Une installation en zone agricole est contraire aux buts de protection des batraciens

TF 1C_604/2018 du 16 avril 2020

Arrêt destiné à la publication aux ATF

A Kloten (ZH), A. exploite sans autorisation une station de collecte et de recyclage. Il obtient une autorisation de bâtir pour l’extension, la transformation et le changement d’affectation de bâtiments à usage commercial d’une ancienne carrière située en zone agricole. La décision a fait l’objet d’un recours de Pro Natura, admis par la Cour zurichoise en matière de constructions ; l’affaire est renvoyée afin d’approfondir le dossier s’agissant de la protection d’un biotope à batraciens. Un objet de l’inventaire fédéral des sites de reproduction des batraciens d’importance n’a pas suffisamment été pris en compte. Le Tribunal cantonal puis le Tribunal fédéral rejettent le recours de A. La Cour fédérale renonce toutefois à renvoyer l’affaire en première instance ; elle procède immédiatement à l’examen de l’admissibilité du projet au regard des exigences de protection d’une biotope inscrit à l’inventaire des sites de reproduction des batraciens d’importance nationale.

(4) Application des articles 37a LAT et 43 OAT

Dès lors qu’une autorisation de construire est nécessaire, il s’agit d’examiner si celle-ci peut être admise. Le Tribunal fédérale envisage l’application des articles 37a LAT et 43 OAT à propos des constructions et installations à usage commercial sises hors zone à bâtir et non conformes à l’affectation de la zone. Ces dispositions priment, dans leur champ d’application, les articles 24a LAT et 42 OAT.

L’article 43 al. 1 OAT pose certaines conditions au changement d’affectation et à l’agrandissement d’installations contraires à l’affectation de la zone, en particulier aucun nouvel impact sur l’environnement ne doit survenir et la nouvelle utilisation ne doit pas être contraire à une autre loi fédérale. En outre, l’article 43a OAT impose une pesée des intérêts (lit. e).

En l’espèce, la zone de Gwärfi est inscrite dans l’inventaire fédéral des sites de reproduction des batraciens d’importance nationale (objet fixe no ZH506 « Lehmgrube beim Gwerfihölzli » à l’annexe 1 de l’OBat). Certaines parties du sites font également partie d’un inventaire de la protection de la nature et du paysage du canton de Zurich (datant de 1980). Il apparaît que les installations litigieuses sont entièrement incluses dans le secteur A de protection – autrement dit le plan d’eau de reproduction et des surfaces naturelles et quasi naturelles attenantes (art. 2 OBat).

Jusqu’à présent, le Canton de ZH n’a pris aucune mesure afin de délimiter précisément le périmètre de protection, ni pris de mesures d’entretien comme l’exige l’OBat (délai de 7 ans dès l’inscription de l’objet à l’inventaire, selon l’art. 9 OBat). A ce propos, l’article 10 OBat prévoit « que les cantons n’ont pas pris de mesures de protection et d’entretien, ils veillent, par des mesures immédiates appropriées, à ce que l’état des objets fixes ne se détériore pas et à ce que la fonctionnalité des objets itinérants soit conservée » ; l’article 11 OBat ajoute que les « cantons veillent, chaque fois que l’occasion se présente, à ce que les atteintes déjà portées à l’objet soient réparées dans la mesure du possible ».

Dès lors que les installations sont situées dans le périmètre de l’objet protégé tel que défini par la Confédération, même en l’absence de délimitation précise par le canton, il est possible d’examiner sir le projet est compatible avec les objectifs de protection de l’article 6 OBat. En outre, le définit d’entretien par le canton qui n’a jusqu’à présent rien entrepris afin de préserver le biotope est considéré comme une lacune grave ; selon l’OFEV, Il est important d’éviter un nouveau déclin de la qualité du biotope d’importance nationale, avec le risque conséquent de disparition des espèces d’amphibiens rares et très menacées pour lesquelles la zone inventoriée est vitale pour la survie.

Le Tribunal fédéral considère par conséquent que pour préserver le biotope conformément aux objectifs de protection et prévenir tout atteinte à l’objet protégé, il convient de procéder immédiatement à l’examen de l’admissibilité du projet compte tenu des exigences de protection de l’OBat. Attendre que le canton définisse les limites exactes ne serait qu’une perte de temps et irait à l’encontre d’un besoin d’action immédiat ; cela ne remet pas en cause la nécessité pour le canton de définir les limites exactes et les mesures de protection adéquates.

Il convient alors de renoncer, comme le prétend l’instance inférieure, à renvoyer le dossier en première instance pour compléter l’instruction ou attendre la délimitation par le canton.

(5) Conformité du projet à l’article 6 OBat

Le Tribunal fédéral examine si l’installation de recyclage n’est pas en conflit avec des intérêts prépondérants – si elle est compatible avec les objectifs de protection de l’article 6 OBat (ce qui a été mis en doute par l’instance inférieure dans la décision attaquée).

Le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que le projet d’installation de recyclage n’est pas compatible avec la protection du biotope de reproduction des batraciens ; l’autorisation de construire dérogatoire au sens de l’article 37a LAT et 43 OAT doit ainsi être refusée. Le changement d’affectation est contraire aux intérêts supérieurs de la conservation de la nature au sens de l’article 43a lit. e OAT.

Bien plus, la poursuite de l’exploitation en tant qu’installation de recyclage est contraire à la loi fédérale et n’est pas (plus) justifiable, compte tenu également des dommages ou de la dégradation déjà causés à la zone de reproduction des batraciens. Aucun motif dérogatoire au sens de l’article 7 OBat n’est applicable en l’espèce : une installation de recyclage n’est pas imposée par sa destination en dehors de la zone à bâtir et doit être réalisée dans la zone constructible.

Compte tenu de ce qui précède, il appartient à l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation de construire de prononcer les mesures de rétablissement de la situation conforme au droit.

Ce résumé sera publié dans la Newsletter no 12, du mois de juin, de la CEDEAT

Détention de chevaux à des fin d’élevage et remise en état des lieux

Dans une affaire vaudoise, en zone agricole, le service cantonal du développement territorial a régularisé l’aménagement d’un rural, d’une plateforme et d’un barbecue situés au bord d’un étang, ainsi que les travaux d’assainissement de l’aire de sortie toutes saisons pour des chevaux. En revanche, le SDT a refusé l’autorisation afin de régulariser l’agrandissement de 66 m2 de l’aire de sortie toutes saisons en question ainsi que deux candélabres. L’office fédéral du développement territorial a recouru à l’encontre du jugement de la CDAP. Le recours est admis partiellement par le Tribunal fédéral.

Dans un premier grief, le Tribunal fédéral examine, à l’aune de l’art. 24c LAT, la régularisation de la plateforme construite sur l’étang et du barbecue fixe (c. 5). La Cour constate que les possibilités de transformation au sens de l’art. 24c LAT ont été déjà largement épuisées. Au demeurant, les aménagements litigieux ne remplissent pas les exigences de l’art. 24c al. 4  LAT en matière de modifications extérieures.

L’arrêt du Tribunal fédéral porte principalement sur le régime applicable, en matière d’aménagement du territoire et de police des constructions, à la détention de chevaux (c. 6). En substance, il établit les circonstances dans lesquelles des constructions liées à une telle détention sont possibles dans la zone agricole. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :

  • Conformément à l’art. 16abis LAT, les « constructions et installations nécessaires à la détention de chevaux sont conformes à l’affectation de la zone et autorisées dans une entreprise agricole« .
  • Selon le législateur, la détention de chevaux à des fins commerciales n’a en revanche sa place qu’en zone à bâtir ou dans une zone spéciale au sens de l’art. 18  LAT. 
  • L’art. 24e LAT prévoit l’octroi d’autorisations de construire exceptionnelles dans la zone agricole à des fins de « Détention d’animaux à titre de loisir« par des non-agriculteurs.

Dans le cas d’espèce, la détention de chevaux se fait à des fins d’élevage. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une activité dans une entreprise agricole; l’art. 16abis LAT  ne trouve ainsi pas application. L’élevage de chevaux ne peut être considéré comme une activité de loisir; il s’agit d’un autre motif de détention qui conduit à écarter le régime dérogatoire de l’art. 24e LAT. Par conséquent, l’élevage de chevaux ne peut être entrepris en zone agricole s’il n’est pas intégré à une entreprise agricole.

Dans un ultime considérant (c. 7), le Tribunal fédéral examine la question du rétablissement de la situation conforme au droit dès lors que les constructions litigieuses en zone agricole ne peuvent être régularisées. Le Tribunal fédéral rappelle alors qu’en principe les constructions érigées sans droit dans la zone agricole doivent être supprimées, à moins qu’à titre exceptionnel il puisse y être renoncé en vertu des principes généraux du droit public. La cause est renvoyée à la CDAP afin qu’elle examine cette question. 

Tribunal fédéral 1C_76/2019 du 28 février 2020.

Un résumé plus complet, avec une note, est disponible sur le site du CEDEAT (Newsletter 10)

Conditions générales de l’octroi d’une dérogation en matière de constructions

Le Tribunal fédéral s’est récemment prononcé dans une affaire concernant la construction d’une habitation à toit plat (canton de Soleure). Le règlement communal prévoit un régime général pour l’aménagement des toits en zone résidentielle W3. Ceux-ci doivent être généralement inclinés. Des « exceptions » sont néanmoins possibles; les toitures plates sur les bâtiments principaux et les annexes peuvent être approuvées sur demande, pour autant qu’elles s’intègrent dans l’environnement.

La Cour examine les conditions d’octroi d’une dérogation ou d’une exception (c. 6). Leur but est d’éliminer le durcissement et l’inadéquation évidente d’une norme dans des cas individuels, compte tenu de circonstances particulières auxquelles le législateur ne pouvait s’attendre en établissant la norme générale et abstraite. Dans ces circonstances particulières, l’application stricte de la norme conduirait à un résultat manifestement indésirable.

Selon la jurisprudence, les exceptions ne doivent pas être interprétées de manière restrictive dès le départ, mais selon les méthodes d’interprétation habituelles. L’exception doit servir la loi ou au moins les objectifs poursuivis par la loi. La dérogation doit permettre de trouver une solution qui corresponde à l’intention du législateur si celui-ci avait été confronté au cas particulier. Néanmoins, l’octroi d’une dérogation doit impliquer une situation exceptionnelle et ne peut devenir la règle, faute de quoi l’autorité d’application se substituerait au législateur par sa pratique différente.

Dans le cas d’espèce, le régime dérogatoire permis par le droit cantonal n’enlève rien au fait qu’une dérogation présuppose toujours l’existence d’une situation exceptionnelle. Il appartient alors à l’autorité de vérifier soigneusement s’il existe une telle situation – laquelle s’écarte du cas standard.

Le Tribunal fédéral admet le recours en cela que l’autorité s’est limitée a déclaré qu’un bâtiment dont le toit est plat s’intègre généralement plus à son environnement qu’un bâtiment dont le toit est en pente. Elle n’a pas examiné attentivement s’il existe une situation exceptionnelle qui justifierait ou même forcerait l’octroi d’une dérogation dans le cas d’espèce.

Tribunal fédéral IC_147/2019 du 1.11.2019