Infolettre no 21, mars 2021

Aménagement du territoire, protection de la nature, droit de l’énergie

La sélection de jurisprudence du mois de MARS 2021 du Tribunal fédéral et du Tribunal administratif fédéral est disponible sur le site du CEDEAT.

Pour ce mois, 9 arrêts ont retenu notre attention. Ils traitent notamment du droit à l’électricité dans une affaire genevoise, de la participation du public dans le cadre de la révision du plan directeur cantonal ou de l’application directe de la protection des biotopes.

L’ensemble des Infolettres se trouve sur le site du CEDEAT de l’Université de Lausanne : https://www.unil.ch/droitpublic/home/menuinst/recherche/cedeat/newsletters.html

Une installation en zone agricole est contraire aux buts de protection des batraciens

TF 1C_604/2018 du 16 avril 2020

Arrêt destiné à la publication aux ATF

A Kloten (ZH), A. exploite sans autorisation une station de collecte et de recyclage. Il obtient une autorisation de bâtir pour l’extension, la transformation et le changement d’affectation de bâtiments à usage commercial d’une ancienne carrière située en zone agricole. La décision a fait l’objet d’un recours de Pro Natura, admis par la Cour zurichoise en matière de constructions ; l’affaire est renvoyée afin d’approfondir le dossier s’agissant de la protection d’un biotope à batraciens. Un objet de l’inventaire fédéral des sites de reproduction des batraciens d’importance n’a pas suffisamment été pris en compte. Le Tribunal cantonal puis le Tribunal fédéral rejettent le recours de A. La Cour fédérale renonce toutefois à renvoyer l’affaire en première instance ; elle procède immédiatement à l’examen de l’admissibilité du projet au regard des exigences de protection d’une biotope inscrit à l’inventaire des sites de reproduction des batraciens d’importance nationale.

(4) Application des articles 37a LAT et 43 OAT

Dès lors qu’une autorisation de construire est nécessaire, il s’agit d’examiner si celle-ci peut être admise. Le Tribunal fédérale envisage l’application des articles 37a LAT et 43 OAT à propos des constructions et installations à usage commercial sises hors zone à bâtir et non conformes à l’affectation de la zone. Ces dispositions priment, dans leur champ d’application, les articles 24a LAT et 42 OAT.

L’article 43 al. 1 OAT pose certaines conditions au changement d’affectation et à l’agrandissement d’installations contraires à l’affectation de la zone, en particulier aucun nouvel impact sur l’environnement ne doit survenir et la nouvelle utilisation ne doit pas être contraire à une autre loi fédérale. En outre, l’article 43a OAT impose une pesée des intérêts (lit. e).

En l’espèce, la zone de Gwärfi est inscrite dans l’inventaire fédéral des sites de reproduction des batraciens d’importance nationale (objet fixe no ZH506 « Lehmgrube beim Gwerfihölzli » à l’annexe 1 de l’OBat). Certaines parties du sites font également partie d’un inventaire de la protection de la nature et du paysage du canton de Zurich (datant de 1980). Il apparaît que les installations litigieuses sont entièrement incluses dans le secteur A de protection – autrement dit le plan d’eau de reproduction et des surfaces naturelles et quasi naturelles attenantes (art. 2 OBat).

Jusqu’à présent, le Canton de ZH n’a pris aucune mesure afin de délimiter précisément le périmètre de protection, ni pris de mesures d’entretien comme l’exige l’OBat (délai de 7 ans dès l’inscription de l’objet à l’inventaire, selon l’art. 9 OBat). A ce propos, l’article 10 OBat prévoit « que les cantons n’ont pas pris de mesures de protection et d’entretien, ils veillent, par des mesures immédiates appropriées, à ce que l’état des objets fixes ne se détériore pas et à ce que la fonctionnalité des objets itinérants soit conservée » ; l’article 11 OBat ajoute que les « cantons veillent, chaque fois que l’occasion se présente, à ce que les atteintes déjà portées à l’objet soient réparées dans la mesure du possible ».

Dès lors que les installations sont situées dans le périmètre de l’objet protégé tel que défini par la Confédération, même en l’absence de délimitation précise par le canton, il est possible d’examiner sir le projet est compatible avec les objectifs de protection de l’article 6 OBat. En outre, le définit d’entretien par le canton qui n’a jusqu’à présent rien entrepris afin de préserver le biotope est considéré comme une lacune grave ; selon l’OFEV, Il est important d’éviter un nouveau déclin de la qualité du biotope d’importance nationale, avec le risque conséquent de disparition des espèces d’amphibiens rares et très menacées pour lesquelles la zone inventoriée est vitale pour la survie.

Le Tribunal fédéral considère par conséquent que pour préserver le biotope conformément aux objectifs de protection et prévenir tout atteinte à l’objet protégé, il convient de procéder immédiatement à l’examen de l’admissibilité du projet compte tenu des exigences de protection de l’OBat. Attendre que le canton définisse les limites exactes ne serait qu’une perte de temps et irait à l’encontre d’un besoin d’action immédiat ; cela ne remet pas en cause la nécessité pour le canton de définir les limites exactes et les mesures de protection adéquates.

Il convient alors de renoncer, comme le prétend l’instance inférieure, à renvoyer le dossier en première instance pour compléter l’instruction ou attendre la délimitation par le canton.

(5) Conformité du projet à l’article 6 OBat

Le Tribunal fédéral examine si l’installation de recyclage n’est pas en conflit avec des intérêts prépondérants – si elle est compatible avec les objectifs de protection de l’article 6 OBat (ce qui a été mis en doute par l’instance inférieure dans la décision attaquée).

Le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que le projet d’installation de recyclage n’est pas compatible avec la protection du biotope de reproduction des batraciens ; l’autorisation de construire dérogatoire au sens de l’article 37a LAT et 43 OAT doit ainsi être refusée. Le changement d’affectation est contraire aux intérêts supérieurs de la conservation de la nature au sens de l’article 43a lit. e OAT.

Bien plus, la poursuite de l’exploitation en tant qu’installation de recyclage est contraire à la loi fédérale et n’est pas (plus) justifiable, compte tenu également des dommages ou de la dégradation déjà causés à la zone de reproduction des batraciens. Aucun motif dérogatoire au sens de l’article 7 OBat n’est applicable en l’espèce : une installation de recyclage n’est pas imposée par sa destination en dehors de la zone à bâtir et doit être réalisée dans la zone constructible.

Compte tenu de ce qui précède, il appartient à l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation de construire de prononcer les mesures de rétablissement de la situation conforme au droit.

Ce résumé sera publié dans la Newsletter no 12, du mois de juin, de la CEDEAT

Obligation de démolir une construction illégale, un délai de 30 ans s’applique en principe.

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le rétablissement de la situation conforme au droit, autrement dit la démolition de constructions érigées illégalement entre 1986 et 2014 à St-Niklaus (VS). Il est notamment revenu sur l’application du délai de prescription de 30 ans découlant de sa propre jurisprudence. 

(c. 1) En vertu de l’art. 89 al. 2 lit. d LTF, les autorités auxquelles une autre loi fédérale accorde un droit de recours spécial ont qualité pour agir. L’art. 34 al. 2 lit. c LAT confère un tel droit aux cantons et communes contre les décision en matière d’autorisation de construire au sens des art. 24 à 24d et 37a LAT. Ce droit s’étend à la décision de refus d’une dérogation ou l’ordre de rétablir la situation conforme au droit des bâtiments qui ne sont pas conformes à la zone ou à l’art. 24 LAT. Sauf dispositions contraires du droit cantonal, le droit de recours au Tribunal fédéral au nom du canton est dévolu au gouvernement en tant qu’autorité exécutive suprême représentant le canton à l’extérieur.

(c. 2) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le droit d’exiger le rétablissement de la situation conforme au droit s’éteint en principe au bout de 30 ans (principe de la sécurité du droit). Ce délai s’applique tant à la démolition d’un bâtiment dans et hors de la zone à bâtir. En particulier, hors de la zone à bâtir, ce délai s’applique même si le droit cantonal prévoit un délai de prescription plus court ; les cantons ne peuvent pas assouplir le délai de 30 ans dès lors que les constructions situées hors de la zone à bâtir affectent des intérêts fédéraux comme le principe de séparation du bâti et du non bâti.

(c. 3) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il peut être justifié d’exclure le rétablissement de la situation conforme au droit dans un délai plus court que 30 ans notamment lorsque les autorités ont toléré la construction illégale pendant des années, alors qu’elles étaient conscientes de l’illégalité ou auraient dû en être conscientes si elles avaient fait preuve de la diligence requise. L’ordre de démolition violerait dans ce cas la protection de la confiance de l’art. 9 Cst. Cette disposition ne peut être toutefois invoquée que par une personne qui a elle-même agi de bonne foi, c’est-à-dire qui a supposé ou a été autorisée à supposer (avec une diligence raisonnable) que le bâtiment qu’elle a construit était légal ou conforme au permis de construire.

Tribunal fédéral 1C_99/2019 du 17 avril 2020.

La prévention du mitage du territoire concerne également les constructions agricoles

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la construction d’une installation de stabulation libre et une habitation individuelle à Corminboeuf (FR), hors de la zone à bâtir. Pour la Cour fédérale, bien que certaines constructions à vocation agricole puissent être érigées dans la zone agricole, il ne s’agit que d’exceptions au principe de non constructibilité qui prévaut dans ce type de zone. Elles ne doivent être accordées que de manière restrictive – au terme d’une pesée soigneuse des intérêts – dans la mesure où elles contribuent au mitage du territoire.

Le régime ordinaire de l’autorisation de construire formulé à l’art. 22 LAT prévoit qu’une construction ou une installation peut être autorisée lorsqu’elle est conforme à la zone; à défaut, une autorisation de construire peut être exceptionnellement admise sur la base des art. 24 à 24e LAT ou de l’art. 37a LAT. Dans la zone agricole, certaines constructions ou installations peuvent s’avérer conformes à la zone lorsqu’elles satisfont aux situations visées à l’art. 16a LAT – lorsqu’elles « sont nécessaires à l’exploitation agricole ou à l’horticulture productrice ». Cette disposition de la loi fédérale est complétée par l’art. 34 OAT, lequel prévoit qu’une autorisation de construire ne peut être délivrée que si la construction est nécessaire à l’exploitation agricole, si cette exploitation est pérenne et si un intérêt prépondérant ne s’oppose pas à l’implantation de la construction à l’endroit prévu (al. 4).

La pesée des intérêts prévue à l’art. 34 OAT doit se faire à l’aune des buts et principes des art. 1 et 3 LAT, en particulier le but visant à éviter le mitage du territoire. L’art. 16 LAT précise à ce tire que les zones agricoles « devraient être maintenues autant que possible libres de toute construction ». Ce principe doit dicter l’interprétation des dispositions de la LAT; de la sorte, les exceptions légales comme celles de l’art. 16a LAT doivent  être admises de façon restrictive, dès lors que ces exceptions constituent précisément l’une des principales causes du mitage du territoire.

Rappelant une jurisprudence plus ancienne, le Tribunal fédéral précise qu’il s’agit de limiter les constructions nouvelles à celles qui sont réellement indispensables à l’exploitation afin de garantir que la zone agricole demeure une zone non constructible. Cet examen doit être entrepris en fonction de critères objectifs : la surface cultivée, le genre de cultures et de production (dépendante ou indépendante du sol) ou encore la structure, la taille et les besoins de l’exploitation. Pour me moins, compte tenu de l’intérêt public à éviter la dispersion des constructions, les bâtiments et installations doivent être si possible regroupés autant (« Konzentrationsprinzip « ). L’autorité est alors tenue de dresser l’inventaire de l’ensemble des surfaces à disposition de l’exploitation, notamment celles affectées en zone à bâtir afin d’examiner si les installation en cause ne pourraient y prendre place. On ne saurait en effet présumer qu’une zone d’habitation exclut nécessairement toute construction agricole.

On peut en conclure qu’il ne suffit pas qu’une construction ait vocation agricole pour qu’elle puisse être librement érigée en zone agricole. Encore faut-il qu’elle soit, sur la base de motifs objectifs, nécessaire à l’exploitation agricole et qu’il ne soit pas possible de la prévoir en zone constructible. L’autorité est ainsi tenue au premier chef de veiller à éviter le mitage du territoire induit par des constructions en zone agricole, en examinant notamment les possibilités offertes en zone à bâtir. Lorsqu’une construction peut être exceptionnellement admise dans la zone agricole, elle doit en outre éviter la dispersion du bâti en favorisant sa concentration.

Tribunal fédéral 1C_170/2019 du 9 avril 2020.

Détention de chevaux à des fin d’élevage et remise en état des lieux

Dans une affaire vaudoise, en zone agricole, le service cantonal du développement territorial a régularisé l’aménagement d’un rural, d’une plateforme et d’un barbecue situés au bord d’un étang, ainsi que les travaux d’assainissement de l’aire de sortie toutes saisons pour des chevaux. En revanche, le SDT a refusé l’autorisation afin de régulariser l’agrandissement de 66 m2 de l’aire de sortie toutes saisons en question ainsi que deux candélabres. L’office fédéral du développement territorial a recouru à l’encontre du jugement de la CDAP. Le recours est admis partiellement par le Tribunal fédéral.

Dans un premier grief, le Tribunal fédéral examine, à l’aune de l’art. 24c LAT, la régularisation de la plateforme construite sur l’étang et du barbecue fixe (c. 5). La Cour constate que les possibilités de transformation au sens de l’art. 24c LAT ont été déjà largement épuisées. Au demeurant, les aménagements litigieux ne remplissent pas les exigences de l’art. 24c al. 4  LAT en matière de modifications extérieures.

L’arrêt du Tribunal fédéral porte principalement sur le régime applicable, en matière d’aménagement du territoire et de police des constructions, à la détention de chevaux (c. 6). En substance, il établit les circonstances dans lesquelles des constructions liées à une telle détention sont possibles dans la zone agricole. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :

  • Conformément à l’art. 16abis LAT, les « constructions et installations nécessaires à la détention de chevaux sont conformes à l’affectation de la zone et autorisées dans une entreprise agricole« .
  • Selon le législateur, la détention de chevaux à des fins commerciales n’a en revanche sa place qu’en zone à bâtir ou dans une zone spéciale au sens de l’art. 18  LAT. 
  • L’art. 24e LAT prévoit l’octroi d’autorisations de construire exceptionnelles dans la zone agricole à des fins de « Détention d’animaux à titre de loisir« par des non-agriculteurs.

Dans le cas d’espèce, la détention de chevaux se fait à des fins d’élevage. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une activité dans une entreprise agricole; l’art. 16abis LAT  ne trouve ainsi pas application. L’élevage de chevaux ne peut être considéré comme une activité de loisir; il s’agit d’un autre motif de détention qui conduit à écarter le régime dérogatoire de l’art. 24e LAT. Par conséquent, l’élevage de chevaux ne peut être entrepris en zone agricole s’il n’est pas intégré à une entreprise agricole.

Dans un ultime considérant (c. 7), le Tribunal fédéral examine la question du rétablissement de la situation conforme au droit dès lors que les constructions litigieuses en zone agricole ne peuvent être régularisées. Le Tribunal fédéral rappelle alors qu’en principe les constructions érigées sans droit dans la zone agricole doivent être supprimées, à moins qu’à titre exceptionnel il puisse y être renoncé en vertu des principes généraux du droit public. La cause est renvoyée à la CDAP afin qu’elle examine cette question. 

Tribunal fédéral 1C_76/2019 du 28 février 2020.

Un résumé plus complet, avec une note, est disponible sur le site du CEDEAT (Newsletter 10)