Quel avenir pour le col de la Givrine, un espace vert très populaire? La Région de Nyon a mandaté l’Observatoire universitaire de la ville et du développement durable de l’UNIL afin de savoir ce que souhaitent les différents acteurs du lieu.
Situé entre Saint-Cergue et La Cure, à plus de 1200 mètres d’altitude, le col de la Givrine est un haut lieu d’excursion. Il attire des foules de Genevois, de Français et d’habitants de la Côte, surtout le week-end. Accessible, ce coin de Jura vaudois est desservi par la route et par les trains rouges de la compagnie Nyon-Saint-Cergue-Morez, bien connus des festivaliers de Paléo.
Afin de supprimer le stationnement sauvage endémique et de sécuriser ces lieux fréquentés, un grand parking verra le jour. Mais au-delà de la satisfaction des véhicules, que faire de La Givrine ? Quels sont les aménagements souhaités par le public, les usagers et les acteurs locaux ? La Région de Nyon, association qui regroupe les communes du district, a mandaté l’Observatoire universitaire de la ville et du développement durable de l’UNIL (OUVDD) pour mener une démarche participative, actuellement en cours.
L’air de rien, ces pâturages et ces forêts cristallisent des enjeux économiques, environnementaux, identitaires et même émotionnels. Entretien avec Muriel Delabarre, directrice de l’OUVDD, et Antonio Da Cunha, professeur honoraire, qui pilote cette recherche-action.
Comment le projet « Inventer La Givrine de demain » a-t-il commencé pour vous ?
Antonio Da Cunha : Nous avons été contactés directement par La Région de Nyon, à qui nous avons expliqué notre fonctionnement et présenté nos compétences. Notre offre a ensuite été acceptée. La recherche-action comporte quelques particularités, dont le fait que la problématique puis la démarche participative sont définies d’entente avec le mandant et l’ensemble des acteurs directement concernés selon un processus itératif.
Muriel Delabarre : Ce projet s’inscrit dans la continuité des recherches-actions menées depuis des années à l’UNIL. L’ADN des démarches pilotées par l’Observatoire réside dans le rapprochement de savoirs pluriels. Le monde académique, l’expertise professionnelle des parties prenantes, les acteurs publics et privés coconstruisent la recherche. Notre rôle, dans ce contexte, consiste à mener l’enquête, à effectuer une analyse et des synthèses, ainsi que des recommandations.
Qui sont vos partenaires ?
ADC : Afin d’être efficace, ce type de projet implique la création d’un comité de pilotage, un « Copil », qui implique les acteurs concernés et qui participe directement à l’élaboration de la problématique et au choix des outils de mise en œuvre de la recherche. Dans le cas de La Givrine, il s’agit du monde politique, aux échelons communaux et régionaux, des cercles sportifs et touristiques, de l’économie – avec l’hôtellerie et la restauration – des milieux de la protection de la nature et des propriétaires des parcelles directement touchées par le projet d’aménagement. Il a fallu du temps pour réunir ce comité, mais sa constitution rend la démarche plus pertinente. La première séance du Copil a eu lieu le 25 septembre 2020, et nous en sommes à la fin de la première phase…
Quelle est-elle ?
ADC : D’entente avec Muriel Delabarre et les mandants, nous avons choisi 25 personnes à interviewer. Les membres du Copil en faisaient partie, tout comme une dizaine d’autres. Parmi eux, des agriculteurs. En effet, des pâturages se trouvent à La Givrine. Nous avons également parlé à des représentants du Conseil des jeunes du district de Nyon et à des élus des communes concernées (Saint-Cergue, Givrins, Trélex, Genolier). Chacun doit pouvoir s’exprimer. L’idée est d’apprécier l’opportunité et la pertinence des aménagements prévus. De clarifier les règles du jeu. D’apprécier les marges de manœuvre offertes aux processus participatif.
Que leur avez-vous demandé ?
ADC : D’abord, quelle était leur vision des aménagements à venir à La Givrine. Ensuite, comment organiser le processus de participation lui-même. Quels sont les outils à mettre en place pour impliquer le public dans la démarche ? C’est ce que nous appelons des « scènes participatives ». Il s’agit de définir les « volumétries » des scènes à mettre en place. Nous travaillons sur trois paramètres : l’intensité de la démarche (information, consultation, concertation), sa profondeur (quelles thématiques en débat ?) et sa largeur (qui est invité à la démarche ?).
Et ensuite ?
ADC : La question du choix des outils se pose. Va-t-on recourir à des séances d’information, des forums, utiliser des questionnaires ? Voici l’une des autres particularités de la recherche-action : nous intégrons de nombreux points de vue, parfois divergents, dont nous faisons la synthèse afin d’avancer.
MD : Dans ce type de démarche participative, le « design social », soit la conception des scènes, est aussi important que le design spatial à venir. Nous plaçons ces deux registres à égalité dans les projets d’aménagement que nous accompagnons.
La démarche demeure cadrée : il n’est pas question de construire n’importe quoi à La Givrine…
ADC : En effet, le plan partiel d’affectation datant de 2006 n’est pas remis en cause. Il implique par exemple la construction d’un parking pour mettre fin au stationnement sauvage. La démarche participative, elle, porte sur le choix des équipements à installer sur une surface de plancher d’environ 3000 mètres carrés : quels aménagements, quels cheminements, quelle liaison entre les pièces du périmètre, quelles constructions ? Une maison de la nature ? Un centre nordique ? Quel accueil ? Quelles modalités d’hébergement ? Quel modèle de développement touristique face au changement climatique ?
Cette recherche-action n’est donc pas prétexte…
ADC : Non, pas du tout. S’il n’y avait pas matière à participation, si tout était joué d’avance, nous n’aurions jamais accepté ce mandat. Le Copil s’est engagé à ouvrir le débat et à intégrer les résultats de la démarche dans la planification des aménagements futurs… quels qu’ils soient ! Les démarches participatives sont utiles dans la mesure où leurs résultats peuvent être inclus dans les processus de planification issus de la démocratie représentative. C’est en cela qu’elles renforcent la légitimité de l’action publique et favorisent la qualité des projets d’aménagement.
Justement, comment la deuxième phase, qui touche un public plus large, va-t-elle se dérouler ?
ADC : Nous avons soumis plusieurs idées au Copil, qui a tranché pour une méthode classique : une enquête d’opinion. Nous avons préparé un formulaire à choix multiple, qui va être diffusé aux membres du Copil. Nous comptons notamment sur les membres du Conseil des jeunes pour faire circuler l’information. Notre objectif, au vu des délais et de nos moyens, est de 600 réponses. De plus, une séance du Conseil intercommunal de La Région de Nyon, au printemps, sera consacrée à la démarche participative. Les élus présents pourront aussi répondre au questionnaire et il est attendu qu’ils le fassent circuler dans leurs communes, leurs partis ou encore dans les associations auxquelles ils participent. L’avenir de La Givrine constitue un enjeu identitaire pour les habitants de la région. Un sondage sera aussi réalisé auprès des usagers habituels des installations de La Givrine. D’autres actions sont prévues. Elles seront modulées en fonction des contraintes posées par la crise sanitaire.
Il y a encore les touristes ?
ADC : Oui, il est prévu d’interroger les visiteurs de La Givrine en hiver et en avril-mai afin de couvrir les deux usages du site, de la raquette au vélo ! Il sera intéressant de comparer les souhaits et attentes de ces personnes, souvent citadines, avec celles des personnes de la région.
De vos points de vue de géographe et d’urbaniste, quels sont les enjeux à La Givrine ?
MD : Je vois déjà un enjeu autour de la transition vers une autre forme de tourisme, en lien avec le changement climatique et la baisse de l’enneigement (moins 40% ces dix dernières années). À long terme, comment le programme d’aménagement du col va-t-il accompagner un tourisme hivernal différent ? Quel sera-t-il ? Le projet d’aménagement est à la croisée de changements environnementaux majeurs…
ADC : J’y vois aussi des enjeux économiques. Dans cette région, les Communes ont misé principalement sur un développement lié à l’installation de résidences secondaires. Comment construire une nouvelle économie touristique, plus résiliente et plus durable ? Le trafic routier constitue un autre point important. Le nouveau stationnement de La Givrine pourrait servir de parking relais aux travailleurs frontaliers, nombreux à descendre sur la Côte par Saint-Cergue. Le transfert modal, de la voiture vers le train, pourrait y avoir lieu. Le col se trouve à moins de deux kilomètres de la France ! Cela constitue un enjeu environnemental clair.
Justement, je n’aime pas tellement aller à La Givrine car j’y vois trop de voitures et trop de monde.
ADC : Les enjeux émotionnels autour de la transformation du paysage sont bien là. Des personnes proches de l’environnement ne souhaiteraient pas surcharger cet espace, bien touché par le littering, et d’autres aimeraient développer des infrastructures pour le sport ou pour l’hébergement des touristes. À l’Observatoire, nous faisons le pari que nous pouvons rendre compatibles l’économie touristique et la protection de l’environnement, tout en proposant une offre dans laquelle la population se reconnaisse. La bonne manière de récolter ce « triple dividende » réside justement dans la participation.
Le sondage « Inventons La Givrine de demain ! » : regiondenyon.ch/givrine