économiques sur le domaine de la construction, ou au sujet des tensions entre la conservation du patrimoine et les normes énergétiques de 2021, Dave Lüthi et Nicolas Meier invitent des scientifiques d’autres disciplines, comme les géosciences ou les sciences économiques par exemple, à les rejoindre. Le temps est compté car une première volée d’étudiants doit débuter son cursus en 2023. Cette contrainte implique que la recherche va porter avant tout sur l’enveloppe du château, et non sur son intérieur. Unité de temps et de lieu ? Ce n’est guère étonnant quand on sait que le château d’ Hauteville a été l’un des hauts lieux du théâtre de société en Suisse romande, à l’époque des Lumières.

Le château d’Hauteville (VD) avant les travaux de restauration. Photo Nicolas Meier