Infolettre no 44, Jurisprudence de mars 2023

Aménagement du territoire, protection du patrimoine, droit de l’énergie : une sélection d’arrêts rendus au mois de FEVRIER 2023. 

Dans cette infolettre no 44, 6 arrêts du Tribunal fédéral ont retenu notre attention, qui concernent notamment la protection d’un site ISOS ou la construction de résidences secondaires. Nous y ajoutons deux arrêts de Cour constitutionnelle vaudoise relatifs à des initiatives populaires, ainsi que 14 arrêts du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) concernant notamment le droit applicable à l’abattage d’un arbre – en lien avec l’entrée en vigueur de la nouvelle LPrPNP le 1er janvier 2023.


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L’ensemble des Infolettres se trouve sur le site du CEDEAT de l’Université de Lausanne : https://www.unil.ch/droitpublic/home/menuinst/recherche/cedeat/newsletters.html 

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La prévention du mitage du territoire concerne également les constructions agricoles

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la construction d’une installation de stabulation libre et une habitation individuelle à Corminboeuf (FR), hors de la zone à bâtir. Pour la Cour fédérale, bien que certaines constructions à vocation agricole puissent être érigées dans la zone agricole, il ne s’agit que d’exceptions au principe de non constructibilité qui prévaut dans ce type de zone. Elles ne doivent être accordées que de manière restrictive – au terme d’une pesée soigneuse des intérêts – dans la mesure où elles contribuent au mitage du territoire.

Le régime ordinaire de l’autorisation de construire formulé à l’art. 22 LAT prévoit qu’une construction ou une installation peut être autorisée lorsqu’elle est conforme à la zone; à défaut, une autorisation de construire peut être exceptionnellement admise sur la base des art. 24 à 24e LAT ou de l’art. 37a LAT. Dans la zone agricole, certaines constructions ou installations peuvent s’avérer conformes à la zone lorsqu’elles satisfont aux situations visées à l’art. 16a LAT – lorsqu’elles « sont nécessaires à l’exploitation agricole ou à l’horticulture productrice ». Cette disposition de la loi fédérale est complétée par l’art. 34 OAT, lequel prévoit qu’une autorisation de construire ne peut être délivrée que si la construction est nécessaire à l’exploitation agricole, si cette exploitation est pérenne et si un intérêt prépondérant ne s’oppose pas à l’implantation de la construction à l’endroit prévu (al. 4).

La pesée des intérêts prévue à l’art. 34 OAT doit se faire à l’aune des buts et principes des art. 1 et 3 LAT, en particulier le but visant à éviter le mitage du territoire. L’art. 16 LAT précise à ce tire que les zones agricoles « devraient être maintenues autant que possible libres de toute construction ». Ce principe doit dicter l’interprétation des dispositions de la LAT; de la sorte, les exceptions légales comme celles de l’art. 16a LAT doivent  être admises de façon restrictive, dès lors que ces exceptions constituent précisément l’une des principales causes du mitage du territoire.

Rappelant une jurisprudence plus ancienne, le Tribunal fédéral précise qu’il s’agit de limiter les constructions nouvelles à celles qui sont réellement indispensables à l’exploitation afin de garantir que la zone agricole demeure une zone non constructible. Cet examen doit être entrepris en fonction de critères objectifs : la surface cultivée, le genre de cultures et de production (dépendante ou indépendante du sol) ou encore la structure, la taille et les besoins de l’exploitation. Pour me moins, compte tenu de l’intérêt public à éviter la dispersion des constructions, les bâtiments et installations doivent être si possible regroupés autant (« Konzentrationsprinzip « ). L’autorité est alors tenue de dresser l’inventaire de l’ensemble des surfaces à disposition de l’exploitation, notamment celles affectées en zone à bâtir afin d’examiner si les installation en cause ne pourraient y prendre place. On ne saurait en effet présumer qu’une zone d’habitation exclut nécessairement toute construction agricole.

On peut en conclure qu’il ne suffit pas qu’une construction ait vocation agricole pour qu’elle puisse être librement érigée en zone agricole. Encore faut-il qu’elle soit, sur la base de motifs objectifs, nécessaire à l’exploitation agricole et qu’il ne soit pas possible de la prévoir en zone constructible. L’autorité est ainsi tenue au premier chef de veiller à éviter le mitage du territoire induit par des constructions en zone agricole, en examinant notamment les possibilités offertes en zone à bâtir. Lorsqu’une construction peut être exceptionnellement admise dans la zone agricole, elle doit en outre éviter la dispersion du bâti en favorisant sa concentration.

Tribunal fédéral 1C_170/2019 du 9 avril 2020.

Détention de chevaux à des fin d’élevage et remise en état des lieux

Dans une affaire vaudoise, en zone agricole, le service cantonal du développement territorial a régularisé l’aménagement d’un rural, d’une plateforme et d’un barbecue situés au bord d’un étang, ainsi que les travaux d’assainissement de l’aire de sortie toutes saisons pour des chevaux. En revanche, le SDT a refusé l’autorisation afin de régulariser l’agrandissement de 66 m2 de l’aire de sortie toutes saisons en question ainsi que deux candélabres. L’office fédéral du développement territorial a recouru à l’encontre du jugement de la CDAP. Le recours est admis partiellement par le Tribunal fédéral.

Dans un premier grief, le Tribunal fédéral examine, à l’aune de l’art. 24c LAT, la régularisation de la plateforme construite sur l’étang et du barbecue fixe (c. 5). La Cour constate que les possibilités de transformation au sens de l’art. 24c LAT ont été déjà largement épuisées. Au demeurant, les aménagements litigieux ne remplissent pas les exigences de l’art. 24c al. 4  LAT en matière de modifications extérieures.

L’arrêt du Tribunal fédéral porte principalement sur le régime applicable, en matière d’aménagement du territoire et de police des constructions, à la détention de chevaux (c. 6). En substance, il établit les circonstances dans lesquelles des constructions liées à une telle détention sont possibles dans la zone agricole. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :

  • Conformément à l’art. 16abis LAT, les « constructions et installations nécessaires à la détention de chevaux sont conformes à l’affectation de la zone et autorisées dans une entreprise agricole« .
  • Selon le législateur, la détention de chevaux à des fins commerciales n’a en revanche sa place qu’en zone à bâtir ou dans une zone spéciale au sens de l’art. 18  LAT. 
  • L’art. 24e LAT prévoit l’octroi d’autorisations de construire exceptionnelles dans la zone agricole à des fins de « Détention d’animaux à titre de loisir« par des non-agriculteurs.

Dans le cas d’espèce, la détention de chevaux se fait à des fins d’élevage. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une activité dans une entreprise agricole; l’art. 16abis LAT  ne trouve ainsi pas application. L’élevage de chevaux ne peut être considéré comme une activité de loisir; il s’agit d’un autre motif de détention qui conduit à écarter le régime dérogatoire de l’art. 24e LAT. Par conséquent, l’élevage de chevaux ne peut être entrepris en zone agricole s’il n’est pas intégré à une entreprise agricole.

Dans un ultime considérant (c. 7), le Tribunal fédéral examine la question du rétablissement de la situation conforme au droit dès lors que les constructions litigieuses en zone agricole ne peuvent être régularisées. Le Tribunal fédéral rappelle alors qu’en principe les constructions érigées sans droit dans la zone agricole doivent être supprimées, à moins qu’à titre exceptionnel il puisse y être renoncé en vertu des principes généraux du droit public. La cause est renvoyée à la CDAP afin qu’elle examine cette question. 

Tribunal fédéral 1C_76/2019 du 28 février 2020.

Un résumé plus complet, avec une note, est disponible sur le site du CEDEAT (Newsletter 10)