« Libérer la parole, c’est un des objectifs de cette enquête »

FORS a réalisé ce printemps une enquête dédiée au climat de travail et d’étude au sein de l’UNIL. Les explications de Liliane Michalik, Vice-rectrice « Égalité, diversité et carrières ».

FORS (le centre de compétences suisse en sciences sociales) a réalisé ce printemps une enquête dédiée au climat de travail et d’étude au sein de l’UNIL. Celle-ci a permis d’établir une cartographie détaillée des sources de mal-être à l’université. La Direction se dit préoccupée par les résultats et entend agir. Les explications de Liliane Michalik, Vice-rectrice « Égalité, diversité et carrières ».

« Nous souhaitons lutter concrètement contre toute forme de discrimination et de harcèlement », affirme d’emblée Liliane Michalik. Comme le dit le plan d’intentions 2021-2026, la Direction de l’UNIL veut effectivement changer la culture en profondeur et offrir un environnement de travail ouvert et inclusif où chaque personne puisse évoluer en toute sécurité. Dans ce but, l’enquête menée par FORS il y a quelques mois doit lui servir d’outil de pilotage pour cibler et prioriser les mesures nécessaires. La Direction rend public le rapport qui en découle le mercredi 7 décembre.

C’est la première fois que l’UNIL mène une enquête sur le climat de travail et d’étude. Pourquoi cette formulation qui s’écarte des notions habituelles de satisfaction ?  

Liliane Michalik : « Climat » est un mot neutre. C’est une manière ouverte de poser la question sans orienter la réponse vers ce qu’on a envie d’entendre. La Direction ne voulait surtout pas que l’enquête tourne à l’autosatisfaction en demandant aux membres de la communauté : « Vous allez bien, n’est-ce pas ? » de façon à ce que tout le monde se sente obligé d’acquiescer. Dans le même ordre d’idées, c’est la première fois qu’on aborde des sujets potentiellement dérangeants, comme le niveau de confiance envers l’institution.

Qui a préparé les questions ?

Le BEC (Bureau de l’égalité ndlr), accompagné d’un groupe de chercheuses et chercheurs de l’UNIL, notamment en études genre. Leur travail a été complété par le Dicastère « Égalité, diversité et carrières » et par la cheffe de projet du nouveau dispositif de lutte contre le harcèlement et les discriminations Christelle Rigual, puis soumis pour validation à la Commission d’éthique, au Service juridique et au délégué à la protection des données de l’UNIL. Le questionnaire s’appuie sur des enquêtes qui ont été réalisées à des échelles nationales ou internationales afin de pouvoir disposer d’éléments de comparaison.

3588 personnes, soit 17% des membres de la communauté, ont répondu à l’enquête. Comment analysez-vous ce chiffre ?

Le taux moyen de participation semble faible de prime abord (13% des étudiant·e·s ont répondu, contre 26% pour les membres du personnel). FORS, qui est spécialiste des analyses statistiques, estime toutefois que l’échantillon est suffisamment large pour être exploité et pour constituer un outil de pilotage pertinent. À titre comparatif, il faut savoir que le taux de participation des autres enquêtes internes tourne autour de 18-20%. Ici, nous nous trouvons certes dans la tranche inférieure, mais cela peut s’expliquer par l’exigence du questionnaire, particulièrement poussé et coûteux en temps. Les taux de réponse des enquêtes sensibles d’autres institutions académiques sont du même ordre.

Qu’est-ce qui vous a le plus marquée dans cette enquête ?

D’abord, le fait que les femmes soient systématiquement plus touchées que les hommes, et ce quelle que soit la problématique abordée (impact du travail sur la santé physique et psychique, niveau de stress, situations de harcèlement ou de discrimination). Elles ont également moins confiance dans les procédures de signalement des cas de harcèlement sexuel et dans les sanctions prises par l’institution, peut-être parce qu’elles sont davantage confrontées à ces situations et qu’elles sont donc en mesure de constater par elles-mêmes les limites effectives du système existant. Ensuite, indépendamment du genre, le constat que les étudiant·e·s jugent l’impact des études sur leur santé et bien-être plus négativement que les autres statuts interrogés. Enfin, la confirmation que les groupes minorisés (en termes d’identité de genre, de handicap, d’orientation sexuelle ou affective, d’appartenance ethnique ou religieuse et de couleur de peau) vivent encore davantage de discriminations que les autres au quotidien.

En dehors du bien-être au travail, cette enquête met clairement l’accent sur la discrimination et le harcèlement.

Effectivement. Et ce n’est pas un hasard. Comme mentionné précédemment, l’enquête a été étoffée par des questions explicites qui nous permettent d’évaluer la prévalence des situations de harcèlement et de discrimination vécues par la communauté. En d’autres termes, nous acceptons de nous confronter aux problèmes sans détour. Les attitudes ou propos à caractère sexuel, les attouchements non désirés ou encore le viol sont cités et clairement définis afin que les personnes concernées se sentent invitées à en parler librement. 

Suite à cette enquête, il ressort que près de 150 situations d’actes physiques non désirés et potentiellement répréhensibles pénalement ont été signalées. C’est beaucoup selon vous ?

Oui, beaucoup trop. Chaque acte de violence est grave et inadmissible en soi. L’UNIL n’échappe malheureusement ni aux travers de la société dans laquelle elle s’inscrit, ni aux enjeux de pouvoir qui favorisent ce genre de comportements. En comparaison, le nombre de situations signalées par l’enquête s’avère être équivalent à celui d’institutions similaires à la nôtre. En tant que lieu de transmission et de diffusion du savoir dans la société, l’UNIL doit cependant faire tout ce qui est en son pouvoir pour promouvoir avec détermination un environnement de travail et d’étude respectueux, professionnel et inspirant. Il nous tient à cœur de prendre la mesure du problème pour accompagner au mieux les individus concernés.

Savez-vous si des plaintes pénales ont été déposées ? 

À moins que les personnes ne nous en informent directement, nous ne pouvons pas le savoir, car les plaintes pénales sont du ressort de la police ou du Ministère public. Elles se situent donc hors de notre périmètre d’action. Par contre, lorsque nous avons connaissance de faits, nous pouvons recadrer ou sanctionner les comportements inappropriés et les dénoncer s’ils relèvent d’infraction pénales – nous le faisons d’ailleurs déjà.

Savez-vous quelle est la population la plus concernée par ces actes non désirés ?

Majoritairement les femmes, ainsi que les étudiant·e·s dans les cas de harcèlement sexuel et de viol. On constate en outre que les auteur·e·s des faits sont fréquemment des supérieur·e·s hiérarchiques.

Comment allez-vous renforcer la confiance des personnes dans les procédures que vous allez mettre en place ?

Nous privilégions trois axes de travail : 1) repenser le dispositif de lutte contre le harcèlement et les discriminations pour le rendre plus efficace, 2) accroître la communication autour des ressources à disposition, 3) montrer à la communauté UNIL que nous agissons concrètement. Des procédures existent déjà, mais elles sont imparfaites. Nous voulons les améliorer, notamment en les clarifiant, en renforçant le nombre et les compétences des personnes de confiance externes à qui les victimes ou témoins peuvent s’adresser en toute confidentialité, en recrutant un·e délégué·e au climat de travail et d’étude chargé·e d’orienter les individus qui souhaitent parler, et en remodelant le site web. Tous ces outils feront l’objet d’une campagne de lancement présente sur une pluralité de canaux au printemps 2023 (affiches, réseaux sociaux, signalétique etc.). Nous rendrons également public un rapport régulier qui listera anonymement les sanctions prises et le nombre de plaignant·e·s. Ces mesures nous permettront d’avoir une meilleure vision globale de la situation et d’accentuer la visibilité du nouveau dispositif de lutte contre le harcèlement et les discriminations. Nous espérons que davantage de cas remonteront ainsi jusqu’à nous et nous donneront la possibilité d’agir. Un des objectifs de cette enquête est en effet de libérer la parole. Car sans confiance, sans la certitude qu’il vaut la peine de témoigner, nous sommes impuissant·e·s.

Qu’allez-vous entreprendre en matière de formation?

L’ensemble des enseignant·e·s titulaires embauché depuis le 1er août 2021 a l’obligation de suivre une formation dans les deux ans après son arrivée. Celle-ci précise entre autres quelles sont les responsabilités et les ressources mises à la disposition des chef·fe·s d’équipe et des enseignant·e·s en matière de climat de travail et d’étude, de gestion des conflits et de harcèlement. Une formation similaire destinée aux cadres est en cours de développement. Nous allons également mettre sur pied un module de type bystander, qui consiste à apprendre à réagir correctement quand on est témoin d’un comportement inapproprié. Celui-ci sera d’abord suivi par la Direction et toutes les équipes décanales dans une version adaptée à leurs degrés de responsabilités, puis proposé à l’ensemble de la communauté.

Une question que vous auriez aimé poser et qui ne figure pas dans le questionnaire ? 

J’en vois une : « Vous sentez-vous à l’aise pour parler de votre orientation sexuelle et affective ? ». J’ai en effet remarqué que seul·e·s 15 femmes et 14 hommes se disent discriminé·e·s·s en raison de leur orientation sexuelle et affective, ce qui est étonnamment peu. On pourrait dès lors considérer de façon hâtive que tout va bien de ce côté-là à l’UNIL. Or on sait que beaucoup de personnes LGBTIQ se situent dans un angle mort et n’osent pas parler ouvertement de leur conjoint·e sur leur lieu de travail. Si la réponse à la question que je suggère est négative, c’est qu’il reste, au contraire, beaucoup à faire.  

Allez-vous reconduire cette enquête ?

Oui, et sur une base régulière. En principe, la prochaine sera effectuée en 2024. La Direction pourra ainsi voir si le dispositif est devenu plus accessible et si la situation s’améliore. Cela dit, nous sommes conscient·e·s que nous n’allons pas pouvoir tout régler. L’UNIL réunit 22’000 personnes, nous savons pertinemment que changer la culture va prendre du temps, même si nous restons optimistes et estimons que c’est notre responsabilité. Réaliser une telle enquête permet déjà aux victimes et aux auteur·e·s potentiel·le·s de se reconnaître dans la liste des questions, dans des gestes, des mots, des injures. Cette démarche a donc aussi pour vocation d’encourager la prise de conscience individuelle et collective.