À l’Unil, des neuroscientifiques explorent une piste prometteuse qui pourrait améliorer le quotidien des personnes atteintes de TDAH : entraîner le cerveau grâce à un jeu de mémoire adaptatif.
Derrière les difficultés de concentration et l’impulsivité caractéristiques du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) se cache un levier clé : la mémoire de travail. C’est elle qui nous permet de garder en tête une information le temps de la manipuler, et c’est elle aussi le talon d’Achille du cerveau TDAH.
Chez les personnes atteintes de ce trouble, cette mémoire fonctionne comme un tableau trop petit. Les informations qui s’y inscrivent s’effacent presque aussitôt, chassées par la distraction ou la surcharge. Oublier ce qu’on venait chercher en entrant dans une pièce, être incapable de retenir un numéro de téléphone le temps de le composer, perdre le fil d’une conversation en cherchant ses mots, oublier une consigne en pleine tâche ou relire trois fois la même phrase : tel est le quotidien des personnes souffrant de TDAH.
Et si l’on pouvait rééduquer le cerveau, comme un muscle, avec un simple entraînement ? C’est l’hypothèse testée par un petit groupe de neuroscientifiques de l’Université de Lausanne (Unil). Leur étude, publiée en septembre dans la revue Brain Sciences, s’est révélée prometteuse. Celle-ci montre en effet qu’un mois d’exercices ciblés améliore significativement la mémoire verbale chez les jeunes adultes atteints de TDAH, cela sans recourir à la médication. « Nous voulions voir si un entraînement pouvait renforcer les fonctions exécutives (mémoire, attention, planification), qui sont souvent fragilisées dans ce trouble », explique Alessandra Lintas, première auteure de l’étude, codirectrice du Laboratoire de neuroheuristique de l’Unil et, au passage, récemment récompensée d’un prix d’excellence lors de l’assemblée générale 2025 de la Société européenne des réseaux neuronaux.
Entraînement quotidien
Le protocole reposait sur un jeu informatique appelé Dual N-Back. Sur un écran, un carré apparaît dans l’une des cases d’une grille 3 x 3, tandis qu’une voix prononce simultanément une lettre. La personne testée doit indiquer si la position actuelle du carré et / ou la lettre entendue est identique à celle présentée N étapes plus tôt. L’exercice sollicite ainsi la mémoire de travail à la fois auditive et visuelle, tout en exigeant une attention divisée.
Après une première série de tests réalisée en laboratoire par l’équipe de recherche, les 135 personnes de l’échantillon (jeunes adultes avec et sans TDAH, ainsi qu’avec et sans traitement) avaient pour tâche de pratiquer ce jeu presque chaque jour à domicile, durant quatre semaines. Soit dans une version où la difficulté monte selon les progrès, soit dans une version où elle reste constante. Après quoi, retour en laboratoire, afin de se soumettre à nouveau aux tests de la première série. Cette dernière étape a ainsi permis à l’équipe de recherche de comparer les deux séries de résultats et mesurer les progrès de la mémoire de travail verbale (répéter ou réorganiser des séries de chiffres) et ceux de la mémoire visuo-spatiale (des séquences de cubes à taper dans le même ordre que celui dans lequel ils ont été présentés).
Des résultats tangibles
Après un mois d’entraînement, les progrès sont nets. Tous les groupes se sont améliorés. « C’est encourageant, commente Alessandra Lintas. Nous avons observé une amélioration claire de la mémoire verbale, particulièrement lorsque le niveau de difficulté s’ajuste à la performance. » En revanche, les résultats sont restés modestes sur le plan visuo-spatial. « Nous pensions que la double modalité du test stimulerait les deux domaines, mais il semble que la composante verbale en bénéficie davantage », reconnaît la chercheuse.
Autre constat : les différences entre patients sous médicament et sans médicament ne sont pas significatives. « Ce qui laisse penser que l’entraînement cognitif pourrait, dans certains cas, offrir une alternative partielle ou du moins un complément à la médication », se réjouit Alessandro Villa, professeur ordinaire à la Faculté des hautes études commerciales de l’Unil et coauteur de l’étude.
Par ailleurs, les deux spécialistes soulignent avoir été positivement surpris par l’enthousiasme des participants. « Beaucoup ont souhaité poursuivre les entraînements, même après les tests. Ils expliquaient que ces exercices les aidaient à mieux se concentrer au quotidien, à s’organiser davantage. Cela leur a réellement été bénéfique, ils ont beaucoup apprécié l’expérience. »
Quand l’attention se réveille
Cette étude prolonge des travaux antérieurs menés à l’Unil par la même équipe. En janvier 2020, l’équipe codirigée par Alessandra Lintas et Alessandro Villa était déjà parvenue à montrer qu’un entraînement adaptatif de la mémoire de travail pouvait modifier l’activité cérébrale de jeunes adultes atteints de TDAH. Cette fois, les participants devaient réaliser une tâche de prise de risques inspirée d’un jeu de pari. En amont de la phase d’entraînement, les spécialistes avaient observé une anomalie d’activation dans les zones frontales du cerveau liée à un déficit d’attention précoce. Après quatre semaines d’entraînement, les signaux cérébraux associés à l’attention étaient nettement améliorés, suggérant que ce type d’exercice peut restaurer partiellement le contrôle attentionnel des patients TDAH et réduire leur tendance à prendre des décisions risquées.
Quelques mois plus tard, une seconde étude publiée en octobre 2020 a confirmé ces effets sur d’autres aspects de l’attention. En comparant des adultes avec TDAH (avec ou sans médication) à des témoins sans TDAH, les chercheurs ont montré que le même entraînement renforce la capacité à gérer les distractions et à se concentrer. Ce type d’exercice cognitif semble donc constituer une voie prometteuse de remédiation non médicamenteuse qui peut aider certaines personnes à mieux se concentrer, à planifier leurs actions ou à réduire leur impulsivité.
La force de la neuroplasticité
Et ensuite ? L’équipe lausannoise espère prochainement pouvoir se pencher sur la durée des bénéfices de l’entraînement. Combien de temps persistent-ils ? Faut-il pratiquer régulièrement pour maintenir les effets ? « Nous n’en sommes qu’au début, sourit Alessandra Lintas. Grâce à une technique innovante de neuro-imagerie optique mise au point dans notre laboratoire, nous pouvons étudier l’activation des aires du cortex cérébral avec une précision spatiale et temporelle inégalée jusqu’ici. Si un simple programme quotidien peut améliorer la qualité de vie des personnes adultes atteintes de TDAH, c’est un signe de neuroplasticité. Il est vraisemblable qu’en identifiant précisément des régions d’intérêt du cortex cérébral nous pourrons contribuer à mettre au point des exercices cognitifs mieux ciblés pour divers types de symptômes. Le cerveau adulte garde une capacité d’apprentissage étonnante qu’il faut entretenir. »
Le saviez-vous ?
Il existe plusieurs applications mobiles reprenant les principes du Dual N-Back. Le joueur y enchaîne des sessions, durant lesquelles sons et formes s’affichent à l’écran selon une difficulté qui s’adapte automatiquement à ses performances. « C’est la même logique que notre protocole scientifique, mais dans une version allégée, explique Alessandra Lintas. Les personnes qui le souhaitent peuvent s’y amuser et voir si elles remarquent une amélioration de leur mémoire de travail. »