Disney vient de fêter ses 100 ans. Pourquoi cette industrie fascine-t-elle toujours autant aujourd’hui ? Le point avec Charles-Antoine Courcoux, spécialiste de l’histoire sociale du cinéma.
Il était une fois un petit studio de cinéma installé dans un garage de Californie. En un siècle, il s’est transformé en l’une des plus grandes compagnies de divertissement du monde. Disney a en effet soufflé cette année ses 100 bougies. « Une vraie success story à l’américaine », sourit Charles-Antoine Courcoux, maître d’enseignement et de recherche au sein de la Faculté des lettres. Le spécialiste en histoire sociale du cinéma s’intéresse au rôle des films à travers les âges, ainsi qu’à leur impact dans la (dé)formation de nos normes sociales. À l’occasion de cet exceptionnel centenaire, il analyse pour l’uniscope la recette magique de l’univers Disney. Univers qui vraisemblablement fascine toujours autant 100 ans après. Mais pourquoi ?
« Je pense qu’une des plus grandes forces de Disney, en tant que « marque », c’est à la fois son ancrage dans des valeurs traditionnelles et rassurantes, tout en s’employant à capter l’air du temps. Disney, c’est une multinationale à vocation lucrative et qui, à ce titre, doit rester populaire et ouverte au changement social », considère l’historien. Un postulat qui en fera sûrement tiquer plusieurs, puisque l’on reproche souvent à l’univers Disney ses valeurs trop conservatrices. Ce à quoi Charles-Antoine Courcoux répond : « Pourtant, dès les années 90, on remarque une forte inflation au niveau des personnages féminins dans les premiers rôles. » Du reste, c’est déjà dans les années 90 que Disney introduit aussi ses premières héroïnes racisées : Pocahontas en 1995, Esméralda en 1996, dans Le Bossu de Notre-Dame, Mulan en 1998 ou, quelques années plus tard, Tiana en 2009, dans La Princesse et la Grenouille.
Le spécialiste observe même l’apparition d’un discours d’inspiration féministe, dès les années 2010. « On commence à thématiser le fait que des personnages font l’acquisition de pouvoirs qui, jusque-là, étaient perçus comme des prérogatives masculines. » Rebelle (2012) et Star Wars : Les Derniers Jedi (2017) en sont de bons exemples et constituent, selon l’historien, un véritable symbole d’émancipation féminine, « en dénonçant les difficultés de socialisation des femmes sous le patriarcat ».
Les 5 piliers
Pour Charles-Antoine Courcoux, d’un point de vue culturel, technique et social, le succès de Disney tient en cinq points. Tout d’abord, la volonté de son fondateur de produire d’emblée des dessins animés populaires de référence, « que ce soit en vertu de ses sources d’inspiration artistique, comme Winsor McCay, ou de son aspiration à l’excellence technique ». Ensuite, il y a bien sûr le mythe de Mickey, personnage légendaire dont le succès fulgurant est assis dès 1928 avec Steamboat Willie. « Le film fait entrer le dessin animé dans l’ère du son synchronisé, explique l’historien. Ce qui est révolutionnaire. D’ailleurs, c’est Walt Disney lui-même qui prêtera sa voix à Mickey pendant presque 20 ans. »
« Disney, c’est un genre propre. »
Charles-Antoine Courcoux, spécialiste en histoire sociale du cinéma
Et puis, il y a aussi le genre propre. À travers des époques où la comédie musicale ne fait pas toujours recette, elle fonctionne toujours au sein des longs-métrages d’animation de la compagnie. « Parce que Disney s’est forgé un genre propre, au sein duquel la comédie musicale n’est plus vue comme telle, elle fait partie de la marque, détaille le chercheur. Disney, c’est la permanence d’un genre, qui contribue à renforcer l’attachement à son modèle. » Et en dépit de ses nombreuses évolutions, l’industrie n’a jamais négligé son produit phare : le dessin animé. Disney s’appuie également sur la mobilisation d’un patrimoine culturel à vocation universelle (La Belle et la Bête, Le Bossu de Notre-Dame ou encore Pinocchio), puisé dans les contes et la littérature classique européenne. « Ce sont des récits fédérateurs auxquels s’ajoute une dimension féerique propre à Disney. »
Finalement, l’ultime ingrédient de la recette magique Disney consiste, d’après le spécialiste du cinéma, à « exploiter de manière experte le mode mélodramatique ». « Qui n’a jamais pleuré devant Bambi ? interroge-t-il. Même si on peut trouver ça niais, difficile de ne pas être ému. » Des films émouvants certes, mais qui réintroduisent aussi une sorte de « boussole morale dans un monde postsacré, où la religion ne joue plus le même rôle, analyse le cinéphile. Disney, c’est un univers manichéen où l’on redonne une visibilité et une légitimité morale à des personnages dont la vertu est révélée au fil des épreuves. »
À l’issue d’un siècle de magie, durant lequel l’industrie Disney vécut donc passablement heureuse, force est de constater qu’en s’appuyant sur quelques piliers, elle eut alors… beaucoup de productions !
Au-delà de l’animation
À l’origine, Disney ce sont des dessins animés, à destination d’un public familial, produits par un petit studio, dans les années 20. La fortune change en 1937 avec la sortie de Blanche-Neige et les Sept Nains. L’énorme succès de ce premier long-métrage contribue à changer la configuration du studio, mais ne lui ouvre pas immédiatement la porte de la cour des grands. « Produire un dessin animé était un processus long et coûteux, explique Charles-Antoine Courcoux. Et, à cette époque, l’industrie hollywoodienne était structurée de façon oligopolistique, seul un petit nombre de sociétés détenaient la majorité des parts de marché, notamment par leur mainmise sur les salles. Il faudra attendre les années 60 pour que Disney en fasse partie. »
Quand on pense « Disney », on visualise d’abord une ribambelle de personnages merveilleux qui se tiennent la main en chantant. Mais Disney, c’est aussi une industrie qui a su se diversifier au fil du temps. Dans les années 50, elle se tourne vers la production de films, avant de conquérir peu à peu l’ensemble du spectre de la production culturelle : jouets, jeux vidéo, livres, chaînes TV, musique, sport, etc.
En 1955, le premier parc d’attractions, Disneyland, est d’ailleurs inauguré en Californie. « C’est un peu la rencontre entre la fête foraine de Coney Island et l’exposition universelle », illustre l’historien. Pour lui, Disneyland est aujourd’hui « un espace clos où chacune et chacun peut donner libre cours à ses envies les plus régressives ; ça fonctionne bien car c’est un univers autonome, proposé comme une parenthèse dans l’espace et le temps. » Un monde à part… qui s’illumine !