Par Elisa Moret
Sandra Laugier, philosophe française, est professeure à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Sa présentation était en lien avec plusieurs de ses domaines de recherche, notamment la philosophie du langage et l’éthique du care, ainsi qu’avec l’un de ses récents ouvrages La société des vulnérables. Leçons féministes d’une crise, co-écrit avec Najat Vallaud-Belkacem.
Son intervention portait sur la manière dont la pandémie du covid-19 a déconfiné le travail du care rémunéré en le rendant visible, physiquement et mentalement, dans l’espace public.
En effet, spécialement lors des deux premiers confinements, les travailleur·euses du care étaient les seul·es présent·es dans l’espace public (transports, lieu de travail, etc.), du fait que les autres activités n’étaient pas considérées comme indispensables et/ou pouvaient se pratiquer à domicile.
Cela a donc mis en exergue le caractère essentiel de ces professions du care. S’est ainsi dévoilée, dans l’espace public, une « compréhension évidente du care », autrement dit l’idée que nous sommes tous et toutes dépendant·es les un·es des autres. La question de la vulnérabilité devient donc flagrante, celle de l’ensemble de la population face à la maladie et à la dépendance aux infirmier·ères, caissier·ères, livreur·euses, etc., mais aussi celle des travailleur·euses du care.
Cette visibilité dans l’espace public a été accentuée par une sorte de reconnaissance générale du fait que ces métiers les moins valorisés sont pourtant les plus utiles. Sandra Laugier parle d’ailleurs d’inversion des valeurs et donc de redéfinition de l’espace public particulièrement car le care, normalement associé au privé, au dévalorisé, au féminin, a fait irruption dans l’espace public, valorisé, masculin. Elle explique que « la grammaire du care s’est imposée ».
Passé ce constat, la conférencière s’est interrogée sur deux éléments : pourquoi cette évidence du care a rapidement été oubliée, ré-exclue de l’espace public ? Et pourquoi les décisions et les discours concernant le care ont été formulés par des experts, des politiques, majoritairement des hommes non-travailleurs du care ?
En réponse à ces questions, elle a rappelé les inégalités de genre à la base de la frontière public/privé et de la dévalorisation du privé au profit des « vraies » questions politiques.
Ensuite, elle a présenté le concept de démocratie de John Dewey. Selon lui, il s’agit d’une expérimentation collective, d’une participation des citoyen·nes concerné·es par un problème à la publicisation de ce dernier. Être concerné·e c’est donc être compétant·e politiquement. Sandra Laugier met cela en opposition avec certains discours durant la pandémie affirmant l’incapacité de la population (irrationalité, complotisme, etc.) et, à l’inverse, l’autorité de l’expertise. Selon elle, il est nécessaire, autant d’un point de vue démocratique que politique, de reconnaître les compétences professionnelles et politiques des travailleur·euses du care.
Elle a donc terminé sa présentation par un questionnement : comment le care peut-il être pensé et analysé directement par ses acteur·rices ?
La présentation s’est ensuite conclue par des échanges avec l’auditoire. Ils ont permis de relever, par exemple, que les femmes ne sont pas les seules surreprésentées dans les métiers du care, les étranger·ères aussi. De plus, une autre intervention a questionné les raisons de la ré-invisibilisation du care. Selon Laugier, il s’agit notamment d’un déni de la dépendance qui se manifeste également s’agissant des enjeux climatiques.
Informations
Pour citer cet article | Nom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2022, consulté le XX mois 2022. URL : |
Autrice | Elisa Moret, étudiante en Bachelor |
Contact | elisa.moret@unil.ch |
Enseignement | Séminaire Sociologie des masculinités Par Sébastien Chauvin et Estelle Rothlisberger |
© Illustration : Laura James, Pexels