Modèle rhétorique des publics / Rhetorical Model of Audiences

Par James Phelan

Traduit de l’anglais par Raphaël Baroni

La finesse du modèle élaboré par la narratologie rhétorique pour décrire les publics se comprend plus facilement si on le replace dans un contexte plus large. Dans sa conception rhétorique du récit, James Phelan propose la définition de base suivante : « quelqu’un raconte à quelqu’un d’autre, à une occasion et dans un ou des buts donnés, que quelque chose est arrivé » (2018 : 48 ; voir aussi 1996). Cette définition oriente l’interprétation sur la manière dont la personne qui raconte utilise les ressources du récit (ses éléments fondamentaux étant l’intrigue, le personnage, la perspective, le temps et l’espace) afin de produire certains effets sur quelqu’un d’autre. Pour analyser ces effets, les chercheurs qui adoptent une perspective rhétorique se sont intéressés à différentes couches de la communication, en particulier aux couches affective, éthique, cognitive et thématique, afin de construire une représentation plausible de l’expérience de lecture. Lire la suite

Relatabilité / Relatability

Par Jan Baetens

On appelle relatable (le mot est un pur calque de l’anglais, le terme étant proprement intraduisible de manière littérale[1]) une personne, une situation ou un récit auquel on peut s’identifier, dont on se sent proche. Jusqu’à présent, le caractère de relatabilité n’a guère été pris en considération par les narratologies, en dépit de l’importance capitale de cette catégorie dans la création et, surtout, dans le succès ou l’échec des séries télévisées et, sans doute, de la littérature populaire en général, où le rapport personnel entre public réel et personnage fictif joue toujours un rôle de premier plan. Lire la suite

Small Stories / Small Stories

Par Alexandra Georgakopoulou et Sylvie Patron

Le concept de small stories (« petites histoires », « petits récits », « micro-récits », aucune traduction n’est vraiment adéquate) a été introduit dans la discussion scientifique par Michael Bamberg et Alexandra Georgakopoulou (voir Bamberg 2004, 2007 [2006]; Georgakopoulou 2006a, 2007 [2006b], 2007; Bamberg et Georgakopoulou 2008). Il désigne « un ensemble d’activités narratives sous-représentées, comme les récits d’événements en cours, d’événements futurs et hypothétiques, d’événements partagés (connus), mais aussi les allusions à des récits, les récits différés ou encore les refus de raconter » (Georgakopoulou 2007 [2006b]: 122; 2007: vii; Bamberg & Georgakopoulou 2008: 381). Ces activités narratives sont sous-représentées ou ne sont pas considérées comme des récits dans l’analyse narrative traditionnelle héritée des travaux de William Labov et dans tous les travaux sur les récits de vie basés sur des entretiens de recherche. Le but de la small stories research est de déplacer l’attention, auparavant centrée sur les récits de soi, récits longs, pris en charge par un narrateur unique, consacrés à des événements passés non partagés, vers les récits souvent courts et fragmentés que l’on trouve dans les environnements interactionnels de tous les jours, et particulièrement aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Les small stories se distinguent des big stories par leur contenu, peu développé et en apparence anodin, relevant de l’expérience quotidienne, mais aussi par leur structure: elles ne remplissent pas toujours les critères textuels identifiés pour le récit, peuvent porter non sur des événements passés mais sur des événements en cours ou situés dans un futur proche, contiennent généralement une action ou une « complication » minimales, sont co-construites par les participants (les interactions entre participants étant parfois plus importantes que les événements rapportés). Elles peuvent se dérouler dans des lieux et des contextes différents et ont un caractère incomplet et fragmentaire si on les analyse dans le cadre d’un seul événement de parole. Lire la suite

Progression cachée / Covert Progression

Par Dan Shen

Traduit de l’anglais par Raphaël Baroni

Au cours du nouveau siècle, l’attention critique croissante portée à la progression narrative a beaucoup enrichi la compréhension des rouages de l’intrigue et de la réponse complexe qu’elle suscite chez les lecteurs (Phelan 2007, 2017; Baroni & Revaz 2016; Toolan 2009). Mais dans de nombreux récits de fiction, derrière le développement de l’intrigue, il existe une puissante dynamique qui se manifeste à un niveau plus profond, tout au long du texte. Ce courant sous-jacent, parallèle au développement de l’intrigue, forme ce que Shen désigne comme une progression cachée (Shen 2013, 2016 [2014]). La progression cachée et le développement de l’intrigue constituent une double trajectoire de signification, véhiculant des significations thématiques, des représentations des personnages et des valeurs esthétiques différentes, suscitant ou ayant le potentiel de susciter des réactions contrastées, voire opposées, de la part des lecteurs (Shen 2015; 2018a). Lire la suite

Auteur implicite / Implied Author

Par Dan Shen

Traduit de l’anglais par Raphaël Baroni

Le terme auteur implicite (parfois traduit « auteur impliqué ») a été introduit par Wayne C. Booth dans The Rhetoric of Fiction (1961, voir aussi Booth 2005; 1977) et il est devenu courant dans les cercles internationaux de la narratologie (Nünning 2005; 2017; Baroni 2009; Couturier 1995; Phelan 2005: 38-49; 2017; Kindt & Müller 2006; Schmid 2014). Pour saisir l’essence du concept, il faut comprendre ce que le terme « créer » signifie dans l’affirmation de Booth selon laquelle l’ »auteur réel » crée l' »auteur implicite »: Lire la suite

Narrateur non fiable / Unreliable Narrator

Par Frank Wagner

La notion de « narrateur non fiable » recouvre les divers cas de figure où, face à un récit de fiction, le lecteur est conduit à douter du bien-fondé de la confiance qu’il est a priori censé éprouver à l’égard de l’instance narrative. Le premier à l’avoir théorisée, dans une perspective rhétorique, est Wayne Clayton Booth (1961 ; 1977). Dans ses travaux, la question apparaît en fait comme un simple corollaire de réflexions plus générales sur l’auteur implicite (« implied author »), qu’il présente comme un « second moi » de l’auteur réel, avec lequel dialogue le lecteur. Lire la suite

Théories poétiques de la narration / Poetic Theories of Narration

Par Sylvie Patron

Sous le terme « théories poétiques de la narration », on regroupe les théories d’Ann Banfield (1995 [1982]; 2019) et de S.-Y. Kuroda (2012), deux linguistes formés à l’école de la grammaire générative de Noam Chomsky et dont les travaux se sont développés de manière coordonnée. On peut leur associer rétrospectivement la théorie de Käte Hamburger (1986 [1957, 1968]), qui constitue une référence majeure pour les deux premiers. Le terme « théorie poétique de la narration » est dû à Kuroda (1975: 284, 292; voir aussi 2012: 121, 132, 148, 173). Il s’oppose en contexte à « théorie communicationnelle de la narration » (ou à ses synonymes, « théorie narratrice » ou « narratoriale » de la narration, en anglais narrator theory of narration). Lire la suite

Narratologie non naturelle / Unnatural Narratology

Par Brian Richardson

Traduit de l’anglais par Raphaël Baroni

La narratologie non naturelle est l’étude et la théorie des éléments et stratégies anti-mimétiques dans la fiction narrative. Selon la définition la plus répandue, le non-naturel est constitué d’événements, de personnages, de décors ou d’actes narratifs qui sont anti-mimétiques, c’est-à-dire qui défient les présupposés des récits non fictifs et les pratiques du réalisme (dont le modèle est fondé sur les récits non fictifs). Lire la suite

Narratologie transmédiale / Transmedial Narratology

Par Anaïs Goudmand et Raphaël Baroni

On assiste depuis quelques années à une multiplication des travaux programmatiques consacrés à la notion de narratologie transmédiale (voir Thon 2016; Baroni 2017; Ryan 2018). Cependant, ainsi que le souligne Jan-Noël Thon, l’usage de l’adjectif transmédial varie selon les chercheurs. Au sens large, qui est le plus couramment utilisé mais qui est aussi le plus vague, la narratologie transmédiale désigne l’étude des « pratiques narratives dans différents médias » (Herman 2009: 194, n. t.). Lire la suite

Monde narratif / Storyworld

Par Anaïs Goudmand

L’expression “monde narratif” est une traduction du terme “storyworld”, issu de la narratologie cognitive. Cette notion reprend partiellement l’approche binaire du récit développée par les théories formelles du récit (division fabula/sujet chez les formalistes russes, histoire/discours ou histoire/récit chez leurs héritiers structuralistes, sur le modèle  de l’opposition signifiant/signifié), mais tente de dépasser ses limites et incomplétudes en s’émancipant de la théorie bipartite du signe de la linguistique saussurienne, qui tendait à évacuer la question de la référentialité (voir Herman 2018, Pier 2018). Lire la suite