Rencontre avec Frédéric Borloz, chef du Département de l’enseignement et de la formation professionnelle (DEF). Sur tous les sujets, y compris la délicate question de l’écriture inclusive, il prône avant tout le dialogue.
Élu au Conseil d’État du canton de Vaud le 10 avril 2022, le PLR Frédéric Borloz dirige le Département de l’enseignement et de la formation professionnelle (DEF) depuis le 1er juillet. Attentif et disponible, il reçoit l’uniscope dans son bureau, qui domine la rue de la Barre à Lausanne. Le Chablaisien (il a été syndic d’Aigle)découvre avec beaucoup d’intérêt un département complexe qui le met en contact étroit, notamment, avec l’Université de Lausanne.
Monsieur le conseiller d’État, comment vous sentez-vous après cinq mois à la tête de votre département ?
Je me sens fort bien et suis très content d’avoir choisi ce département, qui me fait découvrir un pan important des responsabilités de l’État vis-à-vis des gens, quel que soit le niveau concerné puisque notre tâche va de l’école enfantine au doctorat. J’aurais volontiers gardé la culture, mais nous en avons décidé autrement. Nous nous concentrons sur les enseignements et je vais de sujets intéressants en sujets passionnants. En outre, avec mon département, j’ai repris les affaires transfrontalières et je viens de rejoindre la commission Europe de la Conférence des cantons ; il s’agit de trouver rapidement un accord avec l’UE car la situation des universités et de la recherche est menacée. J’en parle aussi bien sûr avec l’EPFL, l’UNIL, les HES et mon réseau politique à Berne.
L’appellation DEF indique désormais clairement la formation professionnelle. Un signe de son importance à vos yeux ?
Je pensais aussi mettre les enseignements au pluriel, mais cela compliquait les choses ; de fait il y a bien trois enseignements : obligatoire, postobligatoire et supérieur, autrement dit trois énormes services. Concernant la formation professionnelle, en effet, elle est très importante et on doit le montrer en mettant en avant les deux voies qui se présentent après l’école obligatoire : les études académiques et les études professionnelles. Il s’agit de deux portes d’entrée différentes pour les hautes écoles. Le but n’est pas d’amoindrir la voie gymnasiale, et le canton peut se réjouir de la croissance extraordinaire de l’Université de Lausanne toutes ces dernières années.
Comment se répartissent les élèves vaudois entre ces deux voies ?
Un sur cinq choisit la formation professionnelle, un sur deux la formation générale (gymnase), mais on compte aussi un tiers d’élèves qui ne choisissent pas et vont en transition. On en retrouve plus tard une partie dans la formation professionnelle, surtout, ou la formation générale, mais un tiers de ces élèves en transition se perdent dans la nature, je ne sais pas exactement où, pour certains peut-être ce sera une année à l’étranger et pour d’autres un travail de manœuvre. C’est donc un problème quand on songe que 2 à 3% seulement des emplois actuels n’exigent aucune formation, contre 50% dans les années 1990. Le système de transition a du bon, mais nous devons récupérer le plus possible de ces jeunes avant qu’ils ne partent en transition ou ne disparaissent.
Est-ce le but personnel et politique que vous vous donnez pour cette législature ?
Oui, c’est mon souhait, et je partage pour les Vaudois l’objectif de la Confédération d’atteindre 95% de certification. Aujourd’hui 87% des jeunes du canton ont un certificat postobligatoire à 25 ans. C’est crucial à mes yeux d’augmenter cette proportion, car par cette certification on donne la chance à chacun de faire plus. Les métiers évoluent, la formation professionnelle doit suivre ces évolutions et le monde économique y être associé. Je songe, par exemple, aux métiers de la transition écologique et numérique, ou encore de la santé, qui manquent cruellement de personnes formées. Nous allons développer une démarche très importante sur les trois dernières années de l’enseignement obligatoire pour susciter la curiosité envers les métiers. Tous les métiers, y compris ceux qui nécessitent des études universitaires. Il faut motiver aussi les parents et le corps enseignant concerné.
Vous dites que la formation professionnelle est une autre voie qui conduit à des études supérieures…
Oui, c’est tout à fait vrai dans un territoire romand qui accueille toute la gamme des HES suisses, comme à Zurich. Après, à chacun son choix, la formation supérieure est une option, mais elle doit être connue et valorisée le plus largement possible auprès de tous les jeunes Vaudois. J’en ai parlé il y a peu avec des députés et des représentants des HES, on disait que la formation professionnelle est un vrai ascenseur social grâce à des passerelles et d’autres aides. On peut commencer par un apprentissage quel qu’il soit et terminer à l’UNIL. Même si un tel parcours reste rare, cette possibilité est bien là et il faut veiller à ce qu’elle soit mieux connue de tous les jeunes du canton, filles et garçons.
Le tout numérique à l’école est-il la bonne voie alors que les écrans occupent déjà considérablement l’espace mental des enfants ?
Le numérique ne va pas prendre toute la place et d’ailleurs nous parlons d’une tablette pour cinq élèves à l’école obligatoire. Il faut commencer cette initiation très tôt pour gagner un peu de temps, mais ce n’est pas un envahissement, le numérique apporte juste un potentiel supplémentaire qui permet d’enrichir l’éducation. Il s’agit d’initier les enfants à cette technologie et de leur donner aussi la possibilité d’apprendre par le numérique. Même les métiers manuels évoluent et sont complétés par des machines le plus souvent numériques. Il faut connaître le fonctionnement de cette technologie justement pour ne pas en être captif.
Et vous, quelle a été votre formation ?
Je viens de la formation professionnelle, j’ai fait une école de commerce puis un apprentissage de commerce, ensuite des cours de formation continue liés à mon domaine, la comptabilité. Vous voyez, cela mène à tout, dans mon cas via la politique.
Quel regard portez-vous sur l’UNIL ?
Un regard véritablement curieux et respectueux de la liberté académique. Je vois l’UNIL comme une université à la fois très ancienne, avec une richesse historique que toutes n’ont pas, et très moderne et intéressante, avec une équipe actuelle tout à fait dynamique autour de son recteur ; c’est une université porteuse de projets de développement que je peux accompagner.
Que pensez-vous du dialogue entre la science et la politique ? Qui décide et comment, en cas de contradictions insurmontables ?
C’est un dialogue très proche, qui ne l’a pas toujours été, et auquel je tiens car nous ne pouvons pas prendre de décisions complexes, par exemple si l’on songe au réchauffement climatique ou à la pandémie, sans expertise scientifique. Mais la science n’est pas le seul critère car toute décision a des conséquences sociales, vis-à-vis de la sécurité de la population, des conséquences économiques, et nous devons essayer de concilier cette diversité des représentations. Libre aux gens de n’élire que des scientifiques, s’ils le souhaitent. Dans une démocratie cela se passe ainsi, on tient compte de critères qui sont parfois contradictoires. Dans ce cas, généralement en Suisse, c’est le peuple qui vote car on trouvera toujours un groupe pour lancer un référendum ou une initiative.
Et comment appréhendez-vous une question qui divise comme l’écriture dite inclusive ?
Dans mon département, cela peut convenir à des textes courts, comme une directive. Il faut montrer qu’on respecte tout le monde, mais un long texte entièrement décliné au masculin et au féminin est vite indigeste, voire illisible. Je suis favorable au principe qui est d’accorder un certain soin à la représentation de chacune et de chacun dans un discours, mais pas au point de dicter les manières d’y arriver. On peut donner si on veut des indications, mais sans obliger les gens à les appliquer. Seul l’usage en décidera. Il faut voir ce débat pour ce qu’il est, intéressant du point de vue social ; ça met en lumière la question majeure des inégalités persistantes, même si ce n’est pas la langue qui va les éliminer.