Par Mélissa Zufferey
La conférence « Prendre le sexe (au sérieux) » a été donné par Maïa Mazaurette lors d’un événement public organisé par le Centre en Etudes Genre (CEG) de l’Université de Lausanne le 21 novembre 2018. Cette dernière, disponible en libre accès sur YouTube, a porté sur les difficultés auxquelles les médias et journalistes se confrontent quand il est question de produire des articles destinés à un large public au sujet de thématiques touchant à la sexualité.
Maïa Mazaurette est une autrice et peintre féministe d’origine française. Ayant écrit des articles pour divers journaux et magazines tels que Playboy, QG, New Look ou encore Le Quotidien, la conférencière produit par ailleurs divers podcasts et livres. L’autrice tient également une chronique hebdomadaire dans le journal Le Monde intitulée « Le sexe selon Maïa » depuis 2015. C’est en particulier sur ce dernier média et les commentaires suscités par cette rubrique qu’a porté la conférence. En effet, l’exposé oral de la chroniqueuse était accompagné d’un support visuel où étaient diffusés des commentaires d’individus publiés sur des réseaux sociaux, plus particulièrement Facebook, réagissant plus ou moins violemment aux chroniques de l’autrice.
Durant sa conférence, l’oratrice aborde en premier lieu les raisons pour lesquelles les chroniques portant sur la sexualité diffusées dans Le Monde sont perçues et commentées de manière négative par les lecteur·ice·s. Tout d’abord, il ressort que le sexe serait un sujet privé, qui ne concernerait que les personnes de manière individuelle et non pas collective. De ce fait, selon les internautes, la sexualité échapperait aux normes et statistiques car celle-ci serait différente d’un individu à l’autre.
Une deuxième raison abordée par l’oratrice trouve ses fondements dans des propos biologisants tels que « le sexe c’est naturel ». Ainsi, selon les lecteur·ice·s, la sexualité serait transmise par les gènes et il n’y aurait donc pas besoin d’éduquer les individus au sujet de la sexualité. Celle-ci serait naturelle et, de ce fait, il n’y aurait rien à apprendre à son sujet à travers ces chroniques.
Un autre argument soutenu par les internautes est celui de la frivolité du sujet. En effet, Le Monde est un journal réputé comme sérieux, diffusant des sujets d’actualités importants, c’est pourquoi certains individus s’offusquent d’y trouver une chronique sexuelle perçue comme futile, risible ou encore grossière.
Maïa Mazaurette démontre également que les commentateur·rice·s accordent encore beaucoup d’importance au lien qui existerait entre le sexe et l’amour. En effet, selon les internautes il n’y aurait rien d’anatomique, de politique ou encore de sociologique dans la sexualité. La seule dimension au sein de laquelle le sexe s’inscrirait, pour ces dernier·e·s, serait émotionnelle et affective.
La chroniqueuse fait également état de divers commentaires s’insurgeant contre les chroniques du Monde faisant référence à une perception de la sexualité comme quelque chose de sale, de vulgaire ou encore de dangereux vis-à-vis des enfants qui liraient la chronique.
L’autrice avance, enfin, également que ces articles sont utilisés par certains individus à des fins de slut shaming. Ce terme se réfère à l’utilisation de la critique et de la stigmatisation, plus particulièrement envers les femmes, condamnant leurs attitudes et comportements jugés trop immoraux et sexuels. Dans ce cas, les internautes identifient alors leurs ami·e·s, collègues, ou autres connaissances, dans des chroniques traitant de sujets plus ou moins subversifs tels que la sodomie ou encore la pénétration de l’urètre.
La deuxième partie de la conférence a porté sur la question : « à qui profite le fait que le sexe ne soit pas pris au sérieux ? ». L’autrice avance que les individus voulant faire taire les discours au sujet de la sexualité sont ceux que la société privilégie. Selon la conférencière, cette strate privilégiée de la société serait composée d’hommes cisgenre, blancs et hétérosexuels. La chroniqueuse soulève en effet que la majorité des commentaires négatifs reçus émanaient d’un pseudonyme masculin. Ainsi, pour cette frange de la population, tout semble bien se passer et celle-ci ne souhaite pas et/ou ne parvient pas à se mettre à la place des minorités sexuelles. En effet, Maïa Mazaurette avance que, pour ces individus privilégiés, remettre la sexualité en question menacerait l’ordre social dominant. Ainsi, ces hommes hétérosexuels rechercheraient « un accès illimité à un soulagement sexuel sans complications ». Selon l’autrice, c’est dans cette optique qu’il conviendrait d’expliquer pourquoi de telles résistances s’opposent à la vulgarisation d’articles portant sur la sexualité. Ces derniers seraient perçus comme menaçant les normes et scripts sexuels établis dans la société, qui permettraient à ces personnes une jouissance assurée en un temps limité ainsi qu’une sexualité rassurante.
La dernière partie de la conférence s’articule autour de la personnification du discours sexuel. Les articles produits par la chroniqueuse seraient compris par ses lecteur·ice·s comme des fantasmes déguisés ou encore comme des expériences personnelles vécues par l’autrice. La conférencière fait état des répercussions de ces perceptions sur sa vie privée en mentionnant qu’il est déjà arrivé qu’elle ne se fasse pas inviter lors d’une soirée avec des proches en raison de son supposé attrait pour le sexe. De plus, l’oratrice mentionne également le sexisme des internautes ou encore de certaines rédactions auquel elle a dû faire face. En effet, les rubriques portant sur la sexualité seraient mieux perçues si ces dernières sont rédigées par une femme plutôt que par un homme, qui passerait pour un « pervers ». De surcroît, Maïa Mazaurette fait état de commentaires haineux et violents en raison de son engagement féministe, de sa classe sociale ou encore de ses origines.
En conclusion, la chroniqueuse souligne que les discours au sujet de la sexualité évoluent, bien qu’ils suscitent toujours des résistances et blocages de part et d’autre. Ainsi, l’oratrice avance le fait que les idées préconçues et les stéréotypes concernant la sexualité, qui minaient le terrain jusqu’alors, s’estompent et laissent place à la libération de la parole et des esprits. Par conséquent, selon la conférencière, la place des discours auprès du grand public, les luttes et idées sur les thématiques sexuelles se joueront sur le long terme et passeront notamment par l’éducation des jeunes générations. A la suite de cette conclusion a eu lieu un échange de questions/réponses d’une trentaine de minutes entre la salle et Maïa Mazaurette.
Références
SSP, UNIL. (2019). Conférence de Maïa Mazaurette. [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=VcjSDR1t1KU
Mazaurette, M. (2018) Sex and Sounds [Podcast]. Arte radio. https://www.arteradio.com/auteurs/maia_mazaurette
Autres ressources
Mazaurette, M. (2021, 18 juillet). Le corps dans tous ses ébats : à un cheveu du plaisir. Le Monde.
Mazaurette, M. (2021, 17 octobre). Education sexuelle : les codes ont changé. Le Monde.
Mazaurette, M. (2021, 12 décembre). SOS Maïa : « La montée du féminisme a coupé le désir de mon mari. Comment le réconcilier avec sa sexualité ? ». Le Monde.
Informations
Pour citer cet article | Nom Prénom, « Titre ». Blog de l’Institut des sciences sociales [En ligne], mis en ligne le XX mois 2022, consulté le XX mois 2022. URL : |
Autrice | Mélissa Zufferey, étudiante en Bachelor |
Contact | Zufferey.melissa@gmail.com |
Enseignement | Séminaire Sociologie des masculinités Par Sébastien Chauvin et Estelle Rothlisberger |
© Illustration : Nataliya Vaitkevich, Pexels