Narratologie médiévale

Par Alain Corbellari

Ce qui, dans la culture du Moyen Âge occidental, ressortit à ce que l’on peut appeler des réflexions d’ordre narratologique s’articule selon trois axes :

  1. il y a d’abord les considérations explicites que l’on peut tirer des arts poétiques latins des XIIe et XIIIe siècles ;
  2. il y a ensuite les idées, essentiellement implicites, que l’on peut déduire de la lecture des œuvres vernaculaires, en particulier françaises, de la même époque ;
  3. il y a enfin tous les commentaires (des razos de troubadours au De vulgari eloquentia de Dante) consacrés à la poésie des troubadours. Bien que centrés sur la poésie lyrique, ces commentaires, qui se développent en genre autonome à partir du XIIIe siècle, n’en développent pas moins, incidemment, d’intéressantes considérations sur le rapport de la vie à l’œuvre en développant le potentiel narratif de la poésie troubadouresque.

Le troisième axe étant cependant quelque peu périphérique par rapport à notre objet (on renverra à ce propos au livre de Michel Zink, Les troubadours une historie poétique), c’est sur les deux premiers que l’on se concentrera ici.

Lire la suite

Le troisième souffle (annonce de parution)

Au début des années 2000, les adaptations télévisuelles du Comte de Monte Cristo, des Misérables et du Bossu font émerger la question de l’inceste dans une parenté élective. Tout se passe comme si le mariage du tuteur avec sa pupille qui constituait l’issue heureuse du roman populaire était devenue problématique : l’adaptation des Misérables tourne autour de l’amour impossible de Jean Valjean pour Cosette ; celle du Comte de Monte-Cristoréaménage le scénario pour éviter de laisser partir Monte-Cristo avec Haydée ; celle du Bossu, donne à Lagardère une autre épouse que la jeune Aurore de Nevers, l’enfant qu’il a recueillie et élevée. Vingt ans plus tard, le terme ‘inceste’ est introduit dans le code pénal et la question du consentement est au cœur de l’espace public.

Lire la suite

Dialoghi su Gérard Genette (annonce de parution)

Un hommage à l’œuvre de Genette vient de paraître, édité par Stefano Ballerio et Filippo Pennacchio. Cet ouvrage en italien, dirigé par l’un des promoteurs du Seminario permanente di narratologia, témoigne du regain de vigueur de la théorie du récit transalpine.

Souvent connu pour ses études narratologiques, Gérard Genette était aussi un spécialiste de l’esthétique, un critique littéraire raffiné et un explorateur passionné des frontières textuelles – ainsi que l’auteur de livres « personnels » à la fois divertissants et amusants. De la série Figure à Seuils, de Palimpseste à Bardadrac, ses réflexions ont été et continuent d’être fondamentales pour raisonner sur les textes et leur environnement matériel et symbolique. Il conoscibile nel cuore del mistero (littéralement: « Le connaissable au cœur du mystère », citation célèbre tirée de la préface de Figure III) tente de retracer certaines des étapes les plus significatives de son œuvre. Il le fait à travers une série de dialogues entre onze chercheurs et ses textes. Onze réflexions qui partent d’autant d’indices textuels, et qui tentent de tracer des chemins potentiels pour raisonner sur la vitalité de la pensée de Genette, sur les multiples façons dont ses pages sont encore capables de nous parler.

Recherches contemporaines en narratologie (annonce de séminaire)

Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS/EHESS)

Séminaire « Recherches contemporaines en narratologie » 2021-2022

Le séminaire se réunit tous les quinze jours, les 1er et 3e mardi du mois, de 15h à 17h 54, boulevard Raspail – 75006 Paris
Salle B02_18

NB : Le séminaire sera en visio cette année.
Le lien sera communiqué la veille de chaque séance

http://narratologie.ehess.fr

John Pier (Université de Tours et CRAL) et Philippe Roussin (CRAL/CNRS), gestionnaires, avec la collaboration d’Olivier Caïra (IUT Evry et EHESS), de Thomas Conrad (ENS, Paris), d’Anne Duprat (Université d’Amiens et IUF) et d’Anaïs Goudmand (Sorbonne Université)

English below

Performativités narratives

Scribere est agere. Parler c’est agir. La formule juridique convient particulièrement bien au récit. Les récits agissent, sont efficaces entre autres raisons parce que nous les croyons. Et nous les croyons parce que, comme l’ont enseigné la philosophie du sens commun (Thomas Reid et le principe de crédulité : toute assertion est digne de créance tant qu’elle n’a pas été démontrée fausse) et, plus récemment, la psychologie cognitive (l’existence d’une disposition à croire nos semblables, à avoir confiance dans la véracité des récits qui nous sont contés), notre pente naturelle est de croire ce que l’on nous raconte. La théorie des actes de langage d’Austin, élaborée par rapport au droit (qu’il s’agisse de l’engagement du locuteur, des obligations contractuelles, qui se déclarent avec l’assertion, la promesse, etc.), les « implicatures conversationnelles » de Grice et la pragmatique renvoient alors aux questions de la détermination des autorités et des narrateurs fiables (on peut ainsi réinterroger la tradition du unreliable narrator issue de la rhétorique narrative de Wayne Booth), de la confiance (entendue comme une attitude épistémique) que nous accordons à ce que l’on nous raconte et de la défiance (comme attitude trop coûteuse). Loin des problématiques trop usuelles du pouvoir, de la puissance d’agir de la fiction ou du récit, le storytelling (pour ne citer que lui) peut ainsi être repensé, dans ses versions orales comme écrites, au-delà de la seule interprétation qui a prévalu en France par la rationalité et la communication manipulatrices.

Lire la suite

L’héritage de Ricoeur (annonce de parution)

Ce numéro double revient sur l’héritage de Ricoeur, en particulier sur la manière dont la trilogie Temps et récit (1983-1985) est venue renouveler la manière d’envisager les rapports entre la mise en intrigue et l’expérience humaine, le rapport au temps et la construction identitaire. A bien des égards, Temps et récit peut ainsi être considéré comme un point de jonction entre la narratologie classique et postclassique ainsi qu’entre la théorie du récit et les études narratives.

Ce dossier est publié de manière coordonnée dans les Cahiers de narratologie et dans la revue Poetics Today. Il réunit les contributions de Raphaël Baroni, Claude Calame, Marco Caracciolo, Philippe Carrard, Jonas Grethlein, Stéphane Lojkine, Adrien Paschoud, Marie Vanoost et Ioana Vultur.

Cahiers de narratologie: https://doi.org/10.4000/narratologie.11864

Poetics Today: https://read.dukeupress.edu/poetics-today/issue/42/3

Narratologie vidéoludique / Narratology of Videogames

Par Marc Marti

La narratologie vidéoludique se situe au carrefour de deux champs d’études, d’une part les game studies et de l’autre la narratologie. L’état de la question doit donc prendre en compte ces deux champs et les approches qui s’y développent concernant la narrativité, qui reste une question étroitement liée aux évolutions techniques et aux pratiques des joueurs. Pour les narratologues, le récit est un élément inhérent aux univers et aux pratiques vidéoludiques telles que les étudie la ludologie dans le cadre des game studies. Cette position de principe n’est pas nouvelle et elle s’intègre à des réflexions déjà avancées dans les deux domaines (Ryan 2007 ; Rueff 2008 ; Marti 2012 ; 2014 ; Zabban 2012 ; Barnabé 2014). Selon cette perspective, quelle que soit sa forme, le jeu vidéo reste fondamentalement une expérience temporelle, à la fois simulacre et simulation, et peut, à ce titre, s’articuler sur un « mode narratif » (Ricœur 1983 : 85).

Lire la suite

Narratologie musicale (annonce de parution)

Márta Grabócz, Narratologie musicale. Topiques, théories et stratégies analytiques, Paris, Hermann, 2021.

Depuis l’Antiquité, toute l’histoire de l’esthétique et de la réflexion philosophique portant sur la musique est marquée par un antagonisme profond. L’une des approches accentue les caractéristiques dites « formelles », mesurables et objectives des phénomènes musicaux, tandis que l’autre tient compte de l’expression, du rôle social, de la valeur communicative des œuvres musicales. De nos jours on constate le retour de la discorde. La musicologie actuelle peut être considérée comme la scène d’un champ de bataille acharnée entre deux forces antinomiques  : celle des représentants du formalisme musical contemporain, et celle qui cherche – grâce aux outils théoriques empruntés à l’évolution récente des sciences humaines – à comprendre la manière dont la musique exprime ou signifie notre rapport au monde, aux unités culturelles de chaque époque historique. C’est de cette façon que les apports de la sémiotique et de la narratologie littéraire, de l’étude de l’intermédialité, des sciences cognitives, des performance studies,gender studies, etc., peuvent féconder la réflexion actuelle sur les œuvres musicales.

Lire la suite

Théorie du déplacement déictique / Deictic Shift Theory

Par Mary Galbraith

À la mémoire de Janyce M. Wiebe, traduit de l’anglais par Sylvie Patron

Deixis (dont l’adjectif correspondant est déictique) est le terme sémiotique utilisé pour renvoyer à un ensemble d’indices personnels, temporels et spatiaux spécifiques (voir Bühler 2009 [1934, 1999], 262-347). Le centre déictique, appelé « origo » chez Karl Bühler, coïncide a priori avec notre propre vécu corporel, inséré dans le temps et l’espace réels. Cependant, à travers des processus psychologiques comme l’identification et la mimèsis, nous avons également la possibilité d’entrer dans la réalité d’êtres imaginaires, dans des espaces et des temps imaginaires, en nous appuyant sur les indices apportés par le texte fictionnel. L’étude de la façon dont les lecteurs déplacent leur centre déictique de la situation spatio-temporelle et personnelle dans laquelle ils se trouvent vers la situation spatio-temporelle et personnelle imaginaire du texte fictionnel constitue la tâche d’investigation prioritaire de la théorie du déplacement déictique.

Lire la suite

Le médium (au) cinéma (annonce de parution)

Mireille Berton, Le médium (au) cinéma, Genève, Georg éditeur, coll. « emprise de vue ». 36′ pages, 18 CHF.

Comment expliquer les affinités électives entre le cinéma et le monde de l’au-delà ? Pourquoi insister sur le caractère spectral des images filmiques ? En vertu de quels critères le cinéma devient-il un vecteur de fantasmes liés à la communication avec les esprits ?

Le médium (au) cinéma entend répondre à ces questions en prenant comme point de départ, non pas tant la figure du fantôme que celle du médium spirite vu comme un média. L’étymologie du terme « médium » permet en effet d’envisager cette figure à la fois comme un intermédiaire ultrasensible entre le monde des vivants et des morts, et comme un appareil d’inscription et de transmission de données. Au cinéma, cette idée est transposée dans des films où le médium spirite opère tel un dispositif audiovisuel, une « machine-cinéma » capable d’intercepter des ondes invisibles, d’effacer les distances, de superposer les temporalités, de contourner la déchéance des corps et des choses. À l’occasion, le médium spirite devient le point d’origine d’un spectacle « multimédia » autour duquel gravitent quelques personnages récurrents (croyants et sceptiques, fantômes justiciers ou vengeurs, esprits maléfiques, parapsychologues exégètes). C’est pourquoi du médium (spirite) au média (technologique), il n’y a qu’un pas que les films contemporains franchissent volontiers, quitte à faire disparaître le médium au profit du média. Car bien que les technologies de (télé)communication aient toujours été investies de propriétés spectrales, le développement des cultures numériques contribue sans aucun doute à amplifier l’imaginaire du fantôme dans la machine, comme en attestent La Mort en ligne (2004), Pulse (2006) ou la franchise « The Ring ».

Lire la suite

La réalité de la fiction 2 (annonce de parution)

Sonny Perseil et Benoît Petitprêtre (dir.), La réalité de la fiction 2, Louvain-la-Neuve, L’Harmattan, 2021, 196 pages, 20,50 € – ISBN : 978-2-343-23121-1

Qu’on se le dise, La réalité de la fiction revient pour une deuxième saison ! Loin d’avoir épuisé, dans le premier tome publié en 2019, le sujet des relations entre fiction, narration, discours et récit, l’équipe de recherche du Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l’action (Lirsa) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) vous propose de nouveau de réfléchir à ce questionnement ô combien riche et foisonnant. Pour le cru 2021, trois principales pistes sont proposées à la réflexion : la performativité du témoignage ; la façon dont la fiction agit sur la gestion ; la compréhension de l’écart entre réalité et fictions. Pour saisir en profondeur ces éléments subtils qui fondent la réalité de la fiction, des thèmes aussi éclectiques que la comptabilité en bandes dessinées, les récits du mécénat, les usagers des transports publics, le docu-fiction, les séries TV, Harry Potter, René Char, le théâtre du réel, la peinture réaliste, la pornographie ou encore les palaces, sont abordés. Évoluant en sciences de gestion, en science politique, en sociologie ou encore en philosophie, les quinze auteurs réunis ici s’inscrivent résolument dans l’interdisciplinarité, particulièrement féconde pour des objets de recherche de ce type.

Avec les contributions de : Laurent Dehouck, Claire Edey-Gamassou, Nicolas-Xavier Ferrand, Lise Henric, Aldo Lévy, Aurélien Maignant, Marine Malet, Sonny Perseil, Benoît Petitprêtre, Mailys Poirel, Mohamed Rdali, Sébastien Rocher, Frédéric Roussille, Olivier Vidal et Nathanaël Wadbled.

Vous pouvez commander ce livre chez votre libraire ou sur le site Internet de L’Harmattan : https://www.editions-harmattan.fr/livre-la_realite_de_la_fiction_2_sonny_perseil_benoit_petitpretre-9782343231211-70064.html