Rencontre avec Frédéric Herman pour éclairer ce moment de transition et faire le tour des questions essentielles pour l’UNIL aujourd’hui et dans le futur proche.
En poste depuis sept mois maintenant, le recteur Frédéric Herman nous accueille dans son bureau pour expliquer comment il envisage ce moment de transition que nous vivons au sortir de la longue crise épidémique, et pour donner des pistes d’avenir intéressantes pour l’ensemble de la communauté UNIL. L’occasion de se plonger dans le fonctionnement de l’institution alors que le campus s’ouvre à nouveau avec des perspectives d’échanges et de rencontres enfin retrouvées.
Monsieur le recteur, pouvons-nous enfin refermer la parenthèse Covid à l’UNIL ?
Après deux ans, nous ne pouvons pas dire que nous allons juste revenir au même état des choses qu’avant cette pandémie qui a bousculé tant d’habitudes et n’a pas fini de nous déstabiliser, si on songe aux personnes qui tombent encore malades. Il faut que tous puissent suivre les cours. On sait aussi que beaucoup ont commencé leurs études dans ces conditions étranges et qu’il leur faudra un moment pour adopter un autre mode de travail. Nous avons appris la levée de toutes les mesures quatre jours avant le début du nouveau semestre et avons décidé de conserver l’enseignement hybride au bénéfice des étudiantes et étudiants, confrontés durant deux ans à ces circonstances qui ont entravé leur formation malgré tous nos efforts. Certains nous demandent de pérenniser cette mesure, d’autres souhaitent au contraire la supprimer au plus vite. Nous avons décidé de prolonger la situation jusqu’à la fin du semestre en cours, seulement, avec des dérogations possibles pour les enseignants qui en feront la demande, parce que certaines formations n’ont aucun sens autrement que sur le terrain, dans les labos et avec des interactions sur le vif…
Que restera-t-il de cette expérience dans le fonctionnement de l’UNIL ?
Tous les dispositifs mis en place dans l’urgence ont accéléré la transition numérique, mais dans des conditions extrêmes. Il s’agit donc de retrouver un équilibre et d’y travailler car ça ne se fera pas tout seul. Nous devons considérer les avantages de ces dispositifs à des fins pédagogiques, mais nous en connaissons aussi les inconvénients. L’enseignement, en particulier, s’est exercé avec des pressions énormes. Nous avons mis en place un groupe de travail « chantier enseignement » impliquant les étudiants, les corps intermédiaire et professoral pour l’intégration de ces technologies, dont on voit bien que certains les apprécient et d’autres beaucoup moins. Nous pouvons aussi constater que les systèmes de captation n’empêchent pas que des auditoires se remplissent malgré l’offre à distance. Nous avons maintenant une expérience et il faudra en tirer les fruits. Il s’agit d’y réfléchir dans la perspective d’enrichir la formation et non plus pour affronter une situation de crise.
Qu’en est-il du télétravail ?
J’y vois le résultat d’une transformation du travail liée notamment à la volonté de mieux concilier vie professionnelle et vie privée. Là encore, la pandémie a creusé un sillon préexistant. La Direction précédente y réfléchissait et nous sommes en train de préciser les règles du télétravail pour le PAT. L’UNIL doit faire partie de ces évolutions du monde professionnel. Il faut envisager ces changements d’une manière équilibrée : je reste très attaché à la présence sur le site, à la « sérendipité », à ces imprévus favorisés par une journée sur le campus ; beaucoup d’idées surgissent dans les espaces informels. La présence des associations favorise le débat, notre rapport à l’environnement est également très fort sur un site aussi proche de la nature ; je me réjouis de la réouverture de Zelig, par exemple, et de toutes les possibilités d’échanges qui font la vie d’une institution ouverte comme la nôtre. J’aimerais que l’Université évolue en quartiers, on peut créer une vie de quartier dans des endroits comme La Grange et d’autres points de rencontre.
Vous êtes à la tête de l’UNIL depuis sept mois. Que peut-on déjà dire de votre style ?
L’UNIL possède plusieurs organes participatifs et consultatifs : nous voulons les utiliser au mieux. Dans le cas du plan d’intentions nous essayons d’être le plus possible participatifs, même si à un moment il faut prendre une décision parfois très rapide, ce qui a pu nous être reproché durant cette crise. Il y aura toujours des déçus. Parfois aussi le sujet est si complexe que tout le monde tombe d’accord mais, dans la pratique, ça peine à suivre. Je pense par exemple à l’égalité ou la durabilité, mais il y a beaucoup de sujets très complexes dans notre université. Heureusement, des gens y travaillent depuis des années, des spécialistes qui ne se contentent pas de bonnes intentions, qui ont testé des manières de faire, qui proposent des solutions ; à mon poste il me paraît indispensable de pouvoir s’appuyer sur ces personnes et elles sont nombreuses. Je me sens bien entouré pour gérer l’UNIL, à la Direction et dans l’ensemble de l’institution.
D’où vient l’idée du blog du recteur ?
Le blog me permet de partager un regard façonné par toutes mes rencontres sur le campus. Je n’ai plus tout à fait cette liberté de parole des scientifiques qui s’expriment au sujet de leurs recherches et peuvent mener une réflexion personnelle dans leur champ d’expertise ou même au-dehors, expression qui sera jugée sur des critères avant tout scientifiques. Les membres du PAT peuvent aussi s’exprimer publiquement en leur nom. La Direction précédente a initié un groupe de travail sur la liberté d’expression : l’Université réagit en cas de manquement avéré à l’intégrité, de tricherie scientifique, par exemple, mais nous sommes pour l’engagement citoyen et, je dois le dire ici, chacun est responsable de sa propre parole. Je ne fais pas la police. Mais, pour ma part, il est illusoire de penser que ma parole personnelle peut encore se distinguer de celle de l’UNIL. C’est pourquoi, même dans mon blog, j’aime m’appuyer sur les expertises présentes dans une institution qui construit du savoir. Je ne suis pas le grand chevalier blanc qui dévoile son opinion sur tous les sujets, mais je ne veux pas non plus adopter une posture de neutralité. Je peux offrir un regard nourri de tous mes échanges et des réflexions qu’ils suscitent. C’est ça l’idée du blog, ne pas perdre l’occasion qui m’est donnée dans cette position.
Vous travaillez aussi à un projet de café avec le recteur ?
Ce n’est pas mon invention. Par exemple, le président actuel de Harvard avait l’habitude d’aller courir en compagnie de ses collaborateurs, mais bon, tout le monde n’a pas envie de transpirer aux côtés du recteur, aussi j’ai préféré proposer plus simplement un café autour de la table dans mon bureau. Il s’agira d’une discussion ouverte, une fois par mois, avec quelques personnes inscrites pour évoquer un sujet de leur choix durant une demi-heure ou plus. Ce sera une occasion de mieux expliquer une décision de la Direction, de répondre aux questions, mais aussi d’entendre librement toutes les idées. Je souhaite favoriser ces moments d’échanges après deux ans où nous avons vécu beaucoup plus enfermés.
La recherche suisse a été mise à mal sur le plan européen, que proposez-vous ?
Nous explorons plusieurs pistes pour tenter de sortir de l’impasse actuelle vis-à-vis de l’UE. D’abord nous nous exprimons via swissuniversities ; l’organe commun au monde universitaire joue son rôle politique à Berne, mais le processus initié aux chambres fédérales est lent. L’UNIL peut aussi s’appuyer sur les nombreux accords passés avec des universités européennes ; grâce à notre partenariat privilégié avec l’Université libre de Bruxelles, nous avons pu déposer une candidature acceptée à l’unanimité pour accéder au réseau d’universités européennes CIVIS, qui partage plusieurs axes prioritaires avec nous, par exemple sur la durabilité ou encore l’impact des sciences sur la société, ce qui est très proche de notre plan d’intentions. Un financement va peut-être arriver de la Confédération pour soutenir notre participation à ce réseau qui permettra d’assurer la mobilité des étudiants et la participation pleine et entière des chercheurs suisses à des projets européens.
Pourquoi votre engagement au sein du nouveau comité stratégique de swissuniversities pour l’open research data ?
Parce que c’est un sujet essentiel pour les scientifiques, qui se doivent maintenant de mettre leurs données à disposition des organes qui financent la recherche, de leurs pairs et du public. L’UNIL a une stratégie de transparence de la recherche depuis 2019 (stratégie open science de l’UNIL), elle est bien placée en Suisse pour en parler, et je trouve tout naturel de rejoindre ce comité dont la composition inclut des présidents et recteurs des EPF, d’universités cantonales et de hautes écoles spécialisées et pédagogiques. Les défis sont nombreux : c’est la diversité de ces données, voire leur hétérogénéité entre sciences dures et sciences humaines et sociales, c’est leur augmentation exponentielle, leur sauvegarde et leur stockage sur le long terme, ce sont encore des problématiques éthiques et économiques liées à leur gestion. Il s’agit de proposer une stratégie nationale sur ces questions, d’offrir à terme des structures et des dispositifs pour encourager les institutions concernées et leur permettre de s’approprier dans les meilleures conditions cette nouvelle modalité transparente de la science.
Enfin, une question qui nous bouleverse tous, l’Ukraine…
Il m’a semblé important de poser un acte de solidarité et de le faire en nous plaçant sur le registre qui est le nôtre, celui de la European University Association et de swissuniversities, pour offrir un soutien aux chercheurs et enseignants ukrainiens. Certains viendront en Suisse via le programme international d’accueil Scholars at risk ; l’UNIL en fait partie de longue date et a déjà accueilli des personnes en provenance de Turquie et de Syrie. Il s’agit maintenant de mettre en avant cette capacité d’accueil grâce aussi à des fonds qui seront libérés par le FNS. L’enseignement et la recherche en Ukraine seront fortement touchés, hélas, et notre soutien doit être à la hauteur. Dans l’immédiat, les personnes concernées à l’UNIL peuvent s’adresser notamment au Service des affaires sociales et de la mobilité étudiante, le SASME. Cette guerre effroyable nous affecte tous peu ou prou et entretient un climat angoissant. On ne peut y répondre que par l’affirmation forte et répétée de notre solidarité, et être disponibles pour accueillir ces étudiant·e·s et ces scientifiques.