Des chiens qui flairent l’épilepsie à plein nez

En dehors des médicaments et de la chirurgie, des anges à quatre pattes peuvent aider les personnes atteintes d’épilepsie, car ce trouble a une odeur.

En dehors des médicaments et de la chirurgie, des anges à quatre pattes peuvent aider les personnes atteintes d’épilepsie au quotidien. Car ce trouble a sa propre signature olfactive.

Qu’ont en commun Jules César, Napoléon et Dostoïevski ? On suppose que tous trois souffraient d’épilepsie. On considère que 5% de la population fera au moins une crise au cours de sa vie et que 1% en souffrira de manière régulière. « Ce n’est donc pas une maladie rare », constate Jan Novy.

Cet épileptologue au Service de neurologie du CHUV a participé à la Semaine du cerveau organisée par l’UNIL du 10 au 14 mars. « Dans ce cadre, nous avons beaucoup parlé des détections électroniques, comme les montres connectées, pour aider les personnes atteintes d’épilepsie, tout en faisant le point sur la détection biologique. » Entendez par là les chiens d’alerte. « Cela représente une belle collaboration humain-animal », remarque le spécialiste.

Facteurs déclencheurs et causes

Trouble neurologique, l’épilepsie peut être impressionnante. Elle touche soit le cerveau dans son ensemble et est appelée généralisée, soit une partie seulement et est dite focalisée. « C’est le cerveau qui décharge de manière complètement indépendante de la volonté de la personne », souligne Jan Novy, épileptologue au Service de neurologie du CHUV.

Ses causes sont diverses. Elles peuvent être congénitales, liées à une maladie sous-jacente, à un AVC ou à un traumatisme cérébral, par exemple. Et il ne faut pas oublier, même si c’est extrêmement rare, que l’on peut encore en mourir. « Comme cette personne qui a eu une crise dans l’eau et a été secourue. Sans intervention, elle aurait pu se noyer », se remémore Jan Novy.

Le manque de sommeil, le stress, la chaleur ou la lumière violente peuvent déclencher une crise chez la personne qui souffre d’épilepsie. Mais déconstruisons un mythe : l’effort physique est très rarement en cause.

Des composés volatils

Comment les chiens parviennent-ils à réaliser ce tour de force ? En fait, l’épilepsie a sa propre odeur, qui change quelques minutes avant la survenue de la crise. Les chiens peuvent ainsi la signaler, donnant l’occasion à leur propriétaire de se mettre en sécurité. « Des chercheurs de Floride ont relevé cinq composés organiques volatils relativement différents dans la transpiration au moment de la crise », précise Jan Novy.

Mais leur truffe agile n’est pas leur seul avantage pour épauler les malades. « Une étude hollandaise a démontré les bénéfices de ces chiens, non seulement pour la santé du patient ou de la patiente, mais également sur le plan social et émotionnel, en termes de qualité de vie, relève le médecin. Les gens se sentent plus sûrs. Il y a même une légère amélioration de la fréquence des crises, peut-être en raison de la baisse de stress induite par la présence de l’animal. »

Ulysse est actuellement en formation pour devenir chien d'alerte. © Medical Flair
Ulysse est actuellement en formation pour devenir chien d’alerte. © Medical Flair
Extrême précision

Durant de nombreuses années, des personnes ont rapporté que leur chien réagissait de manière étrange lors des crises. « On a longtemps pensé qu’il captait finement le changement de comportement, avant de comprendre qu’il s’agissait davantage d’une question d’odeur », explique Jan Novy.

Publiée en 2019 dans Nature, une étude a confirmé ce ressenti. Des chiens ont été testés. On leur a fourni des échantillons frottés au préalable sur le front, la nuque et les mains de personnes atteintes d’épilepsie. Ces échantillons ont été pris à différents moments de la journée, lors de périodes calmes ou non. « Trois animaux sur six n’ont commis aucune erreur, les autres presque pas. Ils ont reniflé beaucoup plus longuement l’échantillon provenant de la personne en crise, remarquant qu’il y avait une odeur différente. Quand le chien marque, il se trompe extrêmement rarement », indique l’épileptologue.

Variabilité du trouble

On compte une trentaine de types d’épilepsie. On se représente généralement une crise avec des convulsions, de la raideur et une perte de connaissance, mais toutes ne sont pas aussi spectaculaires que ce « grand mal ». « C’est un trouble très hétérogène, polymorphe, développe Jan Novy, épileptologue au Service de neurologie du CHUV. L’une des formes les plus courantes intervient dans l’enfance et se manifeste par des « absences », sans convulsion. Ce sont des enfants qui sont soudain déconnectés de leur environnement, parfois plusieurs fois par jour. Ce type d’épilepsie disparaît le plus souvent à l’adolescence. »

La manifestation et la fréquence des crises varient d’une personne à l’autre. Si elles surviennent souvent sans prévenir, elles s’annoncent parfois par une sorte d’aura. « Pour les malades ne ressentant pas d’avertissement, la détection joue un rôle important. Mais il ne s’agit pas encore de prédiction, même si les chiens peuvent parfois détecter une crise dans les minutes qui la précédent, précise le spécialiste. Pouvoir le faire serait idéal pour prendre des mesures de sécurité. » Des montres connectées permettent de détecter l’augmentation du rythme cardiaque et de la transpiration, mais elles ne peuvent prévoir les crises.

Exposition fréquente

Mais Jan Novy se veut rassurant. « La majorité des gens souffrant d’épilepsie vont bien. Environ trois quarts d’entre eux ne font plus de crise avec une médication. Seule une faible proportion va continuer d’en avoir malgré les traitements. Pour ces personnes, c’est invalidant au quotidien, car cela revient à avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. »

La présence d’un animal prend alors tout son sens pour accompagner ces malades. « Il peut même anticiper la crise de quelques dizaines de minutes, aidant son maître à se mettre en sécurité. Il tape avec son museau pour avertir de l’imminence de la crise », signale le spécialiste.

Pour autant, il faut que cet ange gardien soit régulièrement exposé à l’odeur pour qu’il conserve ce talent. Cela ne convient donc pas à tous les cas. Si les crises sont rares, un tel dispositif n’est pas optimal.

Diversité de traitements

Plus d’une vingtaine de médicaments existent actuellement. Environ 30% des personnes touchées sont toutefois résistantes aux antiépileptiques. Parmi cette frange de malades, seul un sur cinq est opérable. « La chirurgie reste la seule thérapie curative, mais ce sont des interventions conséquentes, envisagées si la médication ne fonctionne pas, observe Jan Novy. Cela exige un bilan complexe pour tenter de localiser la région du cerveau concernée et s’assurer que l’on peut la déconnecter sans dégâts. »

Les stimulateurs peuvent également faire diminuer la fréquence des crises, en s’attaquant au nerf vague via des impulsions électriques en provenance d’un pacemaker qui vont modifier « l’état d’éveil » du cerveau. Et il existe des régimes spécifiques comme le régime cétogène, constitué de beaucoup de graisses et de peu de sucres. « C’est surtout utilisé chez les enfants, qui y répondent très bien. Même si c’est exigeant à long terme, reconnaît Jan Novy. Mais le seul fait de diminuer les crises, leur fréquence représente déjà un point positif. »

Du teckel au labrador
Stanley a été formé en 2021. © Medical Flair
Stanley a été formé en 2021. © Medical Flair

Reconnu d’utilité publique, Medical Flair forme notamment des chiens d’alerte pour les personnes souffrant d’épilepsie. Œuvrant en Suisse romande, cette association collabore avec le CHUV. Elle compte une cinquantaine de membres et une quarantaine d’animaux éduqués ou en voie de l’être.

« Nous collaborons avec les chiens que les patients possèdent déjà, explique Stéphanie Huguenot, codirectrice de Medical Flair et éducatrice canine. La race importe peu. Par exemple, nous avons eu un bichon havanais, un teckel et un labrador. Le tempérament joue surtout un rôle, ainsi que l’envie et la capacité de travailler. »

Si la personne atteinte d’épilepsie n’a pas d’ami à quatre pattes, « nous la coachons pour s’en procurer un. Nous prenons des chiens provenant de refuges. Nous y trouvons de véritables pépites. Nous travaillons aussi avec des éleveurs si les personnes recherchent une race spécifique. Les chiens doivent être proches de l’humain, sans agressivité, sans peur de la nouveauté et aimer travailler. Ils doivent être à l’aise dans toutes les situations de la vie quotidienne », liste Stéphanie Huguenot.

La formation s’étale sur 12 à 18 mois, voire deux ans pour un chiot, à raison d’un jour en présentiel par semaine et d’exercices quotidiens. « Si on reste sur l’alerte médicale stricte, le travail n’est pas difficile. Le chien vit dans un univers olfactif en permanence. Renifler est pour lui naturel. »

Mais ces animaux font plus que détecter les crises, ils peuvent aller chercher des médicaments ou du secours, se blottir contre la personne qui convulse pour la sécuriser. Leur éducation tout au long de leur vie s’élève à 17’000 francs, financés par l’association. Depuis le 1er janvier 2024, l’assurance invalidité prend en charge cet accompagnement dans le cadre de l’épilepsie.