Avec Pascal Saint-Amans, l’UNIL a recruté un spécialiste des politiques fiscales et de la négociation internationale. Rencontre à Paris avec le nouveau professeur titulaire.
Pascal Saint-Amans sait attendre. Ce Français d’origine basque aime le surf, rame et se positionne pour saisir la vague qui veut bien se présenter à lui. Alors, il ne la lâche pas. Il vit entre Biarritz et Paris, avec vue sur Notre-Dame, et a travaillé comme haut fonctionnaire à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où il arrive en 2007 et prend, en 2012, la direction du Centre de politique et d’administration fiscales.
On le sait : rien n’est plus patient que le fisc. Sauf Pascal Saint-Amans, qui œuvre tantôt dans l’ombre et tantôt dans la lumière, collabore avec les autorités concernées et attend que le travail porte ses fruits. Pour que la pomme trop mûre du secret bancaire, par exemple, tombe de son arbre helvétique, ce spécialiste de la politique fiscale internationale a rencontré pas moins de trois conseillers fédéraux successifs et les nomme volontiers : Hans-Rudolf Merz, Eveline Widmer-Schlumpf et Ueli Maurer.
La Suisse « fait le job »
Quand on demande au social-libéral s’il connaît bien, entre autres, le plus grand parti de Suisse, il répond : « Disons que c’est l’UDC qui me connaît bien. » Il n’en dit pas du mal, au contraire, d’ailleurs tout le monde en Suisse a « fait le job » et notre pays « continue à bouger dans le sens de son véritable intérêt ».
Il s’agissait, d’abord, de participer à l’échange international de données (sur demande dès 2009, automatique dès 2015) et, désormais, de prendre résolument le train (on votera pour adapter la Constitution) d’un impôt minimum mondial de 15% sur les profits générés en tout lieu par les entreprises étrangères (adieu les paradis fiscaux) ; cet accord BEPS (base erosion and profit shifting), signé le 8 octobre 2021 par 130 pays, leur permet ainsi de récupérer, sur les bénéfices de leurs propres entreprises, la part d’impôt qui échapperait encore, dans certains pays, à la taxation minimale de 15%. Ce que Pascal Saint-Amans nomme joliment « un filet de sécurité ».
Autrement dit, les profits mondiaux des multinationales seront désormais taxés à un taux minimum de 15% que ce soit dans le pays de siège de l’entreprise ou dans les pays où se trouvent ses clients.
Accord à trouver sur la taxation numérique
Le processus lancé (via notamment une directive de l’UE) sera pleinement effectif au 1er janvier 2024 (après adaptations des législations nationales) et complété par un autre pilier concernant plus particulièrement la répartition fiscale des profits générés par les plus grandes entreprises mondiales, notamment les GAFAM. Une partie plus importante de leurs profits devra être affectée aux pays où se trouvent leurs consommateurs.
La patience est de mise, là encore, mais Pascal Saint-Amans ne doute pas qu’un accord sur la taxation numérique sera trouvé (de même que sur le caractère automatique des échanges, à la traîne aux États-Unis). Il parle d’une « régulation fiscale de la mondialisation » indispensable (sous peine de rétorsions envers les récalcitrants) après la crise financière de 2008, qui a ébranlé les États et montré les limites des règles fiscales internationales vieilles d’un siècle.
Nouvelle activité à l’UNIL
Serein, Pascal Saint-Amans cherchait « une activité intellectuelle ayant des implications pratiques », et l’a trouvée à l’UNIL auprès du professeur Robert Danon, « une des personnes influentes dans la sphère fiscale ». Il a donc rejoint au 1er février 2023, comme enseignant master et formation continue, chercheur ainsi que conférencier, le Centre de politique fiscale, conjoint à deux facultés : droit, sciences criminelles et administration publique ainsi que HEC.
Le nouveau professeur titulaire souhaite « contribuer utilement au débat public sur les bonnes politiques fiscales » et se réjouit de «participer à la formation d’une nouvelle génération de tax policy makers» parmi des étudiants et des praticiens de toutes nationalités qui doivent connaître « la genèse des règles fiscales, leur sens profond et leurs méthodes d’élaboration basées sur la négociation ».
Optimisation plus difficile
Que pense-t-il par ailleurs du métier de fiscaliste ? « L’optimisation sera plus difficile, disons qu’il ne s’agira plus uniquement de maîtriser toutes les règles dans le but de réduire le fardeau fiscal du client, en conformité avec le droit, mais aussi de rendre le client attentif aux nouvelles règles qui vont dans le sens d’une meilleure contribution sociale, environnementale et fiscale, propice à la bonne réputation. »
Officier de l’Ordre national du mérite
La tendance politique mondiale, précise-t-il, est à la baisse de la taxation des revenus du capital, donc de l’impôt des sociétés, ce qui met davantage la pression sur les salariés, avec pour côté positif de favoriser les investissements et la croissance, donc de réduire le chômage. Toute la question étant « de parvenir à trouver un équilibre entre les deux » ; à cet égard la Suisse s’en sort selon lui « plutôt bien », de même que les pays nordiques, ayant « un faible niveau d’inégalités ».
Qu’en est-il dans son propre pays ? « La France parvient à contenir les inégalités, mais avec un moins bon équilibre car son modèle charge trop les entreprises; c’est un système total trop lourdement taxateur, qui mine la productivité. » De quoi en discuter (si c’était le lieu) avec le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, qui va prochainement lui remettre les insignes d’officier de l’Ordre national du mérite.
Pascal Saint-Amans travaille en outre depuis bientôt trois mois pour le groupe Brunswick, une société britannique qui a ses bureaux dans 20 pays et dont le CEO est américain. Lui-même reste basé à Paris mais travaille toujours au niveau global, avec un statut d’associé. Son job est d’aider les entreprises clientes (dont certaines en Suisse) à surmonter les situations de crise, adopter une communication appropriée, et plus généralement appréhender les questions stratégiques.
La famille et la lecture
On sent chez ce fils d’un gendarme et d’une mère au foyer, né en 1968, une jubilation à réfléchir et à agir aujourd’hui au niveau international. Mais cet homme très occupé a-t-il une passion, hormis celle du surf pratiqué « de manière assidue » ? « Oui, le surf », répond-il. Avant de détailler ses goûts littéraires avec des noms comme ceux des Américains Philip Roth et Russell Banks ou encore des Japonais Kawabata et Mishima. « Je suis classique, j’attends que les auteurs soient décédés pour les suivre. Bon je plaisante un peu, même si là je viens d’achever la lecture de L’Aveuglement, livre passionnant d’un Prix Nobel de littérature, le Portugais José Saramago, disparu en 2010.
Travailleur obstiné, Pascal Saint-Amans conserve du temps pour sa famille, une épouse institutrice, une fille agente de mannequins, un fils artiste préparant son entrée aux beaux-arts… et une «troisième enfant», mannequin ukrainien de 17 ans bloquée à Paris par la guerre. Chez les Saint-Amans on ne craint pas les responsabilités.