Le prodigieux destin des vertébrés

Parution de l’Atlas des vertébrés, œuvre majeure illustrant l’évolution des animaux à colonne vertébrale sur 525 millions d’années. Entretien avec les auteurs, Robin Marchant et Arthur Escher.

La troisième édition de l’Atlas des vertébrés vient de paraître. Fruit d’un important travail de recherche et d’illustration, cet ouvrage présente l’évolution d’une sélection d’animaux dotés d’une colonne vertébrale, depuis leur apparition il y a 525 millions d’années jusqu’à nos jours. Rencontre avec ses auteurs, le géophysicien Robin Marchant et le géologue Arthur Escher, professeur honoraire à l’UNIL.

En bas à gauche se trouve un petit mammifère arboricole disparu, Purgatorius. En haut à droite sont dessinés des humains d’aujourd’hui. Entre eux, 65 millions d’années d’évolution des primates sont exposées sur une double page. Qu’ils soient éteints ou vivants, près de 80 animaux appartenant à cet ordre, ainsi que les principales familles qui le composent, ont été représentés de manière graphique. Le parcours de nos ancêtres et (lointains) cousins, à travers les abîmes du temps, est enrichi d’informations supplémentaires en texte et en schémas, notamment sur leurs squelettes.

Cette synthèse constitue l’une des 17 planches de l’Atlas des vertébrés, dont la troisième édition, revue et enrichie, vient de sortir aux Éditions LEP. Partant du principe que « l’image raconte davantage que mille pages de texte », près de 2000 animaux peuplent les 44 pages de ce grand ouvrage au format carré. « Par rapport à l’édition précédente, nous avons par exemple ajouté un chapitre au sujet de l’évolution des chauves-souris, avec quelques détails intéressants concernant leurs ailes », indique Robin Marchant, coauteur de l’Atlas et conservateur au Département de géologie du Musée cantonal des sciences naturelles.

Les animaux actuels dessinés, comme la chouette effraie ou le panda, ont été choisis car « ils sont connus de tout le monde », précise le géophysicien. Mais comment les créatures disparues – bien plus nombreuses – ont-elles été sélectionnées ? « Nous avons privilégié les vertébrés décrits dans la littérature scientifique, explique Arthur Escher, coauteur de l’Atlas et professeur honoraire à l’UNIL. Bien d’autres bestioles ont existé par le passé, mais elles ne nous sont souvent connues que par quelques dents ou bouts d’os. » Il a fallu parfois extrapoler – notamment les couleurs des pelages et autres écailles – et « habiller les squelettes », ajoute le géologue. Mais cette démarche s’appuie sur des croquis réalisés par des spécialistes.

Validation scientifique

Pour parvenir à proposer un livre à la fois lisible et riche, une simplification des lignées des vertébrés a été nécessaire, mais en toute rigueur. Un réseau d’experts a validé les informations. Par exemple, « nous avons la chance que l’expert mondial des tortues vivantes et fossiles, Walter Joyce, soit professeur à l’Université de Fribourg. Il est au fait des publications scientifiques les plus récentes. Nous avons passé une demi-journée passionnante avec lui », raconte Robin Marchant. « Nous n’avons rien inventé, complète Arthur Escher. Notre travail a été de rassembler les données que des spécialistes ont livrées dans des publications scientifiques. »

L’un des tours de force de l’Atlas réside justement dans la métamorphose de montagnes de connaissances pointues et dispersées en un panorama très illustré de l’évolution des vertébrés, destiné à tous les publics. « Ce livre n’aurait pas été réalisable sans les documents disponibles aujourd’hui via Internet, note le géologue. Il y a 30 ans, nous aurions dû courir les bibliothèques du monde entier pour rassembler les informations. »

Atlas des vertébrés de leurs origines à nos jours, par Arthur Escher et Robin Marchant. Troisième édition revue et augmentée. Éditions Loisirs et Pédagogie (2023), 44 p.

Il n’en reste pas moins que cet ouvrage est la somme d’un travail de Titan. Ses racines remontent à la Deuxième Guerre mondiale. « Mes parents possédaient une bibliothèque fantastique, qui comprenait les œuvres de Charles Darwin ou du paléontologue Alfred Sherwood Romer, se souvient Arthur Escher. Nous n’avions alors presque aucune distraction, à part lire. Cette activité a développé mon intérêt pour l’évolution. » Bien plus tard, le professeur honoraire de l’UNIL a réalisé, à titre privé, un embryon d’atlas à destination de l’un de ses petits-enfants. Ce jeune garçon ne voulait en effet pas croire que les oiseaux étaient les descendants de certains dinosaures, les derniers survivants d’une dynastie qui a dominé la vie sur Terre pendant près de 180 millions d’années. Dans son atelier-bureau-bibliothèque, le professeur honoraire œuvre d’ailleurs sous l’œil de Darwin : un portrait du naturaliste surplombe son vaste plan de travail.

Au milieu de l’entretien avec Arthur Escher, Faramir débarque. Ce chien au long pelage brun a servi de modèle au géologue pour dessiner son espèce, en page 35. D’un seul regard, on voit le canidé affectueux trottiner dans la pièce, tandis que la très longue histoire qui a permis son existence s’étale au travers d’une planche de l’ouvrage concocté par son maître. Ce genre de petit vertige survient régulièrement à la lecture de l’Atlas.

Phénomènes lents

Grâce à l’échelle temporelle qui se déroule au bas de ses pages, le livre met en lumière que « l’évolution se produit de manière très lente. Il faut des millions d’années pour que des modifications apparaissent chez les animaux, qui doivent progressivement s’adapter à des milieux changeants », ajoute Arthur Escher. « La biodiversité actuelle résulte de plus de 500 millions d’années de transformations et de disparitions, renchérit Robin Marchant. Lorsqu’une extinction majeure se produit, des niches écologiques sont vidées, puis se voient coloniser par des espèces qui ont pu s’adapter aux nouvelles conditions de vie. » L’Atlas illustre ainsi que la chute des dinosaures « non aviens » (soit sans lien avec les oiseaux), il y a 66 millions d’années, a permis le développement d’animaux qui vivaient dans leur ombre, comme justement les oiseaux, les mammifères et donc Homo sapiens, bien plus tard. Adieu tricératops, bonjour Purgatorius ! Ce foisonnement postapocalyptique est baptisé « explosion radiative ».

« La biodiversité actuelle résulte de plus de 500 millions d’années de transformations et de disparitions »

Robin Marchant

La vie suit sa propre partition. Mais la géologie joue le rôle du métronome, en donnant le tempo. Sur une double page, les coauteurs ont ainsi exposé les extinctions majeures avec leurs causes probables, ainsi que les variations climatiques – climat global chaud ou froid –, la répartition des continents sur Terre et le taux de CO2 dans l’atmosphère, pour les 600 derniers millions d’années. L’extinction en cours actuellement, d’origine anthropique, est également présentée. D’ailleurs, dans les planches de l’Atlas, les espèces disparues du fait de l’Homme, comme le dodo, « sont signalées grâce à une croix rouge, note Robin Marchant. Il y a là un petit message. »

Enfin, le livre – qui existe en plusieurs langues – est doté d’un indispensable index, ainsi que d’un poster spectaculaire à afficher au mur, mesurant près d’un mètre de large. Sur ce document, les espèces fossiles découvertes par des Suisses, comme le platéosaure, sont repérables grâce à un petit drapeau rouge à croix blanche.

Et pour la suite ? Les coauteurs sont partants pour une quatrième édition, avec l’ajout des marsupiaux et des amphibiens. Il est en effet possible d’ajouter sans fin des pages, tant la dynastie des vertébrés, d’hier et d’aujourd’hui, est vaste.

Dès juin 2024, une version géante du poster de l’Atlas des vertébrés (une dizaine de mètres de large) sera exposée au Palais de Rumine, dans le cadre de la grande exposition « Spécimen 24 » du Muséum cantonal des sciences naturelles. Informations à venir sur palaisderumine.ch.

En ce moment, pour les fans de dinosaures : « Platéosaure, ceci est un dinosaure » au Musée d’histoire naturelle de Neuchâtel, museum-neuchatel.ch.

Atlas des vertébrés de leurs origines à nos jours, par Arthur Escher et Robin Marchant. Troisième édition revue et augmentée. Éditions Loisirs et Pédagogie (2023), 44 p.

Poster Origines et évolution des vertébrés, par Arthur Escher et Robin Marchant. Éditions Loisirs et Pédagogie, 40 p. editionslep.ch/atlas-des-vertebres-poster.

思维导图中的 进化简史 (Atlas des vertébrés de leurs origines à nos jours ; version en chinois), par Arthur Escher et Robin Marchant. Jiangsu Phoenix Children’s Publishing House (2022), 40 p. ISBN 978-7-5584-1836-5.

Atlas of Vertebrates from Their Origins to Today, par Arthur Escher et Robin Marchant. Éditions Loisirs et Pédagogie (2019), 40 p. ISBN : 972-2-606-01788-0. editionslep.ch/atlas-of-vertebrates.

Une traduction allemande devrait paraître cette année chez HEP Verlag AG, Berne.