Les réalités multiples du haut potentiel intellectuel

Qu’est-ce que le haut potentiel intellectuel ? Que signifie-t-il au quotidien ? à quoi bon l’identifier ? Discussion avec deux psychothérapeutes.

Qu’est-ce que le haut potentiel intellectuel ? Que signifie-t-il au quotidien ? à quoi bon l’identifier ? Vincent Quartier et Fabrice Brodard, psychothérapeutes et maîtres d’enseignement et de recherche à l’UNIL, mettent en évidence à la fois la complexité et l’individualité du phénomène.

« Parfois, j’ai juste envie d’appuyer sur le bouton off de mon cerveau. Je dors très peu car je n’arrête pas d’analyser et de faire des liens entre tout ce que je vis et qui m’entoure. » Maël Theubet, 27 ans, est doctorant à l’Université de Lausanne. à l’école primaire, il se sentait différent : il ne s’intéressait pas aux mêmes jeux que ses amis, était très sensible aux stimuli extérieurs, toujours fatigué. Atteint de dyslexie et de dysorthographie, le doctorant ajoute : « On m’a dit que je n’arriverais jamais à terminer ma scolarité. » Vers l’âge de dix ans, il effectue des tests qui lui permettent de découvrir qu’il répond aux critères d’un HPI, pour haut potentiel intellectuel. Dans les années 2000, le phénomène est encore peu connu, on lui explique à peine ce que cela signifie. L’utilisation des termes tels que « surdoué » ou « petit génie » renforce son sentiment de différence. Quelques années plus tard, l’adolescent rencontre d’autres personnes ayant un haut potentiel intellectuel, avec qui il aura l’opportunité de discuter, de s’informer et de découvrir la variété des vécus du HPI.

HPI : 2,3% de la population, quoi qu’il arrive

La définition brute utilisée par les professionnels définit le haut potentiel intellectuel comme désignant les personnes ayant un quotient intellectuel (QI) de plus de 130. Cela concerne 2,3% de la population. Le QI, chiffre représentant un amalgame de compétences cognitives variées, désigne en fait le rang de cette personne par rapport au reste de la population représentée par une courbe de Gauss (en cloche). Par définition, le QI a une moyenne de 100 et 68,3% de la population ont un score se situant entre 85 et 115, peu importe l’intelligence de la population. Cela signifie que si, subitement, la population venait à devenir bien plus intelligente du jour au lendemain, la moyenne resterait à 100 et ce sont les tests qui devraient être réétalonnés.

Le haut potentiel intellectuel concerne la population ayant un quotient intellectuel supérieur ou égal à 130, mesuré par des tests standardisés tels que le WAIS chez les adultes ou le WISC chez les enfants. © Raoul Ganti / Unicom

C’est là que l’on devine le caractère arbitraire de la limite du 130 qualifiant les hauts potentiels. « Il n’y a pas de réelle différence entre un score de 127 et un score de 132. Les personnes ne sont pas fondamentalement différentes dès qu’elles franchissent le cap de 130 », précise Fabrice Brodard, psychothérapeute et maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL. Vincent Quartier, aussi psychothérapeute et maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL, ajoute : « Contrairement à la croyance populaire, le score de QI n’est pas totalement stable. Les études montrent par exemple que la stabilité d’un QI élevé entre quatre ans et le début de l’âge adulte n’est observée que dans la moitié des situations. »

Plus qu’un simple chiffre derrière le HPI

Le seuil de 130, seul, n’est pas suffisant pour comprendre le phénomène, comme l’explique Vincent Quartier :

« Pour chaque demande que nous recevons, il est nécessaire de prendre le temps de comprendre les enjeux du questionnement pour l’enfant. Il ne s’agit donc pas de le tester par simple curiosité. Le test est passé pour répondre à une souffrance, parfois implicite. Un bilan psychologique permettra de donner sens aux questions et difficultés adressées, sens qui ne dépendra pas seulement du résultat au test de QI. »

Ces souffrances en question varient énormément d’une personne à une autre. Difficultés relationnelles, hypersensibilité, troubles du sommeil, hyperactivité, anxiété ou encore dépression sont fréquemment retrouvés en association avec le HPI. Cependant, ces troubles ne sont pas toujours présents, et il est courant qu’il n’y ait aucune difficulté. Chaque vécu reste unique.

Pourquoi poser une étiquette HPI ?

« Les demandes que nous recevons s’inscrivent dans une recherche de sens. Souvent, les parents essaient de comprendre pourquoi leur enfant a certaines difficultés », continue Vincent Quartier. Effectuer un bilan et évoquer un haut potentiel intellectuel permet alors de comprendre, d’accepter et parfois aussi de se déculpabiliser.

Mais poser une étiquette a aussi son penchant négatif. Une personne vivra toute sa vie avec cette information qui peut parfois être lourde à porter. Fabrice Brodard parle d’« illusion de compréhension » :

« Une fois que l’enfant a été identifié avec un HPI, on peut avoir tendance à utiliser ce concept pour tout expliquer, ce qui peut enfermer la personne. »

Il est ainsi nécessaire de bien discuter avec des spécialistes des avantages et des inconvénients d’une éventuelle identification des critères HPI avant même de passer un test de QI. Fabrice Brodard et Vincent Quartier font justement cela dans le centre de consultation psychologique de l’UNIL, où ils encadrent des étudiants de Master en psychologie pour faire passer ces tests à des jeunes.

Le centre de consultations est ouvert à toutes et tous. Situé au troisième étage de l’avenue de la Gare 1, à Lausanne, il offre des consultations pour enfants et jeunes afin de répondre à tout type de question, ainsi que des consultations pour orienter les adultes et jeunes adultes dans leur carrière.

Plus d’informations sur www.unil.ch/consultation ou au 021 692 45 70. 

Quel regard sur le HPI ?

Suite à une augmentation du nombre de demandes ces dernières années, Vincent Quartier et Fabrice Brodard ont tout récemment conçu une série d’études afin de comprendre comment la population suisse percevait le haut potentiel intellectuel. Ils ont posé différentes questions à quatre populations cibles (les parents, les enseignants, les pédiatres et les psychologues) telles que : « Percevez-vous le haut potentiel intellectuel comme étant une différence, un avantage, une difficulté ou un handicap ? » Ils ont alors remarqué que chaque groupe avait sa propre perception du phénomène en fonction de ses aprioris et de son expérience. « Les différentes perspectives amènent parfois à des tensions. Le but est de coconstruire un sens avec la personne présentant les caractéristiques d’un HPI et son entourage : prendre ce que chacun a à apporter en évitant de s’attacher à une unique vision réductrice », conclut le psychothérapeute Vincent Quartier.

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