Jabo’s corner: Exposé donné lors la journée consacrée à « Une recherche environnementale engagée ? »

Par ailleurs, j’ai participé à une journée organisée par l’IGD et la PLATEFORME SOCIÉTÉ NATURE – Vendredi 27 avril 2018 – Université de Lausanne, où j’ai défendu la thèse suivante :

«Le devoir du chercheur engagé : la schizophrénie… »

Cette conférence m’a beaucoup amusé car j’ai découvert la distance qui me sépare des sciences sociales, telle que présentée dans cette réunion. L’essentiel des présentations était le fruit de militantisme. Je reproduis ce texte ci-dessous car pour moi il définit bien mon approche :

Je commencerai par dire que je suis un iconoclaste et donc que, soit ce que je vais dire à déjà été dit, soit a déjà été réfuté, mais j’assume mon ignorance.

Un engagement peut motiver ses propres recherches. Mais chacun possède un agenda – au sens anglo-saxon du terme – un agenda conscient ou non, car indirectement les raisons qui mènent à un engagement sont personnels et dépendent du parcours de chacun ; avouable ou non !

Dès lors : qu’est-ce que l’engagement en tant qu’enseignant chercheur ?

Doit-on influencer nos étudiants par nos convictions, c’est inévitable ! Cependant il faut savoir présenter son point de vue en tant que « point de vue » et non d’en faire un dogme. Par exemple : Je me vois critiqué la posture d’un scientifique religieux, ce qui m’apparaît incompatible, mais en aucun cas je ne dois me permettre de discréditer les religions, cette limite et très ténue ; cela signifie qu’il faut souligner que c’est une posture de ma part, c’est une opinion et non une assertion démontrée.

On ne peut s’en sortir complètement, par exemple : je suis antinucléaire depuis mon plus jeune âge, venant d’un village qui fût potentiellement un site pour les déchets dans les années 70  BEX. C’est mon opinion et pensé que les promoteurs de cette énergie devraient être en prison pour avoir menti pendant des années : sur les risques, les coûts réels, etc. Mais, par ailleurs, je dois aussi me préoccuper des problèmes et de l’employabilité de nos étudiants et doctorants, c’est la raison pour laquelle nous avons accepté de travailler pour l’agence finlandaise de stockage des déchets qui nous avait sollicités.

Un autre exemple est l’étude de la fracturation dans les roches : elle peut s’appliquer au pétrole mais aussi à la recherche en eaux, alors que faire ?

Comme disait Desproges, il est à la mode ces jours-ci : « Je suis le contraire d’un artiste engagé. Je suis un artiste dégagé. Je ne peux pas être engagé. A part la droite, il n’y a rien au monde que je méprise autant que la gauche. » Desproges était de droite, adulé par les gens de gauche, mais avant tout un humaniste (voire le sketch sur son épicier arabe…). C’est à mes yeux la seule façon d’être engagé. Pourquoi ? Parce cela peut signifier, espérons-le, un engagement qui nous permet d’échapper au comportement observé dans la « Miligram experiment ». En effet, comment peut-on être sûr qu’on y échapperait… ? En d’autres termes : échapper à la médiocrité définie par Anna Arendt, là je m’avance un peu parce que je n’y connais rien… Mais c’est peut-être là un engagement humain et donc être à l’écoute des souffrances de chacun…

L’engagement acceptable en tant qu’enseignent-chercheur ne peut être que social.

Concernant le sein de la science elle-même, la situation est plus difficile. En premier lieu, on ne peut pas définir ce qu’est l’engagement scientifique si l’on ne définit pas la science.

Qu’est-ce qui valide une approche scientifique ?

La capacité à prédire, à expliquer, à simplifier, à vérifier ; c’est une fiction, ce n’est en aucun cas une réalité, mais une fiction efficace. Et cette efficacité éphémère ou plus durable telle que le théorème de Pythagore, rejette toute forme de dogme ou devrait le faire. Il apparaît là une responsabilité vis-à-vis de la société, des étudiants : l’intégrité scientifique. Des manquements à cette intégrité nous amènent aux suspicions qui règnent comme par exemple sur le domaine médical.

On ne peut donc pas être engagé dans le processus de formalisation de théorie ou d’observation, car il s’agirait d’un biais, mais on peut orienter ses domaines de recherches en fonction de ses convictions ou de son agenda. La science idéalise le monde, tout comme une bonne conductivité électrique n’existe que dans des matériaux purifiés. Dans la méthode scientifique il existe une étape malhonnête : c’est l’effacement des traces de la genèse de l’idée. Je veux dire que cela ne fait plus partie de la science, et/mais cela peut être raconté parfois, il suffit de lire le livre d’Einstein sur la relativité pour s’en convaincre. Mais le côté « sale » de la « création » scientifique – création est un mot que je n’aime pas – disparaît. Cela en fait aussi sa force. C’est peut-être pour cela que Feyerabend a raison en disant que toute hypothèse est bonne, cependant, cela n’est valide que si la « purification des énoncés scientifiques » est effective. Il s’agit donc bien d’être schizophrène, à savoir s’extraire du soi. 

Il est clair que de ne pas intégrer cet aspect sale facilite l’acceptation, car l’agenda disparaît. Cela induit aussi une tendance au conservatisme de la science, les réfutations sont longues et difficiles, car la science de ce fait devient parfois et même souvent dogmatique, à cause justement de cette pureté. L’engagement doit être aussi vu comme une composante du processus création de l’œuvre artistique ou scientifique. En ce qui concerne l’art, la lecture d’une œuvre peut changer la perception d’autres œuvres, car le filtre de l’efficacité n’efface pas tout. Par exemple, j’aimais beaucoup le cinéaste Tarkovski, je l’aime toujours mais moins, car ayant vu son dernier film « le Sacrifice », ma lecture d’un de ces autres films « l’enfance d’Yvan » s’en est trouvée modifiée, car l’évocation de sa christianité me dérange. Mais peut être aussi a-t-il détruit sa construction en s’engageant dans son dernier film, il ne l’était peut-être pas avant. Ainsi à mes yeux la polysémie disparaît en levant les ambiguïtés. Les films de Buñuel engagés sont, parait-il, peu intéressants. L’engagement pose un problème même en arts et dans sa production.

Pourquoi mélanger arts et sciences ? Leur genèse n’est pas très différente, cependant la différence fondamentale est la méthode… qui induit une forme de purification de la démarche. Je veux dire que tout lien avec la genèse de la théorie est supprimé, ce qui de fait invalide l’engagement. Il n’existe en principe pas de polysémie en sciences, il existe des théories différentes.

Étant très inculte, je ne connais pas suffisamment les choses ; mais un cas particulier est celui de Leonardo da Vinci : alliant l’art et les sciences et les techniques, il possède une aura particulière. En fait, son engagement dans les techniques guerrières est plus problématique. La question qui se pose alors : l’engagement est-il volontaire ou forcé ? Et certainement, dès qu’on touche aux applications directes, c’est-à-dire aux techniques, on change de registre ; et la dichotomie devient … plus compliquée ?

Tout ceci pour dire que l‘engagement « ne peut-être, selon moi, que social », nous avons un devoir de transmettre des outils pour comprendre l’environnement qui nous entoure et par conséquent, ces outils doivent être le moins possible marqués idéologiquement… Nous ne pouvons décider pour les étudiants des domaines dans lesquels ils vont travailler… En même temps, indirectement, nous reproduisons nos points de vue par nos choix de programmes d’enseignement, en plaçant nos étudiants dans les administrations. Souvent ces jeunes gens ne connaissent rien aux problèmes réels des différents groupes de la société…, car ils sont formés dans une bulle, ce qui peut poser des problèmes.

Mon engagement présent est aussi lié à l’intégration de l’université dans la cité, de plusieurs manières. C’est dans cet ordre d’idées que nous avons reçu ces dernières années plus de 20 BNF, diplômés sans emplois pour des stages de 6 mois et parfois nous les avons engagés. Nous avons des aussi des devoirs envers les pays pauvres, par le suivi de doctorants, par exemple.

Lorsqu’on communique avec le grand publique ; l’engagement apparaît au grand jour : ce qui créer la confusion. Si nous n’y prenons pas garde, nous apparaissons comme des oligarques, comme le dit Emmanuel Todd. Nous devons entendre les clameurs des obscurantistes au risque de disparaître… C’est la grande interrogation que j’ai actuellement : nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle ou les exclusions ne font qu’augmenter. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas… ?

L’un des problèmes essentiels des sciences c’est qu’elles échouent toujours à donner des réponses concernant l’existence de Dieu et s’il y quelque chose après la mort. Ces interrogations levées permettraient de développer des rites purement sociaux et non d’avoir des rites soutenus par des dogmes.

La question est : sommes-nous autorisés à militer ? Mais nous ne devons pas nous surestimer : tout le monde n’est pas Einstein. Par conséquent, si l’on s’engage, on ne peut et on ne doit pas parler en tant qu’expert. Rappelons que dans les urnes notre vote ne vaut pas plus que celui des autres ; il s’agit donc de convaincre, et non de dominer, car nous ne sommes que de simples citoyens. Il faut absolument que nous n’apparaissions pas comme des élites, il existe une révolte contre les élites (voir les récents votes dans le monde…), c’est un des enjeux des prochaines années.

Travaillant dans les risques j’ai souvent été sollicité, mais ce n’est que rarement le cas désormais. Souvent il ne s’agit pas d’engagement ; il s’agit d’expliquer ce qui s’est passé. Mais souvent je me censure, je restreins ma critique de l’état ; mais elle est sous-jacente et c’est là qu’au fond je ne respecte pas complètement mes idées….

Voilà…