Le syndrome de l’imposteur, un fléau sur les bancs de l’Université

Avoir l’impression d’être une fraude et de ne pas être à sa place est courant en académie, dont les caractéristiques alignent parfaitement les exigences pour développer un syndrome de l’imposteur. Pour le combattre, rencontre avec Margarita Sanchez, qui donne un cours de prise de confiance en soi dans le monde professionnel et puise son inspiration dans les techniques de théâtre.

« Je ne me sens pas à la hauteur », « Je ne mérite pas d’être ici », « Ma réussite n’est due qu’à la chance » ou encore « Les autres finiront par découvrir que je ne suis qu’une imposture »… Les jambes tremblantes, le cœur battant la chamade, il n’est pas toujours facile de s’affirmer à une conférence ou un examen oral, surtout lorsque le syndrome de l’imposteur prend le dessus.

L’impression constante d’être une fraude

Ce syndrome atteint des personnes qui, malgré leur réussite, ne se sentent pas légitimes. Leur diplôme ou offre de doctorat a été obtenu « par chance » et la culpabilité doublée d’angoisses prend le dessus. Peur d’être démasqué·e, autodépréciation, dénigrement des compétences, peur de l’échec et refus des compliments, tout y est. Puisqu’une réussite n’est jamais satisfaisante pour intérioriser sa valeur, le perfectionnisme accompagne souvent le tout. La volonté de faire toujours plus et mieux, pour ne pas être démasqué en tant qu’imposture, crée des superwomen ou supermen alignant projets sur projets, travaillant tard le soir et culpabilisant pour chaque moment pris pour soi.

Un problème qui tourne en rond

En 1985, la psychologue Pauline Rose Clance schématise ce problème en un cycle. Chez les personnes victimes du syndrome de l’imposteur, une activité à réaliser suffit généralement à déclencher des anxiétés, ce qui conduit soit à de la procrastination, soit à une surpréparation pour sa réalisation. Or la réussite est ensuite attribuée à la chance ou à l’effort, et non à des caractéristiques internes. Les compliments sont dénigrés et l’impression d’être une fraude perdure. Celle-ci déteint alors sur les activités à réaliser suivantes, et ainsi de suite… pour se développer en un cercle vicieux.

Le cycle de l’imposteur selon Clance, 1985. © Raoul Ganty / unicom
Syndrome de l’imposteur ou de l’impostrice ?

Pouvant se déclarer dans tous les domaines, autant au niveau professionnel que sportif, social ou familial, le syndrome de l’imposteur est lié à une estime de soi faible ou instable. Il peut toucher tout un chacun, mais cible davantage les femmes, qui se retrouvent plus facilement à douter de leurs compétences. Le contexte ou moment de vie joue aussi un rôle, puisque certains cadres favorisent son apparition : les phases de transition de vie, de succès prématurés ou des moments de fortes pressions de réussite.

Si le syndrome n’est pas considéré comme une pathologie en tant que telle, il est en revanche fréquemment accompagné de détresse psychologique. L’anxiété, la dépression et le burn-out sont prévalents.

À l’université, tout y est

Dans le milieu académique, tout semble aligné pour favoriser l’émergence du problème : pas un jour ne passe sans entendre les succès des collègues, ne serait-ce que par la lecture de leurs publications. Il est si facile de se comparer en utilisant le nombre d’articles acceptés, d’invitations à des conférences ou encore la renommée des journaux qui ont publié un travail. Le doute, valorisé dans la démarche scientifique, s’immisce aussi dans la psychologie de celui ou celle qui se considère comme un imposteur ou une impostrice. Sans oublier la hiérarchie et les réunions avec experts et expertes de son domaine qui positionnent sans cesse face à plus expérimenté que soi. Il y a toujours quelqu’un qui a fait une publication de plus, qui a utilisé une meilleure méthode ou qui a été l’orateur principal du dernier symposium. Comment ne pas se sentir tout·e petit·e ?

Que faire pour casser ce cycle ?

À chaque niveau, il existe des leviers d’amélioration. Un travail psychologique, pour apprendre à réattribuer les réussites et désamorcer cette petite voix dans sa tête qui affirme si fort que rien n’est jamais suffisant.

Une autre clé est enseignée à l’Université de Lausanne : le théâtre. Margarita Sanchez, comédienne et chargée du cours « Dramaturgie pour le monde professionnel » et de la formation « Oser parler en public » à la Faculté des hautes études commerciales, explique : « Le théâtre, c’est quelque chose qui dès le départ cultive l’estime de soi. Il apprend des techniques pour pouvoir transmettre justement un message, une pièce, des émotions ou un personnage », un élément clé pour casser le cycle de l’imposteur, et ce sur plusieurs niveaux. Combinant des exercices de théâtre, de danse et de chant, la comédienne fait travailler posture, voix, regard, équilibre et souffle pour reprendre confiance en soi.

Au départ, le stress

Premier élément du cercle vicieux du syndrome de l’imposteur, l’anxiété. Présenter sa recherche à une conférence, par exemple, peut être paralysant, ce à propos de quoi la comédienne rassure immédiatement : « Ce qu’il y a de génial avec le stress, c’est qu’il a trois qualités. Premièrement, il est universel. Même Jacques Brel vomissait en coulisses avant d’entrer et Barbara était au bord de la mort. Deuxièmement, il se voit moins qu’il ne se sent. Personne ne voit que ton cœur bat. On peut voir que tu rougis un peu, mais ça peut te donner un charme fou. Si tu l’assumes et travailles bien ta respiration, tu rougiras moins. La troisième caractéristique du stress, c’est qu’il est passager. Il ne dure que les cinq premières minutes d’une présentation. C’est pour ça que c’est important de lâcher la pression avant d’entrer sur scène avec certains exercices. » Elle suggère par exemple de crier : « Yes, yes, yes ! » très fort en tapant dans ses mains et de manière très enjouée avant chaque présentation.

Comment bien se préparer ?

La comédienne insiste : la préparation ! Sachant que les victimes du syndrome favorisent la procrastination on la surpréparation, elle affirme : « Quel meilleur exemple de la préparation que celui du comédien qui répète ? Il cherche son personnage, comprend le texte dans ses subtilités et le met en bouche. » Elle préconise de créer un texte propre à soi, qui ne pourra ainsi pas être comparable, et commencer par une anecdote apprise par cœur, le reste suivra. Pour les surpréparateurs et supréparatrices, le secret est dans l’essentialisation : « Trouver dix mots clés qui tiendront sur un carton. » Pour le reste, il n’y a besoin ni de tout dire, ni de prouver qu’on le sait.

Sans oublier les autres

Il est question de faire un travail sur soi, de dédramatiser, de s’ancrer personnellement, de s’attribuer ses réussites et de se préparer à sa manière. S’occuper de soi et seulement soi. « Les autres sont déjà pris de toute façon », sourit Margarita Sanchez en référence à la phrase d’Oscar Wilde. Avant de rebondir : « Il n’est pas non plus question de dire : « Poussez-vous, je suis là » car le respect va dans les deux sens. Si tu veux que les gens soient attentifs, respectueux et empathiques, sois attentif, respectueux et empathique. » Face à une audience, il s’agit de s’adresser directement à elle, la regarder, faire sentir que le discours concerne chacun d’entre eux. » Si ce public est là, c’est qu’il l’est pour écouter et apprendre, non pour juger.

L’ultime levier rendant tout intéressant

Si tous les conseils donnés ici semblent impossibles à surmonter, il reste un élément primordial au sein de chaque personne : la passion. C’est elle qui guide les pas et qui rend chaque discours intéressant et pertinent. Elle est un moteur pour chaque individu qui prend le temps de se souvenir pourquoi il ou elle a décidé d’être ici.

Selon une étude, 62 à 70% des personnes ont vécu le syndrome de l’imposteur au moins une fois dans leur vie. C’est aussi le cas de Margarita Sanchez : « Bien sûr que je l’ai eu en débarquant à l’Université de Lausanne en tant que comédienne ! Alors je me suis retroussé les manches, j’ai appris ce que c’était qu’un moodle. On m’a dit qu’il y avait trop de documents ? Alors j’ai fait des onglets. Je ne parle pas l’anglais ? J’étudie le langage corporel de ceux que je ne comprends pas. » Petit rappel qui s’avère donc important : si tout le monde est un imposteur, personne ne l’est.

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