Narratologie postcoloniale

Par Jan Alber

Traduit de l’anglais par Raphaël Baroni

Les narratologues postcoloniaux s’intéressent au lien entre les stratégies narratives et l’idéologie du colonialisme et en particulier à la question de savoir si les techniques narratives et le récit dans son ensemble reproduisent ou critiquent les postulats de la pensée colonialiste, qui fonctionne sur la base d’oppositions binaires (telles que civilisé vs barbare, sophistiqué vs primitif, culture vs nature, supérieur vs inférieur) pour justifier le fait de prendre le contrôle d’autres pays. Ce domaine de recherche recoupe en partie les travaux menés en France dans le domaine de la socio-critique d’inspiration marxiste (cf. Duchet 1971), mais il se développe dans un contexte différent, qui est celui de l’essor de la narratologie critique à partir des années 1980. Dans cette approche, la question de savoir où se situent les récits et quel type de pensée ils favorisent est primordiale : un récit colonialiste prône la domination sur les territoires d’autres peuples ; dans un récit néocolonialiste, « les anciens maîtres continuent d’agir de manière colonialiste à l’égard des États anciennement colonisés » (Young 2001 : 45) ; un récit postcolonial tente au contraire de dépasser « les récits et les idéologies propres au colonialisme » (Williams 2005 : 451) ; et un récit décolonial implique « une lutte actuelle pour combattre l’héritage colonial, c’est-à-dire la forme de pensée introduite […] dans les années 1500, dans laquelle les identités et les savoirs européens en sont venus à être considérés comme supérieurs à tous les autres » (Arias 2018 : 2). 

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Expérientialité / Experientiality

Marco Caracciolo

Traduit de l’anglais par Raphaël Baroni[1]


Le terme « expérientialité » a été introduit par Monika Fludernik, qui l’a défini comme « l’évocation quasi-mimétique de l’expérience de la vie réelle » (1996 : 12). L’expérientialité fait référence à la manière dont la narration exploite la familiarité des lecteurs avec l’expérience en activant des paramètres cognitifs « naturels » (voir Fludernik 2003), c’est-à-dire des structures de base de l’engagement humain avec le monde qui comblent le fossé entre l’expérience réelle et les représentations narratives de l’expérience. Nous pouvons regrouper ces paramètres dans quatre catégories : l’incarnation (embodiment), l’intentionnalité, la temporalité et l’évaluation. Ces catégories se retrouvent sous une forme de prototypique dans les récits « naturels » (c’est-à-dire conversationnels), où un narrateur ou une narratrice relate une expérience passée en transmettant sa propre manière d’appréhender corporellement et émotionnellement les actions qui se déroulent dans le temps. Cette situation narrative « naturelle », où l’expérienceur et le narrateur coïncident, constitue le fondement du modèle narratologique de Fludernik.

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Discours et style / Discourse and Style

Par Dan Shen

Traduit de l’anglais par Gaspard Turin & Raphaël Baroni

À première vue, la distinction narratologique entre l’histoire et le discours semble correspondre à la distinction stylistique entre le contenu et le style. Le discours fait référence à la manière dont l’histoire est racontée, le style renvoie à la manière dont le contenu est présenté. En d’autres termes, discours et style semblent interchangeables, l’un comme l’autre faisant référence au niveau de présentation par opposition à celui du contenu. Mais en réalité, le discours de la narratologie et le style de la stylistique ont une portée très différente et ne se chevauchent que de façon limitée (Shen 2025 ; voir aussi Shen 2005, 2023a [2014]).

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Récit en bande dessinée

par Jan Baetens

Le succès commercial, soutenu et durable, de la bande dessinée, la pléthore d’adaptations de textes tant fictionnels que non fictionnels, la place de plus en plus nette de la bande dessinée dans l’exploration transmédiale des contenus médiatiques, la « littérarisation » de ce genre d’histoires qui émergent peu à peu comme média indépendant (le « neuvième art »), ainsi que l’institutionnalisation de toutes ces pratiques au sein de la recherche et de l’enseignement universitaires, expliquent l’intérêt grandissant de la narratologie pour la bande dessinée – terme générique que le français continue à préférer aux variations anglophones sur le concept de « récit graphique », terme qui permet de mettre en sourdine l’opposition peut-être fallacieuse entre « comics » et « roman graphique[1] ».

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Narrativité de l’image fixe isolée

Par Jan Baetens

S’il est vrai qu’« innombrables sont les récits du monde », y compris dans le domaine de l’image fixe, et qu’il n’y a « nulle part aucun peuple sans récit » (Barthes 1966 : 1), cette omniprésence est sans doute liée à la pulsion narrative de l’être humain. Aptitude à tout narrativiser que semble résumer la maxime « every picture tells a story », mais qui pose tout de suite la question fondamentale : est-ce l’image qui raconte ou, au contraire, le spectateur qui, en partant de certaines propriétés de l’image, la convertit en narration ?

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Fictions multiverselles, Fictions multiversions (appel à contribution)

N.B. : Cet ouvrage prendra la suite des journées d’étude organisées sous le même titre par le Pôle de narratologie transmédiale, transculturelle et transhistorique (NaTrans) à La Grange, le Centre Arts et Sciences de l’Université de Lausanne. Ces journées ont eu lieu les 3 et 4 octobre 2024 dans le cadre d’une semaine de programmation artistique et scientifique intitulée La Mixtape du Multivers.

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Héros/Héroïnes. Pouvoir(s) d’agir (annonce de cours)

Séminaire « Recherches contemporaines en narratologie » 2024/2025 du Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS/EHESS)

Co-organisateurs du séminaire : Olivier Caïra (IUT Evry et EHESS), Thomas Conrad (ENS, Paris), Anne Duprat (Université de Picardie-Jules Vernes/IUF), Anaïs Goudmand (Sorbonne Université), John Pier (Université de Tours et CRAL), Philippe Roussin (CRAL/CNRS)

Site du séminaire : http://narratologie.ehess.fr/

Le séminaire se réunit tous les quinze jours, les 1er, 3e et 5e mardi du mois, de 16h à 18h, à l’École Normale Supérieure, 45, rue d’Ulm, 75005 Paris, France, Salle Celan.

Le séminaire se déroulera en mode hybride (présentiel + distanciel). Pour accéder au distanciel par ce lien Zoom : https://us02web.zoom.us/j/82482362974?pwd=Evak6Ib9yLzX2A0b1atmPYjqOYqB0l.1

En mettant cette année l’héroïsme au centre de nos réflexions, nous partageons la conviction que le terme a aujourd’hui une actualité et une vitalité dans tous les secteurs de la création narrative, contrairement à ce que le motif de la “fin de l’héroïsme” pourrait laisser penser. De quoi justifier de porter sur la notion un regard narratologique – à la fois formel, historique, et critique, puisque les héros et héroïnes sont le lieu où le récit articule les événements et les valeurs, la capacité à agir de certains personnages exceptionnels et leurs raisons d’agir renvoyant à des normes communes.

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Fictions multiverselles, fictions multiversions (journées d’étude)

Fictions multiverselles, fictions multiversions. Pour une poétique des mondes fictionnels parallèles

Journées d’étude organisées par le Pôle de narratologie transmédiale (NaTrans) de l’Université de Lausanne, dans le cadre du Festival du Multivers de La Grange – Centre / Arts et Sciences / UNIL. Foyer de La Grange, campus de Dorigny, Université de Lausanne, du 3 au 4 octobre 2024

Ces journées proposent de réfléchir à deux phénomènes narratifs distincts, qui cependant – c’est le pari que nous voulons tenter – peuvent être pensés ensemble et gagnent à l’être : d’une part les fictions multiverselles, dont le monde représenté consiste en plusieurs univers ou dimensions parallèles, p.ex. la trilogie romanesque His Dark Materials (À la croisée des mondes, 1995-2000) de Philip Pullman ou le film Everything Everywhere All At Once (Tout, partout, tout à la fois, 2022) de Dan Kwan et Daniel Scheinert ; d’autre part les fictions multiversions, qui ne représentent aucun multivers et ne ressortissent que parfois aux genres de l’imaginaire (fantasy, science-fiction), mais consistent en plusieurs versions différentes et successives d’un même récit, p.ex. le film Lola rennt (Cours, Lola, cours, 1998) de Tom Tykwer, voire les récits interactifs du type « Livre dont vous êtes le héros ». On pourrait encore ajouter à ce dernier ensemble les œuvres suggérant plus ou moins explicitement la possibilité d’autres versions (sans toutefois les réaliser) ou existant de facto en plusieurs versions concurrentes en raison d’une adaptation ultérieure interventionniste ou d’une récriture : sans faire œuvre de la coexistence ou de la concurrence entre plusieurs versions d’un même récit, elles y font écho ou se confrontent incidemment à ce phénomène.

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 Récit et modèles computationnels (appel à contribution)

La 8ème édition du workshop «Computational Models of Narrative» aura lieu à Genève en mai 2025. Un événement exceptionnel, puisque l’édition précédente se déroulait à Cracovie… il y a 8 ans. Plus que jamais, à l’heure de la prolifération des récits, qui plus est générés informatiquement, il nous a semblé essentiel de rappeler et souligner le rôle structurant de l’informatique dans la compréhension du récit, au travers de l’étude de modèles computationnels, qu’ils soient ou non implémentés. Si cette approche fortement interdisciplinaire vous parle, nous vous invitons à soumettre un article à ce workshop, d’ici la mi-janvier. Ci-dessous le «Call for paper», en anglais.

8th International Workshop on Computational Models of Narrative (CMN’25)

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Variantes. La déclinaison des possibles comme objet de la recherche (annonce de parution)

Le colloque international « Variantes », organisé dans le cadre du programme doctoral « Dispositifs de vision : cinéma, photographie et autres médias » de la Section d’histoire et esthétique du cinéma de la Faculté des lettres de l’UNIL par Anne Besson (Université d’Artois), Alain Boillat (Université de Lausanne) et Matthieu Letourneux (Université Paris Nanterre), s’est tenu à l’UNIL les 27 et 28 septembre 2023, avec un prolongement « national » de présentation par Alain Boillat, Jeanne Modoux et Achilleas Papakonstantis des archives de la Cinémathèque suisse à Penthaz le 29 septembre. Il s’est inscrit dans l’axe « Fictions médiatiques » autour duquel se noue le partenariat entre les trois universités et qui a été initié les 9 et 10 septembre 2021 à l’Université d’Artois à l’occasion du colloque « Cultures populaires et cultures savantes : frontières de la légitimité ».

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