Viagra féminin – Une histoire de la médicalisation de la sexualité féminine

L’intervention de Delphine Gardey jeudi 25 mars 2021 au sujet de la médicalisation de la sexualité féminine prend place dans le cadre de la série de conférences en ligne Chimies Sexuelles, organisée par le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève. La série des quatre conférences du printemps 2021 a pour objectif d’analyser le rôle de la biochimie et de la pharmacologie dans la perception, passée et actuelle, de la sexualité.

Conférence de Delphine Gardey

Compte-rendu par Chloé Schaer

Historienne et sociologue, Delphine Gardey est enseignante et directrice au sein de l’Institut des Études Genre à l’UNIGE. Travaillant autour de la question du genre et de son articulation avec d’autres domaines – à l’instar de la politique, de la sexualité ou encore de l’histoire de la médecine – elle retrace à travers ses travaux l’imbrication entre les questions féministes, la constitution des savoirs et les fonctionnements sociaux contemporains. L’illustration la plus récente à ce sujet est d’ailleurs sa dernière recherche : Sex Tech.  Désirs en échec ? Expérience et traitement des défaillances de la sexualité féminine : la construction d’un problème médical et social, réalisée entre 2013 et 2016.

L’histoire du Viagra féminin et son apparition dans la sphère publique au cours des années 2000-2010 mettent en évidence la manière dont la sexualité féminine a progressivement été médicalisée et construite en tant que problème public. À travers la double dimension de cette médicalisation – l’évolution des dynamiques biomédicales et pharmaceutiques et les transformations sociétales et normatives -, Delphine Gardey appréhende l’histoire de la médicalisation de la sexualité féminine comme un espace de rencontre entre différents acteurs et différentes disciplines. Ces derniers ont participé à la perception contemporaine des troubles de la sexualité féminine, interrogeant le lien existant entre société et sciences.

Delphine Gardey a ainsi illustré le processus de co-construction qui s’est opéré entre le travail de quantification des catégories diagnostiques et la promotion de l’industrie pharmacologique, tous deux motivés par des conceptions physiologiques du désir sexuel féminin

Delphine Gardey retrace ainsi l’histoire de la médicalisation de la sexualité féminine en soulignant les éléments constitutifs de chaque époque ayant participé à la perspective actuelle. En partant des années 1850-1880, période durant laquelle l’apparition de la notion de « mariage d’amour » vient redéfinir les contours de la sexualité féminine, l’autrice présente la manière dont l’hétéronormativité et la conjugalité hétérosexuelle vont être analysées par Freud au début du XXème siècle. Celui-ci, explique Delphine Gardey, ne sera pas le seul à contribuer à la nouvelle construction du désir féminin. C’est également Richard Von Krafft-Ebing et Henry Havelock qui, en définissant le désir féminin comme psychologique et relationnel, vont participer à la sexologie des années 1880-1910. Ce sont par la suite l’endocrinologie et l’hormonothérapie qui, au cours de l’Entre-deux Guerres, vont ouvrir la voie au développement d’un marché du médicament. Cette perspective de « re-biologisation » de la sexualité féminine va également être reprise par les travaux de Masters et Johnson dans les années 1950-1960, constituant les fondements de la sexologie contemporaine. En étudiant la « réponse humaine sexuelle » physiologique, ils inscrivent l’étude de la sexualité dans le contexte du laboratoire et placent l’orgasme comme objet d’étude, permettant de penser la sexualité de manière plus égalitaire. Reprise au cours des années 1960 et en particulier après 1968, cette revendication d’égalité va permettre l’émergence de la « médecine sexuelle » à partir des années 1980, donnant ainsi lieu à l’apparition du concept de « santé sexuelle » au cours des années 1990-2000. Inscrite dans la perspective sociale de prise en charge individuelle, cette dernière va s’accompagner de l’inclusion de la notion de « performance » dans le registre de la sexualité, amenant, en 1998, à l’invention du Viagra masculin, très vite suivie par l’intervention de neurosciences dans l’étude du désir féminin au cours des années 2000.

En retraçant l’histoire de la médicalisation de la sexualité féminine, Delphine Gardey a ainsi illustré le processus de co-construction qui s’est opéré entre le travail de quantification des catégories diagnostiques et la promotion de l’industrie pharmacologique, tous deux motivés par des conceptions physiologiques du désir sexuel féminin. Ils ont ouvert la voie au développement de divers traitements biologiques, issus de la tradition de l’endocrinologie ou des neurosciences, qui constituent encore aujourd’hui des sujets de débats et permettent de penser l’imbrication existante entre sciences et société ; « Les sciences et les médecines sont prescriptives, [elles] analysent et contraignent. »

Informations

Pour citer cet article Nom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2021, consulté le XX mois 2021. URL :
AutriceChloé Schaer, étudiante en Bachelor
Contact chloe.schaer@unil.ch
Enseignement Séminaire Le genre au cœur des inégalités sociales : migration, ethnicité, classe, sexualité

Sébastien Chauvin et Annelise Erismann

© Illustration : Michal Jarmoluk, Pixabay