Le Musée du Vieux-Moudon consacre une exposition à Philippe Jaccottet, en collaboration avec le Centre des littératures en Suisse romande (Faculté des lettres). Elle présente des aspects méconnus de la vie du poète, né il y a cent ans dans la ville broyarde.
« J’ai gravi les larges escaliers où même mes pas d’enfant ont dû faire leur infime travail d’usure, comme l’eau monotone de la Broye n’a cessé de creuser un peu plus son lit dans la campagne. » Ces mots de Philippe Jaccottet (1925-2021) évoquent l’intérieur d’une belle demeure de la rue Grenade, à Moudon, dans laquelle le poète a vécu une partie de ses très jeunes années.
« Philippe Jaccottet, images d’enfance » retrace la période broyarde d’un auteur que l’on associe plutôt aux champs de lavande de Grignan (Drôme), où il a passé la majeure partie de ses jours. Au Musée du Vieux-Moudon, dès le 21 juin, cette exposition dévoile des pans moins connus de sa vie et les premiers jalons de sa carrière d’auteur.

« Nous souhaitons mettre en lumière la relation que Philippe Jaccottet a entretenue avec les lieux de son enfance et présenter le contexte dans lequel il a grandi », indique Stéphane Pétermann, chargé de recherche au Centre des littératures en Suisse romande (Faculté des lettres) et cocommissaire de l’exposition. Cela s’appuie sur des textes bien sûr, mais aussi sur des images rarement vues. Ainsi, « Philippe Neeser, filleul et petit-cousin de Philippe Jaccottet du côté de sa mère Annette, a conservé nombre d’albums photographiques et de portraits de famille, ajoute Monique Fontannaz, présidente de l’Association du Vieux-Moudon et cocommissaire. L’arbre généalogique du poète compte de nombreux notables, comme des Burnand et des Chollet. Toutes ces familles ont beaucoup contribué à façonner le patrimoine historique de la ville. »
Pivoines et romantisme
« Philippe Jaccottet ne dit rien ou presque de sa famille dans ses écrits, pas plus que sur le chemin qui l’a mené à l’écriture. Toutefois, Le cours de la Broye, publié en 2008, contient des éléments autobiographiques », relève Stéphane Pétermann. L’une des graines de sa carrière a peut-être été semée chez cet amoureux des pivoines par une voisine de ses parents, sa tante Lily Kautzsch-Jaccottet (1878-1939). Veuve d’un chimiste allemand, cette âme wagnérienne vivait dans un capharnaüm de bibelots qui ravissait le jeune Philippe (l’un d’entre eux, d’usage mystérieux, figure dans l’exposition). Journaliste, elle publiait ses poèmes dans L’Éveil, le journal de Moudon. « Il est également intéressant de noter que Lily Kautzsch-Jaccottet faisait partie du comité de l’Association du Vieux-Moudon », relève l’historienne Monique Fontannaz.
Comme le montre l’exposition, le poète – fils d’un vétérinaire doté d’une automobile – provient d’un milieu « de notables plutôt cultivés, installés dans une petite ville de campagne. Dans sa famille, certains écrivaient ou dessinaient. Contrairement à Ramuz, par exemple, Jaccottet n’est pas le premier des siens à avoir eu une activité littéraire, même si elle est d’une tout autre ampleur », note Stéphane Pétermann.
Le château de la Mérine
Dans Le cours de la Broye, Philippe Jaccottet évoque différentes personnalités de Moudon, ainsi que des endroits qui ont marqué son enfance. Comme chez Marcel Pagnol, il y a un château, ou plutôt une maison de maître, La Rochette. Le poète a raconté les souvenirs de ses jeux, « fusil à air comprimé » en main, aux alentours de cette demeure qui se tient toujours dans le vallon de la Mérine. Ami du poète, l’écrivain Jil Silberstein habite d’ailleurs tout à côté. « Il fait partie de la petite équipe qui a imaginé l’exposition, avec José-Flore Tappy, directrice de l’édition des œuvres de Philippe Jaccottet dans la Bibliothèque de la Pléiade, et Sarah Besson-Coppotelli, directrice du Pôle muséal de Moudon, précise Monique Fontannaz. Nous avions à cœur d’organiser des événements pour marquer les cent ans de sa naissance. »

Personnalité critique, exigeant avec lui-même comme avec les autres, Philippe Jaccottet a livré quelques vacheries attendues au sujet de Moudon dans Le cours de la Broye. Il glisse que ses habitants sont «prompts à la médisance faute d’autres distractions», tout comme les mots «morose» et «ennui». Sa maîtresse d’école est « un coq rouge et méchant ». Ces piques n’ont-elles pas refroidi les commissaires de l’exposition ? « C’est le genre de propos dont on ne s’offusque plus », sourit Monique Fontannaz.
De plus, ces quolibets, qui découlent d’un passage de l’auteur à Moudon en fin d’été 1945, illustrent un ton « flaubertien » sous sa plume, relatant un moment où, écrivain naissant, il revisite sa ville natale. En effet, la famille Jaccottet quitte la Broye pour Lausanne en 1933. Philippe étudie au gymnase, puis à l’université. Sa jeunesse est jalonnée de soirées exubérantes chez la poétesse Lélo Fiaux. Le jeune homme a donc changé de monde.
Le colza et la lavande
Le 27 juin 1941, à Lausanne. Philippe Jaccottet se rend à la remise du prix littéraire Eugène-Rambert. Il est surtout là pour écouter le discours prononcé par C. F. Ramuz. Mais de manière inattendue, ce sont les paroles du récipiendaire de la distinction qui produisent l’effet le plus puissant. « Philippe Jaccottet rapporte avoir eu l’impression que Gustave Roud lui donnait la clé des émotions qu’il commençait à ressentir, ce qui constitue une expérience forte pour un adolescent », indique Stéphane Pétermann. Ce jour marque le début d’une longue amitié, nourrie par une correspondance échangée entre 1942 et 1976.
« La poésie de Gustave Roud est liée au Jorat et à la Broye, tandis que Philippe Jaccottet n’a qu’un lien biographique avec ces régions. Toutefois, le rapport que ce dernier entretenait avec les paysages provençaux n’est peut-être pas si différent de celui tissé par son aîné avec les plaines et les collines vaudoises, relève Stéphane Pétermann. L’attention portée au passage des saisons est également commune aux deux œuvres, entre autres éléments. » L’intérêt pour le romantisme allemand et la traduction constitue d’autres similitudes entre ces auteurs.
En septembre 2001, Philippe Jaccottet fut le premier récipiendaire d’un prix littéraire décerné par sa ville natale. De ce Retour à Moudon, titre d’un texte concis rédigé à ce sujet, il rapporte que ce fut « un petit événement de mon grand âge ; tout au fond duquel il y avait, je crois bien, silencieusement mais intense, tout à fait inconsciente sur le moment, une sorte de joie ».
Des événements pour un centenaire
Mettant en lumière des pans méconnus de sa vie, l’exposition « Philippe Jaccottet, images d’enfance » est proposée à un moment où les musées de Moudon connaissent une hausse notable de fréquentation, ce qui réjouit Monique Fontannaz. Un programme d’événements accompagne l’exposition.
Samedi 21 juin, à 11h. Vernissage. Discours de Daniel Maggetti, professeur de littérature romande à l’Unil, directeur du Centre des littératures en Suisse romande, et de Sarah Besson-Coppotelli, directrice du Pôle muséal de Moudon.
Mercredi 3 septembre, à 19h30. Lecture de La Clarté Notre-Dame par le comédien Michel Voïta. Salle de l’Amicale du Rochefort (rue du Château 48). Avec une introduction de José-Flore Tappy, poète, éditrice de Philippe Jaccottet dans la Bibliothèque de la Pléiade.
Samedi 20 septembre, à 15h. Pose d’une plaque commémorative sur la maison natale de Philippe Jaccottet, rue des Tisserands 34, à Moudon. Discours de Carole Pico, syndique de Moudon, et de José-Flore Tappy. Projection du film Plan-fixe consacré à Philippe Jaccottet.
Vendredi 24 et samedi 25 octobre, à 20h. Roud-Jaccottet, lecture-spectacle d’après la correspondance échangée entre les poètes, par « Les Amis musiquethéâtre » (Carouge). Théâtre de la Corde, Moudon (rue du Château 21). Réservation: Moudon Région Tourisme, 021 905 88 66.