La triche, un esprit d’équipe 

Pourquoi transgressons-nous plus facilement les règles quand nous sommes en groupe ? Réponses de la doctorante Cinzia Zanetti.

Pourquoi transgressons-nous plus facilement les règles quand nous sommes en groupe ? La question intéresse la doctorante Cinzia Zanetti, qui décortique les mécanismes de la malhonnêteté collective en contextes éducatifs.

Petit papier échangé sous la table, réponses griffonnées sur sa main, langage codé, WhatsApp, Wikipédia ou ChatGPT : à l’école, au lycée ou même à l’université, les stratégies ne manquent pas pour tricher. En particulier quand les élèves s’y mettent à plusieurs. 

Sous la houlette du professeur au Laboratoire de psychologie sociale (Unilaps) Fabrizio Butera, la doctorante Cinzia Zanetti dédie sa thèse à l’étude de cette attitude omniprésente et de plus en plus documentée dans les milieux scolaire et universitaire : la tricherie collective. « Un comportement malhonnête et délibéré, commis par les membres d’un groupe censés être conscients des codes éthiques et moraux et qui, malgré cela, décident de les transgresser ensemble », définit la chercheuse. Son but ? Identifier les mécanismes qui expliquent et prédisent ces conduites en contextes éducatifs.

« La compétition et la pression à la réussite sont des facteurs prédicteurs bien connus de la triche, qu’elle soit individuelle ou collective. Cependant, la littérature scientifique montre que nous fraudons plus facilement lorsque nous sommes en groupe. Or, à l’heure actuelle, nous savons peu de choses sur la façon dont ces comportements émergent et s’organisent. J’ai donc cherché à combler cette lacune », précise-t-elle. 

De Cambridge à Hajipur en passant par la Suisse

En 2013 à l’Université de Harvard, aux États-Unis, 125 étudiantes et étudiants rendent des copies étrangement ressemblantes, plus de 60 d’entre eux sont renvoyés. En 2014, la Haute École de gestion Arc, basée à Neuchâtel et Delémont, annule des centaines d’évaluations après la circulation de photographies révélant le contenu d’un examen. À Versailles, en 2022, une épreuve est aussi reconduite car 300 étudiantes et étudiants de deuxième année de médecine se sont organisés pour s’échanger des réponses. Mais le cas le plus spectaculaire reste l’opération de 2015 en Inde dans l’État de Bihar, l’un des plus pauvres du pays : des parents escaladent les murs d’un bâtiment pour souffler les réponses à leurs enfants qui passent les examens finaux d’études secondaires. Six cents personnes sont expulsées. « Dans un contexte où rien ne compte plus que le résultat, la fraude devient un comportement presque naturel, de survie », commente Cinzia Zanetti.

« C’était pour aider »

Qu’est-ce qui nous rend plus corruptibles quand nous sommes à plusieurs ? Comment la tricherie collective commence-t-elle et s’organise-t-elle ? Pour répondre à ces questions, la psychologue a mené une vingtaine d’entretiens avec des adultes d’âges et de niveaux de formation divers, dans le cadre d’une étude qualitative dont les résultats ont été publiés fin 2022 dans la revue Current Psychology. En analysant la manière dont les participantes et participants racontaient un épisode vécu de fraude collective à l’école ou à l’université, elle est parvenue à mettre en évidence leur perception positive de la malhonnêteté de groupe. Une perception positive, qui a alors pu servir de justification morale à l’acte interdit et ainsi favoriser sa réalisation.

« Dans leurs souvenirs, tricher ensemble apparaissait souvent comme un exploit, faisant appel à l’amitié, la solidarité, l’entraide, la coopération et renforçant la cohésion. Ils se félicitaient d’avoir « super bien collaboré ». Certains ont dit avoir agi par altruisme, « parce qu’ils aimaient aider les gens », par exemple en laissant un camarade en difficulté regarder sur leur copie. D’autres ont décrit leur action comme un comportement défensif ou réactif et pouvaient se sentir bien-pensants dans le processus, en blâmant l’enseignante ou l’enseignant », détaille la chercheuse.

La triche pouvait aussi être considérée comme « normale » vu que « tout le monde le faisait », et le sentiment de culpabilité était fréquemment diminué par une impression de responsabilité partagée, moins menaçante pour l’image de soi. Des facteurs comme la pression à se conformer au groupe, le besoin de gagner l’appartenance ou la reconnaissance sociales ont également été identifiés.

Tricher ou ne pas tricher ?

La justification morale nous permet de transformer, dans notre esprit, une mauvaise conduite comme la fraude en un « bon » comportement pour ne pas être impactés négativement dans l’image que nous avons de nous-mêmes. Mais n’y a-t-il pas là une forme d’incohérence ? « Les Croisades ont été faites au nom de Dieu, lance la doctorante. Nos valeurs s’articulent selon des hiérarchies propres à chacun et orientent nos décisions, en fonction des caractéristiques individuelles et contextuelles. Face à un dilemme (par exemple tricher ou ne pas tricher), nous sommes obligés de faire un choix entre deux motivations contradictoires. Alors nous optons pour un camp, puis nous nous justifions. Il y a plein d’exemples de ce type dans la religion. »

Saisir l’influence de l’environnement

Ces différents mécanismes ainsi mis à jour ont permis à Cinzia Zanetti de développer des axes de recherche. Une série d’études expérimentales a notamment été menée avec environ 200 participantes et participants, pour analyser en détail la dimension coopérative de la fraude à plusieurs. « Répartis par équipes de trois, ils devaient réaliser des activités. Pendant ce temps, nous observions dans quelle mesure ils se mettaient à enfreindre les règles ou non », résume-t-elle. Une échelle pour évaluer la présence d’une culture de la tricherie au sein d’un groupe a également été mise au point à l’aide de plus de 1500 répondantes et répondants sur la base de questionnaires en ligne.

Destinées avant tout à améliorer notre compréhension du comportement humain, « ces analyses peuvent aussi nous aider à saisir l’influence de l’environnement sur ces conduites non désirées. Elles nous invitent à réfléchir à la façon de modifier l’enseignement pour éviter de les inciter », affirme la scientifique. De nouvelles publications sont attendues, actuellement en cours d’écriture.